Quand Victor Hugo défendait l’abolition de la peine de mort au Sénat

Quand Victor Hugo défendait l’abolition de la peine de mort au Sénat

Victor Hugo était d’abord un écrivain et, à ce titre, il a mené nombre de ses combats par la création littéraire. Il a cependant passé les dix dernières années de sa vie au Sénat en y défendant par des amendements et des propositions de loi ce qu’il défendait par le style et la plume. Dont la peine de mort, un siècle avant Robert Badinter.
Louis Mollier-Sabet

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En pleine crise politique, après le 16 mai 1877, c’est un Président de la République monarchiste, le général Mac Mahon, qui demande un « avis conforme » au Sénat pour dissoudre une Chambre des députés trop républicaine à son goût.

Victor Hugo siège alors à l’extrême-gauche de l’hémicycle du Palais du Luxembourg et appelle les sénateurs à voter contre cette dissolution. Il défend le Sénat comme une institution de la République : « Faut-il un Sénat ? Messieurs, j'y insiste. Il dépend aujourd'hui du Sénat de pacifier la France ou de troubler le monde. »

De la droite orléaniste à la gauche radicale

Pair de France dans la Chambre Haute de la monarchie de Juillet (1845-1848), Victor Hugo renouvelle l’expérience en se faisant élire sénateur de la Seine en 1876, sous le parrainage, cette fois, de la gauche radicale parisienne et de Georges Clemenceau. Il restera à l’extrême-gauche du Sénat jusqu’à sa mort en 1885.

Cette transition politique d’une droite orléaniste et libérale à la gauche radicale et socialiste peut surprendre. Robert Badinter pensait, lors d’un colloque au Sénat en 2002, y déceler une certaine cohérence : « A la recherche de l'unité de cette destinée tumultueuse, je crois avoir trouvé la clef. La clef, chez Victor Hugo, c'est la passion de la justice. »

Le Sénat « bouclier » de la justice

L'action de Victor Hugo au Sénat racontée par Jean-Pierre Sueur
03:24


Cette passion de la justice irrigue bien-sûr l’ensemble de la littérature hugolienne, mais l’auteur du Dernier jour d’un condamné l’a aussi incarnée dans l’espace public et le jeu politique.

C’est même le rôle que Victor Hugo voulait conférer au Sénat dans l’interprétation des lois constitutionnelles encore fraîches de 1875, comme en témoigne la suite de son discours de juin 1877 : « La France est aujourd'hui désarmée en face de toute la coalition du passé. Le Sénat est son bouclier. Non, le passé ne prévaudra pas. Eut-il la force, nous avons la justice, et la justice est plus forte que la force. »

L’abolition de la peine de mort

Son combat contre ce qu’il appelait le « meurtre légal » traverse autant sa vie littéraire que sa vie politique. Victor Hugo a multiplié les interventions auprès de chefs d’Etat pour demander la grâce de condamnés à mort tout au long du XIXè siècle : en France, bien-sûr, où il réussit à faire gracier Armand Barbès en 1839, mais aussi aux Etats-Unis ou en Belgique.

Fraîchement élu à l’Assemblée constituante de 1848, il y défend des amendements pour étendre l’abolition de la peine de mort à tous les types de crimes et pas simplement aux motifs politiques, comme l’a finalement fait la IIè République (1848-1852). Plus de 30 ans plus tard, au Sénat de la IIIè République, le même Victor Hugo défend une proposition de loi pour l’abolition « pure, simple et définitive de la peine de mort ». Conscient qu’il jetait alors ses dernières forces dans la bataille, il concluait : « Heureux si l'on peut dire de lui : en s'en allant, il emporta la peine de mort. »

L’amnistie des Communards

Si Victor Hugo n’a jamais « emporté » la peine de mort, il a remporté son autre grand combat sénatorial : l’amnistie des communards. Tout comme en 1848, l’écrivain n’a jamais soutenu l’insurrection armée de 1871, mais il a toujours œuvré pour une solution politique : au plus fort des combats entre « Versaillais » et « Communards » en mars 1871, il avait supplié le gouvernement de Versailles de ne pas répondre à l’exécution de 64 otages par la Commune. Six mille insurgés avaient finalement été exécutés. 

Fidèle à ses convictions abolitionnistes, Victor Hugo mène donc au Sénat le combat que Georges Clemenceau mènera à la Chambre : celui de l’amnistie des Communards, dont plusieurs milliers ont été déportés et une centaine condamnés à mort. Le 21 mars 1876, quelques semaines après son élection, Victor Hugo dépose en effet une proposition de loi d’amnistie au Sénat, dans le but « d’effacer toutes les traces de la guerre civile ». Cette première tentative restera infructueuse, mais ouvre la voie à la loi d’amnistie générale promulguée le 11 juillet 1880, avec l’accord, cette fois, des Républicains modérés.

Un avant-gardiste au Sénat

Le Sénat a donc été le théâtre politique de la passion de la justice hugolienne, mais on voit bien avec l’exemple de l’amnistie des Communards, à quel point cette « passion de la justice » est aussi une passion de la justice sociale.

C’est ainsi que Robert Badinter, en 2002, salue l’avant-gardisme d’Hugo dans le Sénat tertio-républicain : « Ce pair de France, cet académicien choisira de déclarer à la Haute Assemblée d'aristocrates et de nantis dans laquelle il siège, entre le comte de Montalembert et le maréchal Soult : « Messieurs, je le dis avec douleur, le peuple porte, plus que toutes les autres classes, le poids de la pénalité. Ce n'est pas sa faute. Pourquoi ? Parce que les lumières lui manquent d'un côté, parce que le travail lui manque de l'autre. D'un côté, les besoins le poussent, de l'autre, aucun flambeau ne l'éclaire. » 

Il est vrai que de telles paroles dans le Sénat des débuts de la IIIe République, dont tous les sièges ne sont même pas encore pourvus par une élection, paraissent en avance à la fois sur leur époque et sur l’institution.

 

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