Projet de loi Pacte : le groupe PS, en « désaccord » avec plusieurs articles, veut faire « bouger les lignes »

Projet de loi Pacte : le groupe PS, en « désaccord » avec plusieurs articles, veut faire « bouger les lignes »

Le groupe socialiste du Sénat aborde la discussion du projet de loi pour la transformation et la croissance des entreprises avec de nombreuses réserves et inquiétudes, qu’il s’agisse des privatisations ou des modifications sociales. Il promet une bataille pour proposer une autre ligne.
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Par Guillaume Jacquot (Sujet vidéo : Jonathan Dupriez)

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Après les débats budgétaires de la fin 2018, le Sénat s’apprête à réaliser un nouveau marathon législatif, en examinant à partir ce mardi les quelque 200 articles du projet de loi Pacte, ou plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises. Ce texte dense – « fourre-tout » diront certains de ses détracteurs – contient une batterie de mesures économiques pour lever les contraintes et simplifier la vie des entreprises (notamment les PME), favoriser l’intéressement des salariés, ou encore organiser la cession de plusieurs actifs de l’État. Pour le groupe socialiste du Sénat, les points d’alerte sur ce texte transmis par l’Assemblée nationale sont nombreux.

 « C’est un texte important, mais il privilégie finalement une vision très libérale du monde économique », reproche Patrick Kanner, le président du groupe qui souhaite défendre « une autre vision du développement économique et de l’entreprise ». « Nous nous opposerons sur de nombreux articles, tout en ayant bien sûr des propositions d’amélioration. »

« Le projet de loi Pacte privilégie une vision très libérale », reproche Patrick Kanner
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Privatisations : le groupe socialiste dans une position « d’opposition frontale »

Premier combat que le groupe entend mener dans l’hémicycle : remettre en cause les projets de privatisations prévus par le texte de Bruno Le Maire, dont l’argent ira financer un fonds pour l’innovation. Le sort d’Aéroports de Paris (ADP) est emblématique des craintes des sénateurs socialistes, qui dénoncent un « démantèlement de la puissance publique et la « fin de l’État stratège ». « Nous serons dans une logique frontale », prévient Patrick Kanner. « Le groupe sera très ferme », renchérit Frédérique Espagnac, pour qui ces projets sont « inacceptables ».

« Stratégiquement et économiquement, cette privatisation apparaît comme un non-sens », considère Martial Bourquin, l’un des chefs de file du texte dans le groupe. « Parmi les 100 plus gros aéroports du monde, plus de la moitié sont publics », rappelle-t-il. La comparaison internationale n’est pas le seul argument. Les sénateurs socialistes redoutent une mauvaise affaire pour l’État à long terme, au bénéfice d’acteurs privés. « Les simples dividendes d’ADP pourraient abonder le fonds pour l’innovation de rupture », estime Martial Bourquin. L’affaiblissement d’Air France fait aussi partie de leurs craintes.

Car des précédents alertent ces parlementaires. « On voit les conséquences de ce qui s’est passé à Toulouse », relève la sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, Frédérique Espagnac. La vente des parts de l’État en 2015 à des investisseurs chinois a fait l’objet de sérieuses critiques de la part de la Cour des comptes, et les élus locaux reprochent aux nouveaux actionnaires de s’être servis trop largement sur les bénéfices et la trésorerie de l’aéroport. « L’État prépare en plus grand ce qu’a fait un autre gouvernement avec les autoroutes », s’indigne le sénateur PS du Doubs.

« Si le Sénat se positionnait contre les privatisations, ce serait un coup de tonnerre »

En dehors des socialistes et des communistes, résolument opposés à la cession des parts de l’État d’ADP, les doutes traversent en réalité toutes les familles politiques du Sénat, en dehors de la République en marche (relire notre article), y-compris chez les Républicains, chez qui cette position est loin d’être habituelle. Roger Karoutchi (LR) a par exemple déposé un amendement pour s’opposer à la privatisation. « Il y a encore une fibre gaulliste dans plusieurs groupes », observe Martial Bourquin, qui espère un message politique fort s’exprimera dans les débats et prendra à témoin les députés. « Si le Sénat se positionnait contre les privatisations, ce serait un coup de tonnerre. »

