Proposition de loi pour modifier la loi Egalim : le “coup de semonce” des sénateurs

Proposition de loi pour modifier la loi Egalim : le “coup de semonce” des sénateurs

Le Sénat entame aujourd’hui un numéro d’équilibrisme politique entre critique de la loi Egalim et démarche "constructive" de correction de ses effets.
Louis Mollier-Sabet

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Les sénateurs Sophie Primas (LR), Daniel Gremillet (LR), Michel Raison (LR) et Anne-Catherine Loisier (UC) ont présenté aujourd’hui au Sénat leur rapport sur le suivi de l’application de la loi Egalim. Leur constat s’inscrit dans la série de reproches qui ont été faits à cette loi en expérimentation depuis un an maintenant. Les sénateurs annoncent le dépôt dans la soirée d’une proposition de loi "comportant des mesures d’urgence visant à corriger la loi Egalim de certains de ses effets pervers" et assurent ainsi vouloir "sauver l’esprit les états généraux de l’alimentation". Face à "l’urgence", Sophie Primas a demandé à Gérard Larcher que le texte soit examiné en janvier prochain.

Des mesures d’urgences : "On ne fait pas une anti-loi Egalim"

La présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas a insisté sur cette dimension pragmatique de la proposition de loi : "Il ne s’agit pas de revisiter la politique agricole française, nous prendrons le temps pour ça plus tard. Pour le moment, nous avons des entreprises qui ne tiendront pas jusqu’à l’année prochaine." Le premier moteur de la démarche des sénateurs est donc l’urgence de la situation : "La situation est trop grave pour faire de la politique politicienne" enchérit Michel Raison, co-rapporteur.

Le groupe de suivi de la loi Egalim au Sénat joue carte sur tables : le but est de cibler des cas particuliers où la loi a eu des effets pervers importants et prendre des mesures rapidement et pas de "faire une anti-loi Egalim" assure Sophie Primas. Le corollaire immédiat est donc que la proposition de loi soit rapidement être adoptée par l’Assemblée nationale, après être passée par le Sénat. Or les sénateurs n’ont a priori aucune garantie que la majorité acceptera d’amender sa propre loi. Pourtant, Sophie Primas se veut à la fois optimiste et accommodante : "Nous ne sommes pas sûrs que la proposition de loi passe telle quelle à l’Assemblée nationale, mais nous accepterons des modifications, il faut agir." Michel Raison acquiesce : "C’est une loi d’intérêt général, il n’y a pas de raisons qu’elle ne soit pas adoptée."

Les sénateurs "ne découvrent pas tout" et estiment que le gouvernement a fait preuve de "naïveté"

Mais quid donc des divergences avec le gouvernement ? "Le ministre de l’Agriculture le dit lui-même, "le compte n’y est pas", avance Sophie Primas, "nous partageons donc des constats". Mais sous le vernis des constats communs apparaissent vite des divergences de taille : "On ne découvre pas tout" concède Sophie Primas en ajoutant : "Le ruissellement par exemple, était une clause de naïveté." Le gouvernement entendait augmenter la rémunération des producteurs en donnant des marges supplémentaires aux distributeurs par l’augmentation de 10% du seuil de revente à perte. Ces marges supplémentaires étaient censées permettre aux distributeurs de revaloriser les tarifs accordés aux fournisseurs et donc aux agriculteurs par un mécanisme de "ruissellement" cher au gouvernement.

Un an après la loi, les inquiétudes des acteurs de la filière agricole et des sénateurs du groupe de suivi de la loi ne sont pas dissipées. Le bilan est sans appel pour Anne-Catherine Loisier : "Les agriculteurs ne sont pas mieux rémunérés". Le rapport du groupe d’étude avance même une diminution des tarifs accordés par les distributeurs aux industriels en 2019 de 0,4% : "les agriculteurs n’ont pas, pour l’instant, ressenti un quelconque effet de la loi" conclut le rapport.

