Projet de loi Pacte : les privatisations ne sont pas sur de bonnes voies au Sénat

Projet de loi Pacte : les privatisations ne sont pas sur de bonnes voies au Sénat

Le projet de loi pour la croissance et transformation des entreprises, qui prévoit de faire évoluer le capital d’entreprises publiques stratégiques comme Aéroports de Paris ou la Française des jeux, soulève de vives inquiétudes dans la Chambre haute.
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L’épais projet de loi Pacte (pour la croissance et transformation des entreprises) est arrivé au Sénat. Son examen en commission spéciale a débuté le 16 janvier. Ce texte, porté par Bruno Le Maire, prévoit de faciliter le développement des entreprises, notamment des PME, et veut permettre un « meilleur partage » de la valeur dans les entreprises, en favorisant le développement de la participation et de l’intéressement pour les salariés.

Le projet de loi prévoit aussi la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP), de la Française des jeux, mais aussi un désengagement de l’État d’Engie (anciennement GDF-Suez). Ces cessions de capital financeront un fonds pour l’innovation de rupture et l’industrie de 10 milliards d’euros.

Le sort d’Engie (avec la fin d’un capital majoritaire détenu par les pouvoirs publics) n’a pas soulevé d’opposition en commission au Sénat. En revanche, une perte de contrôle de deux autres actifs stratégiques comme ADP et la FDJ a soulevé beaucoup plus d’inquiétude.

À droite, « gros doute sur la privatisation d’ADP »

Au sein du groupe LR, premier groupe en termes d’effectifs au Sénat, la privatisation du premier groupe aéroportuaire français fait beaucoup débat. Michel Vaspart y est par exemple opposé. Le sénateur des Côtes-d’Armor estime que cet « équipement stratégique de premier plan » doit « rester sous le contrôle de l’État ». D’autres partagent ses craintes. « Le Sénat a un gros doute sur la privatisation d’ADP », confiait le 17 janvier Jérôme Bascher, sénateur de l’Oise, évoquant le contexte des gilets jaunes.

L’un comme l’autre ont encore en mémoire le bilan de la privatisation des autoroutes, qui s’est révélée être une bien meilleure affaire pour les sociétés concessionnaires que pour l’État. Le Sénat avait d’ailleurs enquêté sur cette opération en 2014. Douze ans après la privatisation des autoroutes, les sénateurs avancent donc avec précaution dans ce morceau de la loi Pacte, à l’heure où certaines barrières de péage sont prises pour cible dans le pays.

Même le rapporteur de ce chapitre du projet de loi, Jean-François Husson (LR), se veut prudent sur le sort de ces articles. Dans le Figaro, ce jeudi, il déclarait que les membres de la commission étaient « plutôt en phase sur la philosophie » de ces cessions d’actifs. Mais il soulignait que les débats, « dans tous les camps, s’annonçaient vifs ». « Je pense qu’Engie pourra passer, mais ni La Française des jeux, ni ADP ».

« Ce qui est en train de dessiner c’est une majorité hostile »

Dès l’examen en commission spéciale, un sénateur LR, Jean-Raymond Hugonet (Essonne), a même tenté de s’opposer à la privatisation d’ADP. Son amendement n’a pas été retenu.

Les groupes de gauche – minoritaires au Sénat – ont eux aussi tenté, dans leur intégralité, de supprimer l’article. Les socialistes ont souligné que l’État allait se « priver d’un revenu annuel pérenne et croissant » et ont exprimé leurs craintes sur l’évolution du niveau des redevances (dans un groupe en situation de monopole), et sur l’évolution du service assuré aux clients. Le groupe CRCE (communiste, républicain, citoyen et écologiste) s’est lui aussi opposé à cette « privatisation en catimini » et à ce « nouveau désengagement de l'État au profit d’actionnaires avides de dividendes ».

