Projet de loi contre le séparatisme : un texte lourd et sensible attend le Parlement

Projet de loi contre le séparatisme : un texte lourd et sensible attend le Parlement

Le gouvernement s’apprête à dévoiler son vaste projet de loi « confortant les principes républicains », qui réaffirme les principes de laïcité. Symbole politique, questions des libertés publiques, efficacité : les questions posées par ce texte qui arrivera devant le Parlement sont nombreuses.
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C’est l’un des derniers textes d’ampleur que le gouvernement s’apprête à présenter en Conseil des ministres ce mercredi 9 décembre, 115 années très exactement après l’entrée en vigueur de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. La date ne doit rien au hasard, le gouvernement veut « consolider » le « ciment » que représente la laïcité. Après plus d’un an et demi de gestation, le projet de loi « confortant les principes de la République », débattu l’an prochain au Parlement, forme un ensemble dense, d’une cinquantaine d’articles. La dénomination dénote la prudence avec laquelle l’exécutif s’aventure sur ce terrain, lui qui veut éviter toute stigmatisation. Cette offensive sécuritaire s’attaque aux séparatismes, terme qui désignait encore le projet de loi le mois dernier, mais surtout à l’islamisme radical.

Un proche du Premier ministre l’affirme : « Ce projet de loi n’est ni une construction politique de circonstances, pas plus qu’il ne relève d’un agenda ». Le texte a cependant été enrichi après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine du 16 octobre, aussi bien en matière de lutte contre la haine en ligne que de protection des fonctionnaires face aux actes d’intimidation.

Le périmètre interministériel du projet de loi est vaste, il fait notamment intervenir l’Intérieur, la Justice, l’Education nationale ou encore la Fonction publique. Et les matières sensibles qu’il aborde sont nombreuses : liberté d’association, liberté de culte, libre administration des collectivités territoriales ou liberté d’enseignement. Matignon insiste sur « l’équilibre » des dispositions dans le texte. Le texte pourrait créer des remous dans certains courants de la majorité présidentielle, déjà échaudée par l’épisode de la proposition de loi sur la sécurité globale.

Au Sénat, le souci de concilier l’efficacité des réponses et la préservation des libertés individuelles

Pour la droite, majoritaire au Sénat, où les initiatives législatives contre le communautarisme se sont multipliées ces dernières années, le texte pourrait être examiné sous deux aspects principaux. Son efficacité, et la constitutionnalité de ses mesures. L’un des piliers de la commission des Lois au Sénat, le sénateur Philippe Bas (LR), l’affirmait encore il y a trois semaines : « Nous aurons au Sénat une volonté de renforcer les moyens de la lutte contre le communautarisme et l’islamisme radical, mais nous veillerons à la faire dans la tradition sénatoriale du respect des libertés fondamentales. »

La question de la préservation des libertés publiques devrait faire consensus à la Haute assemblée, mais tout est une question de curseur. S’il constate que le projet de loi apporte des réponses, le sénateur PS Jean-Yves Leconte s’interroge sur le signal envoyé dans l’ensemble. « Il n’y a rien de concret sur la lutte contre les discriminations. Je ne suis pas sûr que l’on défende la liberté en ne faisant que de la répression […] On oublie que l’esprit de la laïcité, c’est la liberté, pas de contraindre. Tout le contraire de ce que ce texte propose », relève-t-il.

Le gouvernement a bien promis de mener en parallèle une politique en faveur de l’égalité des chances, avec l’école ou la rénovation urbaine. Plus récemment, Emmanuel Macron a annoncé la création d'une plateforme de signalement des discriminations. Mais la présence de certains articles dans le projet de loi heurte les parlementaires, qui y voient un mélange des genres. Outre la méthode, avec des demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance, la commission des affaires économiques du Sénat, dans ses principales composantes politiques, s’insurge ce mardi de la présence dans le projet de loi d’un volet sur le logement social (lire notre article).

Matignon estime que le Conseil d’Etat a « largement » validé son texte

Sur la faisabilité des dispositifs proposés par le gouvernement, et dans un souci d’efficacité, la droite est convaincue que le cadre global législatif sera amené à évoluer. Elle qui aime d’ailleurs souligner qu’elle a fait adopter au Sénat une proposition de loi constitutionnelle visant à « garantir la prééminence des lois de la République », estime que le gouvernement ne pourra pas faire l’économie d’une réforme constitutionnelle dans la lutte contre le séparatisme. Son texte emblématique a été rejeté par les députés le 3 décembre. Avant même les débats sur le projet de loi, la sénatrice Union centriste Nathalie Goulet recommande au gouvernement, sur ce terrain, d’écouter le Sénat, qui « fait des propositions depuis bien longtemps. » « Si enfin on arrive à les faire valider, et que le gouvernement finit par les appliquer, les intégrer à la loi, ce sera une bonne nouvelle », espère-t-elle.

