Précarité : « Le nerf de la guerre est d’arriver à travailler toute l’année, ou presque »

Précarité : « Le nerf de la guerre est d’arriver à travailler toute l’année, ou presque »

La nouvelle mission d’information du Sénat sur l’évolution et la lutte contre la précarisation débute ce mardi sa première audition avec les représentants de l’Insee, notamment. S’il est difficile d’obtenir des statistiques récentes et précises, le constat est clair : la pauvreté et la précarité s’accroissent et la crise sanitaire vient aggraver la situation.
Public Sénat

Par Laurelène Vion

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10 millions de pauvres en 2020. Ce sont les prévisions alarmantes du Secours catholique qui constate que les familles sont de plus en plus nombreuses à venir frapper à la porte des associations pour demander une aide alimentaire. Cette situation touche particulièrement les jeunes de 18 à 29 ans, qui sont plus d’un sur dix à être en situation de pauvreté. Il s’agit d’une tendance qui trouve son origine bien avant la crise sanitaire : la part des jeunes qui vivent sous le seuil de pauvreté a très fortement crû ces quinze dernières années, passant de 8 % à 13 %, soit une progression de plus de 50 %, selon l’Observatoire des inégalités.

Mais la mesure de la pauvreté n’est pas une tâche si facile. Valérie Albouy, cheffe du département des ressources et conditions de vie des ménages de l’Insee, est ferme à ce sujet : « Non ! Il n’existe pas d’indicateur permettant de mesurer la pauvreté en temps réel. Nos indicateurs arrivent assez tardivement », affirme-t-elle, avant de préciser que « la pauvreté et la précarité sont des indicateurs assez sensibles ». (Voir la vidéo ci-dessus).

Si les indicateurs peinent à délivrer des données récentes et précises, un constat peut tout de même être posé. La précarité, qui se définit comme « un état de pauvreté durable », est en nette augmentation. « En 2016-2017, 70 % des personnes pauvres le restent l’année suivante. Cela a augmenté dans le temps, c’était 63 % en 2008 », précise Valérie Albouy (Insee). Il en est de même de la pauvreté, qui passe de 14,1 % à 14,8 % entre 2017 et 2018. Cette situation semblerait toucher particulièrement les familles monoparentales, les personnes seules de moins de 65 ans, les chômeurs, mais aussi les indépendants, qui font partie des « oubliés » du plan de relance. A propos de ces derniers, le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas tire la sonnette d’alarme : « Ils ont vu tout à coup leur activité s’effondrer. Il me semble qu’il y a un sujet énorme, on fabrique des pauvres à vitesse grand V ».

Il est vrai que le marché du travail a tendance à se précariser. On peut constater le développement des contrats de travail comme le CDD, de plus en plus fréquemment utilisé sous ses diverses formes. « On a une augmentation des contrats très courts depuis les années 2000. En 2017, un tiers des CDD ne durent qu’une journée » déplore Sébastien Grobon, adjoint au chef de mission analyse économique de la Dares, d’autant plus que « les premiers ajustements de l’emploi » liés à la crise sanitaire « ont été de ne pas renouveler les CDD ». Le constat semble donc celui d’un marché du travail qui cultive le sous-emploi : « Le monde n’est plus binaire, il n’y a plus, ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, le nerf de la guerre est d’arriver à travailler toute l’année, ou presque » constate Valérie Albouy (Insee).

 

“On ne constate pas une diminution du nombre de CDI, mais une modification des formes de CDD.” Sébastien Grobon (DARES)
02:37

Néanmoins, la redistribution a « joué son rôle » après la crise de 2008. Valérie Albouy (Insee) affirme notamment que « le système de redistribution corrige », car « l’écart est flagrant » entre la situation avant et après redistribution. Le rôle de la fiscalité s’avère ainsi primordial : « Le taux de pauvreté au sens monétaire est de 14 %. Si on n’avait pas toute la redistribution, on aurait un taux de pauvreté entre 22 et 23 % », signale Patrick Aubert, sous-directeur de l’Observation de la solidarité de la Drees. D’autres dispositifs plus ciblés, comme la « garantie jeunes », ont joué en faveur d’une baisse de la précarité en ayant un « effet durable sur l’emploi », comme le constate Sébastien Grobon (Dares). Aussi, le projet de revenu universel d’activité, promesse d’Emmanuel Macron, pourrait contribuer à cet objectif et, contrairement à ce que l’on dit souvent, n’aurait « pas de gros effets désincitatifs à l’emploi ». Parmi d’autres pistes de plus en plus discutées, celle du revenu universel, qui va être abordée par la mission d’information sénatoriale au cours de ses différentes auditions.

 

Des indicateurs à relativiser car « un certain nombre de paramètres ne sont pas pris en compte »

 

Ces statistiques sont toutefois à relativiser car la pauvreté et la précarité sont des indicateurs par nature imparfaits et « assez sensibles ». Patrick Aubert précise par exemple que « dans les 20 % des personnes ayant les revenus les plus élevés, 4 % vont se déclarer pauvres » en rappelant « l’importance de certains facteurs ». Des éléments subjectifs viennent parfois influencer la mesure de la pauvreté, comme « les sentiments de déclassement par rapport aux parents et de pessimisme par rapport à l’avenir » qui « vont accroître cette sensation de pauvreté ». Même si ces indicateurs restent intéressants, Patrick Aubert (Drees) rappelle qu’ils peuvent être « faussés par un pessimisme général ».

En outre, la sénatrice LR Frédérique Puissat, rapporteure de la mission d’information sur l’évolution et la lutte contre la précarisation, pointe le fait qu’un « certain nombre de paramètres ne sont pas pris en compte » dans ces statistiques, « comme par exemple le prix du paquet de tabac ». Le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas a d’ailleurs rappelé la nécessité de « piloter » les indicateurs « en fonction du système redistributif » et d’identifier « les vrais discriminants, les véritables leviers sur lesquels on peut jouer ». Par exemple, l’aide alimentaire, qui semble être pointée du doigt par plusieurs associations, « n’est pas très bien couverte par la statistique publique », avoue Patrick Aubert (Drees).

“Le système statistique a des limites” à 15 06 36 “des dispositifs qu’on mettrait en place avec eux” “Le système statistique a des limites à être réactif.” Patrick Aubert (DREES)
03:14

 

Ce dernier précise enfin que « le système statistique a des limites à être réactif », avant de mentionner une amélioration future de leur rapidité de mise en œuvre, grâce à la mise en place d’un « suivi mensuel des prestations ».

La situation est donc à remédier dans la durée. Si certains dispositifs temporaires tendent à réduire la précarité et la pauvreté face à la crise sanitaire, ils ne sont pas suffisants face à un marché du travail structurellement précarisé. La solution se trouve donc dans le long terme par une amélioration des indicateurs mesurant la pauvreté et par la création d’un revenu « de sécurité », basé d’abord sur l’activité, et, dans un éventuel futur proche, sur l’universalité.

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