Recentralisation du RSA en Seine-Saint-Denis : « Grande victoire » ou « solution de facilité » ?

Recentralisation du RSA en Seine-Saint-Denis : « Grande victoire » ou « solution de facilité » ?

Le gouvernement se dit prêt à expérimenter une renationalisation du RSA en Seine-Saint-Denis. Une victoire pour les élus du département qui réclament cette mesure depuis des années. D’autres départements y voient au contraire « une mauvaise solution » menaçant leurs compétences. 
Public Sénat

Par Héléna Berkaoui

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« C’est une grande victoire » pour le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel. La crise sanitaire, sociale et économique semble avoir rebattu les cartes dans un des dossiers les plus sensibles l’opposant à l’État. Le financement du RSA pourrait ainsi connaître une renationalisation dans le département le plus pauvre de France métropolitaine, répondant à une revendication de longue date. 

En 2020, le montant du reste à charge pour le département devrait s’élever à 215,2 millions d’euros (contre 188 millions d’euros en 2018), si ce n’est plus avec les effets de la crise. Cette dépense se jauge au regard du budget global du département s’élevant, lui, à environ 530 millions d’euros. 

Une asphyxie financière reconnue par le chef du gouvernement qui s’est dit prêt à expérimenter une renationalisation du RSA en Seine-Saint-Denis, comme le révèle Le Monde. « Je considère que l’on ne peut pas continuer à faire peser sur le contribuable local une dépense de solidarité nationale », estime le Premier ministre. L’expérimentation devrait démarrer au 1er janvier 2022. La Seine-Saint-Denis ne serait pas la première à connaître une recentralisation du RSA, ce fut le cas en janvier 2019 pour trois départements ultramarins : la Guyane,  Mayotte et la Réunion. 

Pour mémoire, c’est en 2004 que l’État a fait le choix de transférer aux départements la gestion des aides individuelles de solidarité (RSA, allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap). « J’ai toujours pensé que le territorialisme pour ce qui relève de la solidarité nationale était une erreur. En 2004, certains n’étaient pas mécontents de récupérer cette compétence mais d’un département à un autre les effets n’ont pas été les mêmes », analyse Philippe Dallier, sénateur LR de Seine-Saint-Denis. 

Même constat, pour Stéphane Troussel (PS) : « Dès l’origine, nous disions que le transfert du paiement de cette allocation allait affaiblir les capacités financières du département. Cela affaiblit nos capacités d’investissement en matière d’insertion notamment et crée de grandes inégalités entre les départements ». Comme il le souligne, la Seine-Saint-Denis alloue, en proportion, plus du double de ses ressources aux dépenses d’allocations individuelles de solidarité (AIS) que les Hauts-de-Seine. 

Les élus de Seine-Saint-Denis restent néanmoins prudents sur cette expérimentation. « Le diable sera dans les détails », prédit Philippe Dallier pour qui les modalités de cette renationalisation seront à observer de près. « Il faudra reposer la question au niveau national », estime également le sénateur de Seine-Saint-Denis soulignant que d’autres départements se retrouvent également avec des restes à charge pesant lourdement sur leurs finances. 

Toujours sur la même ligne, le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis prévient : « Nous allons porter des exigences dans les négociations qui vont s’engager sur les modalités comme l’année de référence pour calculer le montant de la ressource à transférer ».

Le sujet divise néanmoins au sein de l’association des départements de France (ADF). Président du conseil départemental du Nord, Jean-René Lecerf porte une tout autre position et considère que la recentralisation du RSA est « une mauvaise solution » à plusieurs titres. 

« Ça va permettre une respiration mais ce n’est pas une solution d’intérêt général pérenne », pour Jean-René Lecerf. 

« Le département de la Seine-Saint-Denis connaît de grandes difficultés mais il n’est pas le seul. Dans mon département, le nombre d’allocataires du RSA a baissé parce que nous avons mené une politique volontariste extrêmement forte. À partir du moment où les départements ne se préoccuperont plus que de l’insertion, vous allez avoir une augmentation du nombre d’allocataires puisqu’il n’y aura plus de politique de proximité en matière de retour à l’emploi des allocataires », affirme-t-il. 

Pour Jean-René Lecerf, cette expérimentation représente donc une « solution de facilité ». « Ça va permettre une respiration mais ce n’est pas une solution d’intérêt général pérenne. Ça va bouleverser les mécanismes de péréquation qui sont calculés sur les dépenses des départements et la Seine-Saint-Denis risque d’être perdante ». Il redoute également que cette recentralisation empiète sur les compétences des départements. « On est en train de dépecer les départements », s’alarme-t-il. 

Comme le rappelle Jean-René Lecerf, ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement tente de réformer le financement du RSA. En 2016, Manuel Valls, alors Premier ministre, avait tenté sans succès de mener cette réforme. Les débats avaient notamment achoppé sur l'année de référence devant servir de base au calcul de la somme à reverser à l'État dans le cadre de cette recentralisation. « La majorité a fait échouer la négociation », pour Stéphane Troussel. Ce débat ne devrait manquer de reprendre pendant l’examen du projet de loi 3D qui concerne les questions de déconcentration des moyens de l'État, de différenciation territoriale et de décentralisation. 

Le sénateur LR du Nord, Marc-Philippe Daubresse, voit d’ailleurs dans cette démarche « une logique de recentralisation globale de l’État ». « C’est une erreur de ne pas laisser les départements piloter la politique de retour vers l’emploi des allocataires du RSA », juge-t-il. Le sénateur du Nord estime par ailleurs que cette recentralisation serait vaine « sans réforme structurelle du RSA ». 

Auditionné au Sénat en juin dernier, le président de l’association des départements de France, Dominique Bussereau, appelait à ce que le projet de loi 3D leur offre des pouvoirs plus étendus, notamment vis-à-vis des agences régionales de santé (lire ici). Au sujet du RSA, Dominique Bussereau avait simplement demandé au gouvernement « d’ouvrir le débat » sans s’étendre davantage. C’est pourtant lui qui, en 2016, avait mené le bras de fer face à Manuel Valls.

Si le débat risque d’être long, l’urgence liée à la crise sanitaire peut difficilement patienter. En Seine-Saint-Denis, la surmortalité due à l’épidémie a été plus significative qu’ailleurs et les conséquences économiques et sociales pourraient se révéler plus fortes qu’attendues. Avant la mise en place de l’expérimentation de la nationalisation du RSA, qui adviendrait en janvier 2022, Stéphane Troussel réclame la mise en place d’un fonds d’urgence pour faire face à l’effet ciseaux entre l’augmentation des dépenses sociales et les pertes de recettes fiscales.

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