Recherche : les sénateurs inquiets des « pressions politiques » de puissances étrangères

Recherche : les sénateurs inquiets des « pressions politiques » de puissances étrangères

La mission d’information sénatoriale sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire auditionnait cet après-midi Frédérique Vidal. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche est revenue sur les dispositifs prévus pour garantir « l’intégrité » de la recherche française et sur les éventuelles tentatives d’ingérence qui pouvaient menacer le monde universitaire français.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

C’est une « mission flash » que les sénateurs tentent de mener depuis le 6 juillet dernier à l’initiative du groupe RDPI de la majorité présidentielle, de l’aveu même d’Etienne Blanc, président LR de la mission d’information. Les sénateurs devront en effet rendre leurs conclusions « fin septembre » pour tenter de protéger la recherche française d’ingérences « extra-européennes. » Le sénateur du Rhône justifie d’emblée ces travaux parlementaires par la nécessité de « l’internationalisation de notre système universitaire pour le rayonnement de notre pays ». L’internationalisation prêtant mécaniquement le flanc à des tentatives d’ingérence étrangère : « La frontière entre le soft power et les pratiques agressives de certains Etats qui utilisent leur présence comme leviers géopolitiques est fine et la France constitue aujourd’hui une cible de choix. » André Gattolin, rapporteur RDPI de la mission d’information renchérit : « Le monde académique n’échappe plus à la brutalisation des relations internationales, il en est même partie prenante. »

Le dispositif « Potentiel scientifique et technique de la nation » (PPST)

Frédérique Vidal partage le diagnostic d’une internationalisation nécessaire de l’enseignement supérieur français et entend même la faciliter et l’accompagner : « L’attractivité doit être forte pour les étudiants internationaux, c’est pourquoi nous avons mis en place une politique de visas simplifiés et des frais d’inscription différenciés. Le but est d’accueillir un demi-million d’étrangers d’ici à 2027. »

Consciente des risques d’ingérence étrangère dans la production scientifique française que cela comporte, Frédérique Vidal défend « sans naïveté » les programmes de son ministère et notamment le dispositif « Potentiel scientifique et technique de la nation » (PPST), qui a pour but de protéger « les savoirs et savoir-faire stratégiques », ainsi que les « technologies sensibles. » Ce dispositif propose à « cadre réglementaire » aux établissements de l’enseignement supérieur qui seraient amenés à produire des recherches sur des domaines sensibles en mettant en place des « Zones à régime restrictif ». Ces zones de « protection juridique et administrative » concernent les recherches dont le détournement pourrait nuire aux intérêts économiques ou militaires de la Nation.

En clair, les secteurs sensibles de la recherche française peuvent opter pour cette classification, permettant aux laboratoires concernés qui le souhaitent, de notamment mettre en place des contrôles et des restrictions d’accès. Tout cela étant piloté par un « fonctionnaire sécurité-défense », habilité secret-défense, censé vérifier que tous les chercheurs impliqués ne mettent pas en péril « l’intégrité » de la recherche en question.

« Nous nous intéressons à des pressions politiques qui tentent d’infléchir une certaine narration nationale »

Le problème qui apparaît assez vite est que ce dispositif ne concerne que la recherche à haute intensité technologique. Frédérique Vidal le concède elle-même : « Sur des disciplines moins technologiques le travail est sûrement à amplifier, parce qu’il est vrai que la PPST ne concerne que les sciences dites dures. » Pourtant, André Gattolin explique : « Nous nous intéressons à des pressions politiques qui tentent d’infléchir une certaine narration nationale et qui met en cause la liberté académique voire l’intégrité scientifique de certains travaux. Ce n’est pas le rôle des hauts fonctionnaires défense-sécurité de s’intéresser à ça. »

Le rapporteur de la mission d’information développe : « Le problème, c’est quand certaines universités annulent sous des pressions politiques très claires, les visites du Dalaï-Lama ou des colloques sur la question de la population Ouïghour, de Taïwan ou de Hong Kong. C’est aussi le cas de la Turquie sur certains sujets. » Le sénateur de la majorité présidentielle ne veut pas accabler la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche dans une audition de toute façon très policée : « On ne dit pas que rien n’est fait, mais il n’y a pas de système de signalements sur cette dimension-là. »