En attendant, le gouvernement a dû revoir certaines rédactions, après des réserves émises par le Conseil d’Etat. A Matignon, on juge que « l’équilibre » a été souligné par la plus haute juridiction administrative et que l’avis est « largement conformatif ». Parmi les articles visés : celui mettant fin à l’instruction des enfants par les familles (relire notre article). La mesure a été très commentée au Sénat, les uns y voyant une remise en cause de la liberté d’enseignement, les autres un recul sur l’ambition initiale.

L’article scellera bien la fin d’un régime purement déclaratif auxquels sont soumis les parents d'élèves actuellement, il sera remplacé par un régime d’interdiction aménagé de dérogations. Mais il ressemble plutôt à un système d’autorisation sous conditions. Les critères permettant l'instruction à domicile seront finalement détaillés directement dans le projet de loi, et non renvoyés à un décret. Outre des motifs classiques liés à la santé, au handicap, l’itinérance, le sport de haut niveau, le texte devrait inclure également un « critère plus général », fondé sur un « projet pédagogique », selon un conseiller du ministère de l’Education nationale. Quelle que soit la rédaction retenue, le ministère estime que l’objectif d’une meilleure détection des « cas préoccupants », est en tout cas « atteint ». 62 000 enfants seraient instruits en dehors de tout établissement, un chiffre qui aurait doublé depuis 2016. Le projet de loi prévoit également un dispositif de fermeture administrative pour les établissements scolaires hors contrats qui ne respecteraient pas leurs obligations, sous contrôle du juge administratif.

De nouvelles incriminations pénales prévues pour lutter contre la haine en ligne

Au chapitre de la lutte contre la haine en ligne, le projet de loi comporte des dispositions fortes. Si des sénateurs s’inquiétaient d’une réécriture de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, le gouvernement a finalement choisi la voie d’une modification du Code pénal pour accélérer la réponse judiciaire, avec une comparution immédiate. Une accélération jugée bienvenue par le président (Union centriste) de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Laurent Lafon : « Que les auteurs d’appels à la haine ciblant des individus puissent être enfin jugés en comparution immédiate serait une très bonne chose ! »

Parmi les autres modifications d’ordre pénal introduites dans le projet de loi, l’une fait suite à l’assassinat du professeur Samuel Paty. Il s’agit de la création d’un nouveau délit de « mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser ». La peine est même aggravée lorsqu’un fonctionnaire ou une personne dépositaire de l’autorité publique est visé.

Le projet de loi entend également répondre aux pressions communautaires exercées sur les services publics, à travers la création d’un délit de pression séparatiste. Toute personne qui participe à une mission de service public pourrait être protégée au titre de cet article, en cas de menaces. L’exemple d’un mari faisait preuve d’intimidations pour que son épouse soit examinée par un médecin de sexe féminin entrerait dans cet article.

Le principe de neutralité, valable dans les services publics, est d’ailleurs étendu dans le projet de loi. Il sera désormais valable pour les personnels des organismes parapublics ou privés qui concourent au service public. Cette disposition, inscrite dès l’article 1 du projet, a notamment vocation à s’appliquer dans le domaine des transports.

A l’image du référé-liberté, le projet de loi donnerait également aux préfets la possibilité de suspendre des décisions de collectivités territoriales qui heurteraient la neutralité du service public, à travers un « référé-laïcité », là aussi sous le contrôle du juge administratif. Cette proposition a soulevé de l’émoi chez des représentants d’élus locaux, et laisse les sénateurs partagés à ce sujet.

Associations cultuelles : « Revenir à l’esprit de la loi de 1905 »

Pour lutter contre le phénomène d’entrisme dans les associations, le projet de loi prévoit des « contrats d’engagement républicains », dans le prolongement des chartes de la laïcité instituées localement. Ces chartes ont parfois fait l’objet de critiques au Sénat. Le respect des principes républicains deviendrait une condition au maintien des subventions publiques. De même, les mécanismes de dissolution seraient revus et adaptés. Un mécanisme de suspension temporaire, sorte d’entre-deux, serait également introduit.

C’est naturellement sur la législation des cultes que le projet de loi s’attarde longuement. La philosophie du texte est de « revenir à l’esprit de la loi de 1905 », en « incitant » notamment les associations cultuelles de type loi 1901, à se tourner vers l’association de type loi 1905, afin d’en améliorer le contrôle. Les dons étrangers de plus de 10 000 euros sont soumis à un régime déclaratif de ressources. Ces alignements dans le statut des associations, ou encore le contrôle du financement, la sénatrice Nathalie Goulet les réclamait de longue date. « On a eu raison trop tôt », confie-t-elle.

Mais la sénatrice de l’Orne estime qu’il faut « prendre le problème dans l’ordre », et se pencher sur la formation des imams par exemple. Cet aspect sort désormais du projet de loi, et revient au Conseil français du culte musulman.

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