Référendum d’initiative partagée : «L’exécutif souffle le chaud et le froid» selon Patrick Kanner

Référendum d’initiative partagée : «L’exécutif souffle le chaud et le froid» selon Patrick Kanner

Pour empêcher qu’un référendum d’initiative partagée soit lancé sur un texte en discussion, comme sur Aéroports de Paris, Edouard Philippe veut durcir la loi sur ce point, à l’occasion de la révision constitutionnelle. Patrick Kanner, à la tête des sénateurs PS, y voit de la « fébrilité ». Avec son homologue de l’Assemblée, Valérie Rabault, il a écrit au premier ministre pour être reçu.
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Accélérer et freiner en même temps. C’est un peu le sentiment que le gouvernement donne sur le référendum d’initiative partagée (RIP). Car si Emmanuel Macron veut l’assouplir, Edouard Philippe veut aussi durcir en partie cette disposition qui permet d’organiser un référendum avec le soutien de 185 parlementaires et 4,7 millions d’électeurs.

« Une minorité peut bloquer pendant neuf mois un texte voté par la majorité » dénonce Edouard Philippe

Le chef de l’Etat a proposé fin avril d’inverser le processus, afin que les citoyens soient à l’initiative du RIP, et non plus les parlementaires, tout en abaissant le seuil de soutiens à 1 million de personnes. Ce jeudi 23 mai, dans Le Monde, le premier ministre Edouard Philippe souhaite y apporter une condition restrictive, en empêchant qu’un RIP puisse être lancé sur une loi non promulguée. « Il faut faire en sorte que le RIP ne puisse pas porter sur des textes en discussion ou adoptés, ce qui était d’ailleurs l’intention du constituant de 2008 », sous Nicolas Sarkozy, souligne le locataire de Matignon.

Une réaction directe au RIP lancé par les oppositions contre la privatisation d’Aéroports de Paris. Le principe du RIP est organisé à l’initiative d’abord d’un cinquième des membres du Parlement, puis doit être soutenu par un dixième du corps électoral. Mais l’article 11 de la Constitution dit que le RIP « ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an ». Pour comprendre, il faut avoir en tête que la privatisation d’Aéroports de Paris est une disposition de la loi Pacte. Or les 248 députés et sénateurs avaient déposé la proposition de loi portant ce RIP la veille de l’adoption définitive de la loi Pacte par le Parlement… Donc bien avant sa promulgation. Une manière habile de profiter des textes, que le législateur de 2008 n’avait semble-t-il pas anticipée.

« Avec ce qui vient de se passer, une minorité peut bloquer pendant neuf mois un texte voté par la majorité, on crée un instrument de dysfonctionnement de la démocratie parlementaire » estime le premier ministre. Selon Le Monde, le délai pour déposer un RIP pourrait même être allongé à 3 ou 4 ans.

« Le Conseil constitutionnel nous a donné raison »

La sortie du premier ministre étonne le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, à l’initiative de cette procédure de RIP sur ADP. « L’exécutif souffle le chaud et le froid. Le Président veut assouplir les conditions d’accès au RIP. Et c’est tant mieux. (…) Et maintenant, c’est le premier ministre qui veut le durcir. Qui dit vrai ? » demande le président de groupe (voir la vidéo, images Jérôme Rabbier), qui insiste :

« On ne peut pas parler de respiration démocratique et en même temps vouloir tout faire pour que celle-ci ne s’exprime pas ».

Pour Patrick Kanner, « cette volonté de réduire l’accès témoigne d’une fébrilité du pouvoir exécutif et d’une manière assez autoritaire de gérer sa relation avec le Parlement ». Il s’inscrit « en faux sur cette notion de vide juridique. Le Conseil constitutionnel nous a donné raison » rappelle Patrick Kanner (voir notre article), « nous ne remettons pas en cause la place des parlementaires ».