La Chine est beaucoup citée, la Turquie un petit peu. Pierre Ouzoulias, sénateur communiste, tient tout de même à rappeler que les tentatives d’ingérence ne sont pas uniquement extra-européennes : « Je tenais à remercier Mme la ministre de son attitude quand – la Pologne pour ne pas la citer – était intervenue de façon très forte dans un colloque français pour donner sa vision de la participation de la Pologne à la Shoah. »

« Les référents et le collège déontologie »

Alors, que faire dans ces disciplines des sciences sociales où les problématiques semblent différentes, mais pas moins présentes ? Pour la ministre de l’Enseignement supérieur, la France possède déjà un avantage de taille : « Ce qui protège l’Enseignement supérieur et la recherche française, c’est qu’on ne dépend pas des droits d’inscription des étudiants internationaux. »

Le système public français serait donc déjà une protection a priori contre ce type d’ingérences « extra-européennes. » Mais quand un problème émerge néanmoins, la ministre tient à rappeler la mise en place récente du « collège de déontologie » : « Il y a un collège et des référents déontologie qui ont pour mission de recueillir ces témoignages, c’est une création récente, de 2018 ou de 2019. » Frédérique Vidal poursuit : « Quand on a des difficultés de ce type, il faut que les établissements puissent déporter le sujet et s’appuyer sur leur déontologue, qui peut lui-même s’appuyer sur le collège de déontologie. » Une création récente que les établissements de l’enseignement supérieur et les chercheurs doivent encore s’approprier : « Il faut prendre cette habitude. Cela fait partie des choses qu’il va falloir pousser. » On verra donc fin septembre ce que les sénateurs

Dans la même thématique

Recherche : les sénateurs inquiets des « pressions politiques » de puissances étrangères
8min

Politique

IA, simplification des formulaires, France Services : Gabriel Attal annonce sa feuille de route pour « débureaucratiser » les démarches administratives

En déplacement à Sceaux ce mardi dans une maison France Services, quelques minutes seulement après avoir présidé le 8e comité interministériel de la Transformation publique, le Premier ministre a annoncé le déploiement massif de l’intelligence artificielle dans les services publics, ainsi que la simplification des démarches. Objectif ? Que « l’Etat soit à la hauteur des attentes des Français ».

Le

Brussels Special European Council – Renew Europe
10min

Politique

Européennes 2024 : avec son discours de la Sorbonne 2, Emmanuel Macron « entre en campagne », à la rescousse de la liste Hayer

Emmanuel Macron tient jeudi à la Sorbonne un discours sur l’Europe. Si c’est le chef de l’Etat qui s’exprime officiellement pour « donner une vision », il s’agit aussi de pousser son camp, alors que la liste de la majorité patine dans les sondages. Mais il n’y a « pas un chevalier blanc qui va porter la campagne. Ce n’est pas Valérie Hayer toute seule et ce ne sera même pas Emmanuel Macron tout seul », prévient la porte-parole de la liste, Nathalie Loiseau, qui défend l’idée d’« un collectif ».

Le

Jordan Bardella visite Poste-Frontiere de Menton
5min

Politique

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau

Alors que la liste menée par Jordan Bardella (31.5%) devance de plus de 14 points la liste Renaissance, menée par Valérie Hayer (17%), selon le dernier sondage IFOP-Fiducial pour LCI, le Figaro et Sud-Radio, le parti de Marine Le Pen, mise désormais sur l’électorat âgé, traditionnellement très mobilisé pour les élections intermédiaires. Désormais deuxième force politique chez les plus de 65 ans (le RN conquiert 24% de cet électorat, 7 points de moins que Renaissance), la stratégie semble porter ses fruits. Décryptage avec le politologue Pascal Perrineau, professeur émérite à Sciences Po Paris et récent auteur de l’ouvrage Le Goût de la politique : Un observateur passionné de la Ve République, aux éditions Odile Jacob.

Le

Mairie de Paris, Jeux Olympiques 2024
4min

Politique

JO 2024 : les agents de sécurité privée vont-ils faire défaut ?

A trois mois des Jeux Olympiques, des incertitudes planent sur le nombre d’agents de sécurité privée mobilisés. Le préfet de police de Paris, Laurent Nunez indique « ne pas être inquiet pour l’instant ». Du côté des professionnels du secteur, on évalue un manque de 8 000 agents sur 40 000 nécessaires.

Le