Projet de loi santé : l’état actuel du texte et ce qui pourrait changer au Sénat

Projet de loi santé : l’état actuel du texte et ce qui pourrait changer au Sénat

Après son adoption par les députés sans changements significatifs, le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé est attendu au Sénat. Les défis sont majeurs, les pistes de réponses loin d’être anecdotiques. Le texte devrait passionner la chambre représentant les collectivités.
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Ce sera l’autre temps fort du Sénat avant l’été. Après le projet de loi « pour une école de la confiance », la chambre haute du Parlement va examiner en première lecture le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. La réforme portée par la ministre Agnès Buzyn, et adoptée le 26 mars par l’Assemblée nationale, sera débattue en séance publique du 3 au 6 juin.

L’ambition du texte est de changer en profondeur plusieurs aspects du système de soins en France, de l’organisation territoriale de la santé, au rôle de l’hôpital à la formation initiale des praticiens. Tour des principaux points du projet de loi réécrit à la marge par les députés, et de la teneur des débats qui pourraient animer la discussion au Sénat.

Hôpitaux de proximité : le gouvernement refuse d’y inclure la maternité

L’un des points majeurs du texte se trouve à l’article 8, qui donne naissance aux futurs hôpitaux de proximité. Entre 500 et 600 établissements, offrant des soins de base, porteront ce label et mailleront le territoire. Le projet de loi prévoit de donner au gouvernement une habilitation à légiférer par ordonnance. Cette perspective ne ravira pas les sénateurs. Alain Milon, le président (LR) de la commission des Affaires sociales a interpellé la ministre de la Santé à l’occasion d’une audition le 15 mai. « Pourquoi avoir choisi de légiférer par ordonnances rendant ainsi le contenu de la réforme aussi flou ? »

Sur le fond, l’étendue des missions attribuées aux hôpitaux de proximité promet aussi une bataille d’amendements au palais du Luxembourg. Lors de la lecture à l’Assemblée, le gouvernement s’est résolu à inclure la chirurgie « à titre dérogatoire » dans ces hôpitaux de proximité. La liste des actes autorisés sera arrêtée par le ministère, et la décision reviendra aux agences régionales de santé. Les députés ont également voulu que les soins palliatifs puissent être présents dans ces hôpitaux.

En revanche, Agnès Buzyn et la majorité présidentielle ont refusé d’autoriser l’obstétrique pour ces établissements, mesure qui était réclamée par des élus de droite, de gauche (et même un député LREM). Dans un contexte où le nombre de maternités n’a cessé de se réduire dans le pays (498 en 2016 contre 814, 20 ans plus tôt), nul doute que le sujet mobilisera beaucoup de sénateurs. Ils le seront d’autant plus que ces derniers mois ont été marqués par des fermetures contestées de plusieurs maternités : on pense à celle du Blanc (Indre), de Bernay (Eure) ou encore celle de Creil (Oise). Face aux sénateurs cette semaine, la ministre a tenu à rassurer sur ses intentions : « Je ne suis pas la ministre qui a rêvé d‘arriver ici pour fermer des maternités ».

Déserts médicaux : pas de mesures coercitives

Durant les débats à l’Assemblée, plusieurs élus de différents groupes ont tenté d’instaurer des mécanismes coercitifs pour lutter contre la pénurie de professionnels dans les zones peu denses, à travers l’installation des jeunes médecins ou le conventionnement dans les zones surdotées. Les amendements n’ont pas été adoptés, le projet de loi continue de faire la part belle à des mesures incitatives (pas uniquement financières), comme l’a souvent défendu Agnès Buzyn. « Trop tard » pour la coercition, affirme-t-elle devant le Sénat, refusant toute mesure de « contournement » face au « défi démographique ».

Une disposition introduite en commission à l’Assemblée nationale a été retoquée en séance : l’obligation pour les étudiants en médecine de réaliser un stage dans un désert médical au cours de leur deuxième cycle.

Sur ce sujet, tous les sénateurs ne sont pas sur la même ligne. Certains, comme le sénateur LR René-Paul Savary (médecin de profession) ne croient pas à l’efficacité de la contrainte (relire notre article). D’autres, comme le centriste Hervé Maurey, se disent partisans de solutions pour réguler l’installation des médecins, constatant que les mesures incitatives ont échoué.

Début mai, 118 élus (dont 60 sénateurs) de plusieurs tendances signaient une tribune dans le JDD pour tirer la sonnette d’alarme : « la France se transforme en un vaste désert médical ». Pointant le « faible développement » de la téléconsultation et « la surcharge des médecins » dans certains territoires, ils considèrent que « le compte n’y est pas ». Le numérique, et la montée en puissance des données, fait partie des axes portés par le projet de loi. Peut-être avec un manque d’ambition, selon ces élus ? 400 généralistes doivent être recrutés dans les territoires dits fragiles.

Que va devenir le pharmacien prescripteur ?

C’est aussi l’une des grandes interrogations sur la suite de la navette parlementaire. Comment réagiront les sénateurs face au nouveau rôle que pourraient avoir les pharmaciens ? Dans l’état actuel du texte de loi, ces derniers pourront, sous certaines conditions, délivrer des médicaments, qui n’étaient accessibles en temps normal qu’avec une ordonnance. Seuls les traitements des pathologies bénignes, comme l’angine, sont concernés. Ils pourront aussi prescrire certains vaccins.

Des députés de l’opposition se sont inquiétés d’un « droit à la prescription », et certains syndicats de médecin n’ont pas non plus vu d’un bon œil cet amendement, qui avait été rejeté à l’automne dernier lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2019.

L’idée voulue par le projet de loi est de décharger le travail des médecins, et de désengorger les urgences et l’hôpital en favorisant les ponts avec la médecine de ville et ambulatoire. La libération du temps médical n’est pas sans poser des questions. Comment « bien encadrer cette délégation des tâches », s’interroge le sénateur-médecin Bernard Jomier, devant l’arrivée d’infirmiers de « pratique avancée » ou encore d’assistants médicaux.

La suppression du numerus clausus

S’il est une mesure qui peut faire consensus, c’est sans doute la disparition du numerus clausus dans les études de médecine (qui laissait chaque année des dizaines de milliers d’étudiants sur le carreau), et la fin de la première année commune aux études de santé (PACES) dès la rentrée 2020. L’objectif voulu par le ministère : augmenter de 20 % environ le nombre de médecins formés. Désormais, le nombre d’étudiants autorités à passer en deuxième année (il était d’un peu plus de 13 000 en 2018) sera décidé au niveau de chaque université, en lien avec les agences régionales de santé, suivant les besoins des territoires. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, l’a assuré : : « mettre fin au numerus clausus ne veut pas dire abandonner toute forme de régulation […] il y aura toujours une forme de sélection à la fin de la première année. »

Lors de l’audition au Sénat, plusieurs sénateurs et sénatrices se sont demandé avec quels moyens ces nouvelles places allaient être financées. Réponse du gouvernement : « les moyens sont en train d’être chiffrés ».

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