Alors que le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, n’a toujours pas reçu les présidents de groupes favorables à ce RIP, Patrick Kanner annonce avoir écrit, avec son homologue du groupe PS de l’Assemblée, à Edouard Philippe : « Avec Valérie Rabault, nous avons décidé, il y a 48 heures, d’écrire au premier ministre pour nous recevoir, ou demander à son ministre de l’Intérieur de nous recevoir. J’espère que le Parlement sera respecté ». L’Intérieur, chargé maintenant de prendre un décret pour mettre en œuvre le recueil des signatures, et le Conseil constitutionnel « se renvoient la balle » regrette le sénateur du Nord (lire notre article).

« Ce pouvoir préfère un peuple soumis et privé de parole » dénoncent les sénateurs PCF

Dans un communiqué, le groupe CRCE (à majorité communiste) du Sénat, estime que « le gouvernement manœuvre et menace le RIP ». Il dénonce une attitude « scandaleuse et fortement à contre-courant des aspirations populaires ».

« Ce pouvoir préfère un peuple soumis et privé de parole » selon les sénateurs communistes, « c’est la leçon qu’il tire de ces derniers mois de bouillonnement politique et social : se protéger en réprimant sévèrement les manifestants, museler la presse et maintenant, éliminer les rares fenêtres démocratiques, si étroites, de la Constitution ».

« Risque à terme de paralysie de la démocratie » pour Gérard Larcher

Dans ce débat politico-juridique, le premier ministre se retrouve pour le coup soutenu par le président LR du Sénat, Gérard Larcher. « Si cette procédure devait prospérer, il y a un risque à terme de paralysie de la démocratie », selon Gérard Larcher, qui craint « une sorte de troisième tour ». Le président du Sénat, favorable à un abaissement du nombre de signatures, souhaite aussi que « soit réellement respecté » le fait « qu’on ne soumette pas à référendum un texte adopté par le Parlement dans un délai d’un an ».

Le sénateur UDI Philippe Bonnecarrère, qui a planché sur le RIP dans un rapport sénatorial, « partage » aussi la volonté du premier ministre « de revenir à l’esprit de la révision de 2008 ». « Je crois que le RIP sur ADP a été un coup politique habile. (…) Il n’en reste pas moins une belle "bêtise" pour les tenants de la démocratie participative, car il est l’antithèse, jusqu’à la caricature, de ce que devrait être une démocratie participative » pour le sénateur du Tarn, selon qui « il y avait très clairement, lors de la création du RIP en 2008, la volonté de répondre à une préoccupation de nos concitoyens » et non pas d’être « une initiative de groupes politiques minoritaires dans le vote ».

D’autres « solides incertitudes » à lever lors de la révision constitutionnelle

À l’origine, le RIP avait aussi été conçu avec de nombreux garde-fous qui l’ont rendu quasiment inapplicable. Une fois les deux filtres des soutiens de parlementaires et de Français atteints, le référendum n’a pas lieu automatiquement. Si l’Assemblée et le Sénat examinent le texte, le référendum n’a pas lieu. C’est pour répondre aux critiques sur ce RIP version Sarkozy qu’Emmanuel Macron a annoncé son assouplissement.

Pour Philippe Bonnecarrère, la réforme constitutionnelle, attendue cet été ou à la rentrée, sera aussi l’occasion de préciser un doute qui subsiste dans l’écriture de l’article 11. Ce doute porte sur l’examen par les deux assemblées, qui empêche le référendum. « Mais que veut dire examiner ? Dois-je comprendre qu’il y a un débat avec une discussion générale ? Qu’il y a un vote ? Qu’il faut un vote sur le fond ? Un examen dans les mêmes termes ? L’adoption d’une motion d’irrecevabilité vaut-il examen, ou au contraire, on considérerait qu’il n’y a pas d’examen dans ce cas précis ? Il y a de solides incertitudes » met en garde le sénateur du Tarn. De quoi nourrir les débats pour la révision constitutionnelle, qui sera l’occasion de préciser ce flou juridique. Histoire d’éviter, à l’avenir, toute polémique sur le recours au RIP.

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