Loi Pacte : « Le cheval de bataille majeur aujourd’hui, c’est les privatisations », déclare Frédérique Espagnac
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La privatisation de la Française des jeux – dont le principe a été retoqué en commission spéciale – suscite aussi l’opposition du groupe socialiste. « Le caractère public donne des garanties en matière de lutte contre les addictions », insiste Frédérique Espagnac.  Quant à la fin du seuil de détention par l’État d’un tiers du capital d’Engie (ex-GDF-Suez) fait elle peser un risque sur le pouvoir d’achat et sur la place des pouvoirs publics dans la politique énergétique, mettent-ils en garde.

Des « régressions sociales », selon Jean-Louis Tourenne

Les cessions d’actifs ne sont pas le seul cheval de bataille des socialistes, qui s’inquiètent d’une « simplification excessive » de la législation sur les entreprises. Évoquant des « régressions », Jean-Louis Tourenne, l’un des référents en matière de questions sociales dans le groupe, anticipe des « conséquences extrêmement néfastes pour les salariés » avec la réforme des seuils sociaux. Le projet de loi rationnalise le nombre de seuils d’effectifs, ces niveaux à partir desquels se déclenchent des obligations nouvelles pour les chefs d’entreprise. Il identifie ces seuils comme des freins à la croissance des entreprises. Avec la disparition du seuil de 20 salariés, la mise en place d’un règlement intérieur dans l’entreprise deviendra obligatoire à partir de 50 salariés.

Autre condition prévue par le projet de loi, l’entreprise devra rester au minimum cinq ans dessus d’un seuil pour être redevable des nouvelles obligations liées à ce dernier. « C’est un jeu de contournement […] On peut inventer l’éternité », dénonce le sénateur Jean-Louis Tourenne.

Le mécanisme fiscal choisi pour favoriser le développement de l’intéressement dans les entreprises comporte deux inconvénients majeurs, selon les socialistes. En supprimant le forfait social (une contribution sociale de 20%) sur les intéressements versés dans les entreprises de moins de 250 salariés, l’opération sera certes moins onéreuse pour les employeurs, mais le groupe PS redoute des effets d’aubaine : une prime basée sur des objectifs réalisés qui se substituerait à des augmentations de salaires. Le manque à gagner pour les comptes de la Sécu, estimé selon Bercy à 600 millions d’euros, ne passe pas non plus. « Le gouvernement a pris un certain de mesures qu’il ne paye pas, qu’il fait payer par d’autres. Le fait de ne pas assumer sa responsabilité est regrettable », déplore Jean-Louis Tourenne.

Loi Pacte : Jean-Louis Tourenne (PS) inquiet des conséquences de la fin du forfait social
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Une meilleure «démocratie économique » réclamée par les socialistes

Plus largement le sénateur d’Ille-et-Vilaine voit dans la montée en puissance de la participation et l’intéressement, qui peuvent alimenter des plans d’épargne retraite, un mauvais signal pour l’avenir. « On a vraiment le sentiment qu’il y a derrière ça une volonté sous-jacente de remplacer la retraite par répartition par une retraite par capitalisation », observe-t-il, en pleine concertation nationale pour la réforme des retraites.

Les socialistes considèrent par ailleurs que le projet de loi ne répond pas à un certain nombre d’enjeux, comme la « démocratie à l’intérieur des entreprises ». Ils proposent notamment de plafonner les hauts revenus, en limitant les écarts entre salaires avec un ratio allant de 1 à 20. Ils tenteront aussi de donner plus de place aux administrateurs salariés dans les instances dirigeantes.

Qu’il s’agisse de la place de l’État ou de pouvoir d’achat, le groupe emmené par Patrick Kanner reproche au projet de loi Pacte d’être en « décalage » avec le contexte social et les aspirations exprimées dans le mouvement des gilets jaunes. « J’espère que le débat à la Haute assemblée fera bouger les lignes et pourra être intégré dans le cadre du grand débat », résume le sénateur du Nord.

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