« Qui mène les politiques publiques ? » : la question au cœur de la commission d’enquête du Sénat sur les cabinets de conseil

« Qui mène les politiques publiques ? » : la question au cœur de la commission d’enquête du Sénat sur les cabinets de conseil

La commission d’enquête sur « l’influence croissante des cabinets de conseils privés », demandée par le groupe communiste du Sénat, est maintenant sur les rails. L’élection présidentielle, qui risque d’écraser tous les sujets d’actualité, contraint les sénateurs à organiser leurs auditions pendant dix semaines.
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La dernière publication d’ampleur sur le recours par l’Etat aux « conseils extérieurs » remonte à 2014. Saisie par la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes s’était penchée sur le sujet. Depuis, plus rien, ou presque. Le sujet est passé sous les écrans radars avant de revenir sous le devant des projecteurs en 2020, quand le ministère de la Santé a décidé de confier à ces cabinets de conseils comme McKinsey l’organisation logistique de la campagne de vaccination contre le covid-19. C’est dans ce contexte qu’est née la commission d’enquête sénatoriale « sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ».

Cette thématique a été choisie par le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), qui a fait usage de son droit de tirage annuel. La conférence des présidents n’avait donc plus qu’à en prendre acte le 2 novembre. Le 25 novembre, la commission d’enquête s’est installée, en élisant la présidente du groupe CRCE, Éliane Assassi, rapporteure, et le sénateur LR Arnaud Bazin, président.

Dix semaines d’auditions, qui débutent le 2 décembre

Comme pour la commission d’enquête sur la concentration des médias, née le même jour, cette nouvelle commission d’enquête se donne comme objectif de rendre son rapport au cours du mois de mars 2022, c’est-à-dire éloigné du mieux possible du premier tour de l’élection présidentielle (10 avril) pour ne pas être éclipsé. Les commissions d’enquête n’ont qu’une durée de vie de six mois, maximum. Le cycle des auditions s’annonce très contraint, le président Arnaud Bazin a annoncé qu’elles s’étaleront sur dix semaines.

Elles débuteront dès cette semaine, jeudi 2 décembre, avec la venue de Thierry Lambert, le délégué interministériel à la transformation publique, mais aussi du sociologiste et politiste Frédéric Pierru. Ce chercheur au CNRS s’est notamment fait connaître pour ses nombreux ouvrages sur les politiques de santé et l’hôpital.

La liste des contrats dans le viseur de la commission d’enquête

Une mission d’information, menée par la députée LR Véronique Louwagie, avait dévoilé que 28 commandes ont été adressées à 7 cabinets de mars 2020 à février 2021, pour un montant prévisionnel de 11,35 millions d’euros. En actualisant cette donnée avec la période écoulée depuis février, le montant global des prestations se chiffrerait à 25 millions d’euros, selon La Lettre A.

La recherche du montant global de ces prestations, tous ministères confondus, sera l’une des interrogations de la commission d’enquête. En 2014, la Cour des comptes avait reconnu qu’il lui était « délicat » de formuler une estimation globale, ces dépenses ne faisant pas l’objet d’un suivi particulier. De ce point de vue, la commission d’enquête devrait tirer parti de ses pouvoirs. Elle ne possède pas seulement le droit de pouvoir convoquer une personne et de l’entendre sous serment, elle dispose aussi d’un droit de communication de documents. Le sénateur Arnaud Bazin l’a souligné, lors de la réunion constitutive, la commission fera usage de cette prérogative pour obtenir « notamment la liste des contrats signés avec les cabinets de conseil ».

Si la logistique autour des campagnes vaccinales sera l’un des exemples concrets saillants des travaux à venir, il ne sera pas le seul pour autant. Pour Éliane Assassi, les contrats conclus par le ministère de la Santé avec des cabinets de conseil ne constituent que « la partie visible de l’iceberg » dans la « masse avérée ou supposée de l’intervention d’acteurs privés extérieurs ». « Cela fait des années que l’externalisation de travaux, pourtant au cœur des décisions gouvernementales ou de la haute administration, s’est développée », a-t-elle expliqué au moment de l’installation de la commission.

Une « privatisation de l’organisation des politiques publiques »

Les travaux ne se limiteront pas à une cartographie précise des différentes interventions de ces cabinets, sollicités pour du conseil en stratégie, en communication, en informatique, l’accompagnement de projets, l’aide à l’évaluation ou la mise en œuvre de politique, ou encore des audits financiers. Face à ce qu’elle nomme une « privatisation de l’organisation des politiques publiques », la rapporteure Éliane Assassi entend répondre à une question jugée essentielle par son groupe : quels sont le rôle et l’influence de ces cabinets de conseil dans la prise de décision. « Qui mène des politiques publiques ? Un gouvernement et l’État qu’il dirige ou des prestataires privés dépourvus de toute légitimité démocratique ? » s’est-elle interrogée jeudi dernier.

La commission d’enquête veut également examiner dans quelles conditions ces cabinets sont amenés à intervenir et comment est évalué leur travail. De ce point de vue, la Cour des comptes s’était montrée particulièrement inquiète il y a sept ans. « Il existe des marges d’efficience non négligeables, dans la définition du besoin et dans la tarification des prestations », pouvait-on lire dans son rapport. Avant d’ajouter, à la page suivante : « Les prestations de conseil sont insuffisamment évaluées par leurs bénéficiaires qui ne se mettent pas en condition d’utiliser au mieux les résultats ».

La rapporteure Éliane Assassi ne veut « pas adopter de posture politicienne »

D’autres points ont été énoncés par la rapporteure. Éliane Assassi veut poser la question des possibles conflits d’intérêts de ces cabinets, au service d’une variété de clients, ou encore se pencher sur le phénomène du « pantouflage » au gouvernement, cette pratique qui consiste pour des responsables publics à se reconvertir dans le privé, et notamment dans le conseil. Sur ce sujet de la déontologie également, la Cour des comptes avait insisté sur l’existence de « marges de progrès ». « Nous examinerons également les questions liées à la souveraineté », a promis la rapporteure, laquelle rappelle que « bon nombre de ces prestataires extérieurs sont des sociétés étrangères ».

L’étendue des possibles est large. Malgré « l’enjeu démocratique » que pose le thème de la commission d’enquête, la sénatrice communiste a annoncé la semaine dernière qu’elle ne souhaitait « pas adopter de posture politicienne ». « Le sujet est tellement important, sérieux et riche que la caricature n’est pas nécessaire », a également rappelé Arnaud Bazin.

» À lire aussi : McKinsey, Citwell, Accenture… Ce que l’on sait des commandes passées par le gouvernement à des cabinets de conseil

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