Un front transpartisan, allant de la gauche à la droite, semble donc se constituer sur ce dossier sensible du projet de privatisation d’ADP. « Quand on en parle entre nous, j’ai un peu le sentiment que ce qui est en train de dessiner, c’est une majorité hostile », déclare à PublicSenat.fr le sénateur LR Michel Vaspart. Déjà le 7 novembre, plusieurs sénateurs avaient fait part de leurs doutes, sinon de leurs interrogations, lors d’une table ronde consacrée aux privatisations.

Un débat, qui s’annonce passionné, sera tranché dans l’hémicycle

Le vrai débat aura lieu début février. Car l’examen en commission spéciale mercredi et jeudi n’a pas véritablement tranché cette question et laisse le soin à l’ensemble des sénateurs, dans l’hémicycle à partir du 29 janvier, de se prononcer. « Nous décidons d’amender les articles de privatisation d’ADP pour permettre le débat en séance plénière et obtenir des réponses à nos nombreuses questions. Cela ne préjuge pas du tout de notre décision finale », indiquait encore le 16 janvier, Sophie Primas, présidente de la commission des Affaires économiques du Sénat.

Au-delà du changement du régime juridique de l’entreprise, les sénateurs insistent sur la nécessité pour l’État de ne pas se désengager du groupe. « Le Sénat dans sa pluralité veut que la sphère publique reste au capital d’ADP. D’une façon ou d’une autre », expliquait cette semaine Sophie Primas.

Des amendements pour introduire des garde-fous dans le scénario de la privatisation

La commission spéciale a néanmoins adopté plusieurs amendements pour encadrer et donner un filet de sécurité à la privatisation, si celle-ci devait se réaliser. Dans la navette parlementaire, l’Assemblée nationale devrait logiquement revenir sur la copie sénatoriale si celle-ci supprimait la privatisation d’ADP.

Les sénateurs ont notamment adopté en commission un amendement proposant de « sanctuariser l’existence » de l’autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires, en lui offrant le statut d’autorité administrative indépendante.

Autre modification apportée : la commission spéciale veut permettre aux collectivités locales de pouvoir prendre rapidement une décision dans les opérations de cession de participation de l’État dans ADP. L’amendement permettrait de déléguer aux exécutifs de ces assemblées locales le pouvoir d’acquérir des participations dans ADP.

Les sénateurs ont aussi tiré les enseignements des privatisations des aéroports de Nice et Toulouse. Ils veulent s’assurer de la « bonne exécution » des obligations de service public par les repreneurs. Pour cela, un comité de suivi devra se réunir au moins une fois par an. Dans le cas des aéroports de Nice et Toulouse, les instances similaires « n’ont jamais été convoquées », a rappelé le rapporteur Jean-François Husson, dans l’explication de son amendement.

La privatisation de la Française des jeux retirée du texte de la commission sénatoriale

Le sort de la Française des jeux a en revanche été tranché plus rapidement. La commission spéciale a supprimé l’article prévoyant sa privatisation. « Les conditions d’un débat éclairé sur l’opportunité de céder cette entreprise historique ne sont à ce stade pas remplies », a repproché le rapporteur Jean-François Husson.

Les sénateurs constatent que les « modalités » de cession ne sont pas précisées. « C’est un chèque en blanc que le gouvernement sollicite du législateur », dénonce-t-il. En effet, le gouvernement a sollicité une habilitation à légiférer par ordonnance sur les droits exclusifs qui seront confiés à l’opérateur privé, mais aussi sur les modalités de la régulation du secteur. Les sénateurs notent aussi que la question de la fiscalité, « inadaptée à une Française des jeux privatisée », n’est pas non plus réglée.

20 articles de la loi Pacte ont été déjà été examinés en commission, avec la procédure dite de la « législation en commission » (LEC). Les sénateurs n’y reviendront pas en hémicycle. Les privatisations n'en font pas partie. Six journées d’examen de la loi Pacte sont prévues à partir du 29 janvier, avec un vote solennel prévu le 12 février.

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