Malgré cela l’heure n’est pas à la remise en cause de la logique globale de la loi pour Sophie Primas : "Je ne crois pas à l’augmentation du seuil de revente à perte, mais nous ne pouvons pas aller frontalement contre la loi."  D’autant plus que les sénateurs concèdent des difficultés d’application indépendantes de la volonté du gouvernement. Michel Raison rappelle ainsi à ceux qui l’auraient oublié que "nous sommes en économie de marché, ce n’est donc pas le gouvernement qui fixe les prix de vente." Par ailleurs, Sophie Primas admet que le Sénat aussi "avait probablement sous-estimé les difficultés des grandes enseignes", qui expliquent qu’elles aient capté toutes les marges accordées par cette loi. Pour elle, cette loi est donc aussi l’occasion d’envoyer un "coup de semonce" à la grande distribution en rappelant que si le législateur ne peut pas tout réglementer, il saura intervenir quand les acteurs économiques ne respecteront pas une certaine "morale" dans la conduite de leurs affaires.

L’assouplissement de l’encadrement des promotions

Ce "coup de semonce" peut-il ricocher sur le gouvernement ? Les sénateurs du groupe de suivi s’en défendent. Cette proposition de loi comportera donc simplement des mesures d’ajustement, notamment sur l’encadrement des promotions. La loi Egalim instaure en effet un encadrement en valeur des promotions, avec la fin des promotions du type "un produit acheté, un produit offert" et un rabais par conséquent limité à 34%. Mais la loi prévoit aussi un encadrement en volume des promotions, c’est-à-dire qu’une entreprise ne peut pas pratiquer de promotions sur plus de 25% de ses produits. Les sénateurs proposent de sortir "les produits saisonniers" de l’encadrement des promotions en volume. Ils catégorisent l’achat de ces produits comme un "achat impulsif" et qui a donc structurellement besoin de promotions pour continuer à exister.

Ensuite, la proposition de loi prévoit de permettre à la Direction générale de la concurrence (DGCCRF) d’exonérer certaines entreprises des obligations liées à l’encadrement des promotions au cas par cas, notamment si leur modèle commercial était basé sur la promotion comme moyen de publicité, comme c’est souvent le cas pour les PME qui n’ont pas accès à la publicité au niveau national.

Une clause de révision automatique des prix

Avec cette proposition de loi, les sénateurs attirent aussi l’attention du gouvernement sur les filières où la matière première représente une part importante des coûts de production, comme la filière porcine. Dans ces filières très particulières, les sénateurs voudraient expérimenter une clause de révision automatique des prix lorsque le cours de la matière première en question fluctue. Actuellement ces révisions sont prévues mais les négociations peuvent durer et les changements de prix devenir effectifs assez tardivement. Daniel Gremillet explique ainsi que "pour énormément d’entreprises, l’accord censé entériner la hausse tarifaire conformément à la hausse des matières premières n’est actuellement toujours pas conclu."

Dans la filière porcine, où le prix du porc a augmenté de 45% depuis le début de l’année, les délais de négociation sont un vrai problème pour les producteurs. Par conséquent, si les sénateurs reconnaissent la "complexité" de la mesure, ils en affirment encore une fois le caractère urgent : "Nous n’avons pas le choix" résume Michel Raison.

Le titre II : la loi Egalim, le retour

Enfin, les sénateurs ont rappelé que leur rapport ne concerne que le titre I de la loi Egalim. Et Laurent Duplomb (LR) annonce la couleur : "Le rapport que nous rendrons sur le titre II augmentera les charges, avec une décroissance du revenu des agriculteurs", en pointant du doigt "l’interdiction des remises sur les produits phytosanitaires" ou "les contraintes supplémentaires sur le bien-être animal".

Au sommaire de ce titre II figure aussi l’article 44 évoqué plusieurs fois par les sénateurs lors de cette conférence de presse. Daniel Gremillet y voit même un exemple inédit d’affirmation parlementaire dans la politique commerciale et les traités de libre-échange. L’article prévoit que les produits agricoles importés en France, qu’ils soient européens ou extra-européens doivent être soumis aux mêmes exigences réglementaires que les produits français : "On ne peut pas trahir les paysans et tromper les consommateurs" résume-t-il. En évoquant cette mesure, les sénateurs semblent avoir la ratification du CETA dans le rétroviseur : "Nous n’avons pas encore de date ?" demande Michel Raison à la volée. À question rhétorique, réponse simple : "Non" lui répond Sophie Primas.

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