Quand Jules Ferry menait une commission d’enquête sénatoriale sur la colonisation en Algérie
La grande œuvre de Jules Ferry est incontestablement les lois scolaires des années 1880 qui ont enraciné la République en France. Mais le fondateur de l'École gratuite, laïque et obligatoire, a aussi passé la fin de sa vie au Sénat (1891-1893), où il a principalement travaillé sur la colonisation, l’autre grande question politique des années 1880-1890.

Quand Jules Ferry menait une commission d’enquête sénatoriale sur la colonisation en Algérie

La grande œuvre de Jules Ferry est incontestablement les lois scolaires des années 1880 qui ont enraciné la République en France. Mais le fondateur de l'École gratuite, laïque et obligatoire, a aussi passé la fin de sa vie au Sénat (1891-1893), où il a principalement travaillé sur la colonisation, l’autre grande question politique des années 1880-1890.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

En tant que chef des Républicains modérés, Jules Ferry est la grande figure de la colonisation de la fin du XIXe siècle, période marquée par l’expansion coloniale française. L’exception notable à ce timing reste l’Algérie, conquise dans les années 1830 et dont la gestion fait déjà débat tout au long du XIXe siècle.

Les anticolonialistes sont rares à l’époque, ce n’est donc pas la colonisation en elle-même qui fait débat. Mais plutôt les modalités de la politique coloniale française en Algérie et de la gestion et de l’administration des possessions françaises,

« Commission d’enquête » face à la « crise algérienne »

Quand Jules Ferry est élu sénateur des Vosges le 4 janvier 1891, l’administration algérienne est mise en cause par le rapporteur du budget de l’Algérie au Sénat, Louis Pauliat. L’administration coloniale est accusée de dilapider les subsides de la métropole et son chef, le gouverneur général Louis Tirman, doit démissionner.

Le sénateur des Vosges demande donc la constitution d’une « grande commission d’enquête à l’anglaise »[1] pour faire la lumière sur l’administration de l’Algérie et proposer des nouvelles orientations pour la politique coloniale française, qui permettraient de réussir les « réformes nécessaires ». Son poids politique lui permet d’obtenir la création d’une commission sénatoriale d'étude des questions algériennes, dont il prend la présidence le 17 mars 1891.

Cette « commission sénatoriale d'Étude » est effectivement une commission d’enquête avant l’heure : les 18 sénateurs qui y siègent auditionnent de nombreuses personnalités à Paris et envoient une délégation en Algérie. Sept sénateurs, conduits par Jules Ferry lui-même, mènent ainsi un voyage d’enquête de 53 jours (du 19 avril au 4 juin 1892) et parcourent 4 000 km afin de recueillir les avis des colons et des musulmans.

Les évolutions de la politique coloniale défendue par Ferry

Le travail effectué par Jules Ferry dans cette commission semble avoir modifié sa vision de la politique coloniale à conduire en Algérie, comme il l’explique lui-même dans le rapport rendu en 1892 : « éclairés par l’expérience et mieux informés que nous ne l’étions alors des choses d’Algérie », les sénateurs de la commission pensent avoir compris qu’en menant une politique d’assimilation, ils avaient « péché par esprit de système ».

Dans ce rapport, Jules Ferry prend position contre la politique de peuplement en Algérie : « L’erreur fondamentale en ce qui touche l'Algérie, c'est d'avoir voulu y voir autre chose qu'une colonie. » Globalement Ferry regrette le manque d’adaptation de l’administration coloniale aux règles indigènes, notamment en termes de justice.

Le code des forêts français sanctionne par exemple lourdement l’élevage sur des terres appartenant à d’autres, une logique destinée à la société agricole française du XIXè siècle. Or dans un pays où l’élevage est beaucoup plus nomade, ces règles servaient, d’après le rapport, surtout à sanctionner les éleveurs musulmans, dont les amendes étaient une source de revenus importante pour les colons.

En bref, Jules Ferry martèle dans son rapport « [qu’]il n'est peut-être pas une seule de nos institutions, une seule de nos lois du continent qui puisse s'accommoder sans modifications profondes [à l'Algérie]. »

Un travail interrompu par la mort de Ferry

Ce rapport n’est pas le premier à faire des préconisations sans que celles-ci aboutissent immédiatement. Ce qui pouvait donner espoir aux membres de la commission, c’était la place de Ferry dans la majorité : il ne participe plus aux gouvernements depuis l’affaire du Tonkin de 1885 et ses passes d’arme avec Clémenceau, mais il reste une figure des Modérés, un groupe clé de la majorité républicaine.

C’est ce poids symbolique et politique qui lui permet d’être élu président du Sénat le 24 février 1893 et qui aurait pu lui permettre de mettre en place les réformes détaillés dans le rapport de la commission d'étude des questions algériennes. Seulement, à peine entré en fonction, Jules Ferry meurt le 17 mars 1893, deux ans exactement après la formation de cette « commission d’enquête », qui devient ainsi le testament politique du président du Sénat au mandat le plus court de l’histoire.

Partager cet article

Dans la même thématique

107th anniversary of the 1918 Armistice
3min

Politique

Sondage : Sébastien Lecornu reste beaucoup moins impopulaire qu’Emmanuel Macron

L'impopularité du Premier ministre est bien moindre que celle du chef de l’Etat : Sébastien Lecornu bénéficie de 35% d’opinions favorables contre 21% pour Emmanuel Macron, selon le dernier baromètre Odoxa de décembre 2025. Cet écart s'est même creusé, puisque le locataire de Matignon a progressé de 5 points depuis octobre tandis que le président stagne.

Le

3min

Politique

Municipales : le front « anti-LFI » désormais plus fort que le front « anti-RN »

59% des Français sont disposés à se reporter sur un candidat qui ne bénéficie pas de leurs faveurs politiques afin d'empêcher LFI de l’emporter aux prochaines municipales. Ce chiffre dépasse de loin les 44% qui se disent prêts à faire de même contre le RN, selon un sondage Odoxa pour Public Sénat et la presse régionale. C’est au sein de la droite et du centre que le sentiment anti-LFI s’exprime avec le plus de force.

Le

Buste de Marianne
2min

Politique

Sondage : 76% des Français s’intéressent aux prochaines municipales

Comme lors des précédentes élections municipales, le thème de la « sécurité et de la lutte contre la délinquance » se dégage largement comme prioritaire pour 50% des Français interrogés, en particulier chez les sympathisants de droite et d’extrême droite, dans un sondage Odoxa pour Public Sénat et la presse régionale. La santé et le niveau des impôts locaux suivent, avec 35% de citations chacun.

Le

Quand Jules Ferry menait une commission d’enquête sénatoriale sur la colonisation en Algérie
4min

Politique

Budget : « Nous avons tout à fait matière à trouver le compromis », estime la ministre de l’Action et des Comptes publics

Adopté sans surprise par les sénateurs, le projet de loi de finances éveille malgré tout des crispations au sein de la Chambre haute, le chiffre du déficit avoisinant désormais les 5,3% du PIB, loin de la volonté de la majorité sénatoriale de le contenir à 4,7%. La pression s’accroit et se déporte désormais sur la commission mixte paritaire qui se tiendra les 19 et 20 décembre.

Le