Pour ses premiers pas en séance au Sénat, Eric Dupond-Moretti « en train de devenir » ministre

Pour ses premiers pas en séance au Sénat, Eric Dupond-Moretti « en train de devenir » ministre

Le nouveau ministre de la Justice a pour la première fois pris la parole au Sénat sur des projets de loi. Entre le port du masque et la question sensible du nombre de femmes mortes sous les coups de leur conjoint, c’était le baptême du feu à la Haute assemblée pour le garde des Sceaux.
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Ce sont ses premiers pas en séance. Mais pas au Sénat. Le nouveau ministre de la Justice, coup médiatique du remaniement, a déjà expérimenté l’ambiance de la Haute assemblée, lors des questions d’actualité au gouvernement. Eric Dupond-Moretti doit maintenant faire ses preuves comme garde des Sceaux et au micro. Si l’épreuve du Parlement ne suffit pas à faire un bon ministre, elle est indispensable et loin d’être évidente. Elle est parfois cruelle. Entre les membres du gouvernement qui lisent mécaniquement leurs notes préparées par leur cabinet, et ceux qui maîtrisent clairement leur sujet, la différence se voit.

Trois textes étaient au programme ce mardi après-midi, dont un texte court et une lecture de conclusion de commission mixte paritaire (CMP). Un bon entraînement pour commencer. Sur le papier, l’épreuve n’est pas la plus ardue. Mais les sujets, on va le voir, ne sont pas légers.

« Dans cette enceinte, les ministres ont tout le temps qu’ils souhaitent pour leur intervention »

Premier texte : le projet de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle‑Calédonie. L’ancien avocat monte à la tribune, masque chirurgical de rigueur sur le visage. Face à lui, pas de salle d’audience, mais l’hémicycle du Sénat. « Si vous pouvez enlever le masque » lui demande gentiment la présidente de séance, la sénatrice LR Catherine Troendlé. Il l’enlève à moitié, gardant le masque à l’oreille gauche.

Le socialiste Jean-Pierre Sueur prend la parole quelques minutes après le ministre. Le sénateur du Loiret, pour qui la limite du temps de parole est parfois un peu difficile à tenir, « rêve parfois de ce qui prévalait (…) quand Robert Badinder parlait deux fois plus longtemps que prévu, sans qu’aucune présidence de séance n’osât l’interrompre ».

Eric Dupond-Moretti, cherchant à aller dans son sens, mais qui n’a pas compris que le socialiste parlait du Robert Badinder sénateur, regrette « l’époque bénie (…) où le garde des Sceaux pouvait s’exprimer sans être interrompu ». « Je voulais vous rassurer, dans cette enceinte, les ministres ont tout le temps qu’ils souhaitent pour leur intervention » rappelle Catherine Troendlé. Lors de sa première intervention lors des questions d’actualité au gouvernement, à l’Assemblée, Eric Dupond-Moretti s’est fait surprendre par le temps limité.

Suspension de séance « le temps de retrouver le ministre »

Le projet de loi est rapidement adopté, suspension de séance. A la reprise, il manque… le ministre. On l’attend. « Je vais prendre l’initiative de suspendre une petite minute le temps que nous retrouvions notre ministre » lance la présidente de séance. Courte pause, le revoilà qui entre en scène.

Le second texte est plus sensible. Il s’agit des lectures de la CMP sur la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, où députés et sénateurs ont trouvé un accord. Après la polémique suivant sa nomination, en raison de ses propos sexistes, Eric Dupond-Moretti se sait attendu au tournant. Pour le mettre dans l’ambiance, la sénatrice PS Laurence Rossignol, glisse qu’elle « ne regrette pas que (Gérald Darmanin) ne soit pas là »… Lors de sa nomination, elle avait déjà estimé que « Gérald Darmanin n'(était) pas à sa place comme ministre de l'Intérieur ».

Montrer patte blanche

Remontant à la tribune, le garde des Sceaux pose cette fois son masque sur le pupitre. Si les propos qu’il va tenir semblent évidents dans la bouche d’un ministre de la Justice, ils sonnent un peu comme un besoin de montrer patte blanche, après les accusations de sexisme. Quand il s’adresse à la rapporteure LR du texte, Marie Mercier, il prend soin de dire « Madame la rapporteure avec un e ».

« L’homme que je suis et le ministre que je suis en train de devenir, sont fiers d’apporter un plein et entier soutien à un projet de loi qui me tient particulièrement à cœur » lance-t-il. Il assure de sa « détermination à mener une lutte sans merci contre le fléau des violences au sein du couple ». « Les parquets et juridictions sont mobilisés pour traiter sans délais les plaintes et requêtes dont ils sont saisis » assure le ministre, jugeant « intolérable que des femmes, plus de 120 l’an dernier, meurent sous les coups de leurs conjoints ».

C’est sur ce point que va rebondir la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie. « Quand on aime, on ne compte pas. J’ai écouté hier l’intégralité de votre audition devant la commission des lois de l’Assemblée. Et j’ai compris que vous étiez parfois surpris par les chiffres. Je vous taquine… » lance la socialiste, en référence à la réaction du ministre hier sur les « chiffres effrayants » des violences faites aux femmes, avant de le corriger : « Ce n’est pas 120 féminicides (par an), c’est 150 » (voir au début de la vidéo).

Le ministre semble redevenir l’espace d’un instant avocat

En reprenant la parole, le ministre semble redevenir l’espace d’un instant avocat. « Vous avez cru, Madame, devoir lancer dans mon jardin une petite pierre sur les chiffres. J’entends la ramasser et peut-être, si vous en acceptez l’augure, la renvoyer dans le vôtre… Ce sont des jets de pierre virtuelle, vous avez bien compris » dit-il, avant d’enlever son masque. Le ministre explique que les chiffres diffèrent, en réalité, selon les sources : 149 pour le collectif féminicides par compagnons ou ex, entre 122 et 125 selon un collectif de journalistes, « 105 remontés » selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, précise Eric Dupond-Moretti, assurant qu’il n’y a pas de « désinvolture ou de désintérêt » de sa part (voir sa réponse dans la vidéo). Quant à son étonnement sur les chiffres hier devant les députés, il évoque « un quiproquo ». Il insiste : « Ce sujet-là m’intéresse ». On l’aura compris.

L’ancienne ministre du Droit des femmes, Laurence Rossignol, féministe de longue date, lui donne cependant un bon point : « Vous avez dit Madame la rapporteure avec E. On n’exige pas des gardes des Sceaux qu’ils parlent en écriture inclusive » sourit la sénatrice de l’Oise, « mais nous saluons cet effort. Je voulais juste vous en libérer pour l’avenir ». En fin d’après-midi, le texte est adopté l’unanimité par le Sénat (lire notre article sur le sujet).

Troisième texte de l’après-midi. La proposition de loi sur les mesures de sûreté contre les auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine. A nouveau un gros sujet. Le texte permet d’imposer le bracelet électronique aux ex-détenus. « Sur cette question, j’ai évolué, vous le savez » commence Eric Dupond-Moretti. Quelques minutes après, il termine son intervention. « J’ai perdu mon masque » peste le garde des Sceaux, en descendant de la tribune. On lui en fournit un aussitôt. Être ministre donne quelques avantages.

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