Référendum : le climat n’est pas à la confiance entre les sénateurs et Emmanuel Macron

Référendum : le climat n’est pas à la confiance entre les sénateurs et Emmanuel Macron

Les sénateurs LR réagissent plutôt froidement à l’annonce d’Emmanuel Macron sur un référendum pour introduire la protection du climat dans la Constitution. Sans accord du Sénat, il est impossible de l’organiser. « On n’est pas obligés de céder à toutes les démagogies » prévient Muriel Jourda. « Qu’est-ce que la proposition apportera de plus que la Charte de l’Environnement, déjà de valeur constitutionnelle ? » demande Philippe Bas.
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Et revoilà la révision constitutionnelle. Emmanuel Macron a annoncé lundi soir devant la Convention citoyenne pour le climat son intention de convoquer un référendum sur l’introduction de la protection de l’environnement et du climat à l’article 1 de la Constitution. En juin dernier, lors de la remise des conclusions de la Convention, il avait déjà exprimé sa volonté de modifier la Constitution en ce sens. L’idée n’est pas nouvelle. Pour mémoire, lors de la première mouture de la réforme constitutionnelle, les députés avaient adopté un amendement pour inscrire la protection de l’environnement dans la Constitution. Mais le texte avait été stoppé net par l’affaire Benalla.

Selon l’article 89 de la Constitution, Emmanuel Macron pourrait passer par un vote des 3/5 du Congrès pour modifier la Constitution. Il préfère ici s’adresser au peuple, l’autre voie possible. Mais avant cela, le vote dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat est nécessaire. Les députés n’ont donc pas le dernier mot en matière de Constitution et le Sénat jouit, en somme, d’un droit de blocage. Petit rappel : le Sénat est à majorité LR-UDI et a donné du fil à retordre à Emmanuel Macron lors de la première révision constitutionnelle, finalement avortée

« Notre rôle n’est pas forcément de dire oui à tout, il faut voir quel sens ça a »

S’il est évidemment trop tôt pour connaître la position du Sénat, les premiers sénateurs LR contactés ce matin reçoivent l’annonce présidentielle pour le moins froidement, pour ne pas dire avec hostilité. Muriel Jourda, sénatrice LR de la commission des lois, a « peur que ce soit quand même de la communication ». « C’est un sujet très alléchant. Qui peut être contre ? Mais la protection de l’environnement passe par des mesures concrètes. Or la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, mode de production qui n’émet pas de CO2, est aberrante » dit-elle. La sénatrice n’est en réalité, pas loin de penser que l’annonce constitue un piège pour l’opposition. Mais « on n’est pas obligés de céder à toutes les démagogies » prévient-elle… « Notre rôle n’est pas forcément de dire oui à tout, il faut voir quel sens ça a », ajoute encore Muriel Jourda.

« On va voir ce qu’il y a dans ce texte, mais il est clair que je ne vois pas l’utilité d’un tel texte » affirme de son côté le sénateur LR Philippe Dallier. « Tout ça n’apporte rien, sauf au Président, pour redorer son blason ». Le sénateur de Seine-Saint-Denis pointe « une sorte de contre-feu », après la « déception » des membres de la Convention citoyenne. « Qu’est-ce que ça va apporter, si ce n’est de transférer au juge le pouvoir de décider sur des sujets qui relèvent du Parlement ? C’est l’air du temps » selon le sénateur. « Je me moque de la manière dont (un vote contre) sera perçu. Je suis sénateur, j’ai le pouvoir de dire oui ou non. Je le ferai en conscience. Je veux juger de l’intérêt de cette affaire. Et aujourd’hui, je considère qu’elle n’en a pas » tranche Philippe Dallier.

« Un accord est possible s’il n’y a pas derrière une ruse politicienne » prévient Bruno Retailleau

Les sénateurs LR se sont ensuite retrouvés pour la réunion de groupe hebdomadaire. Le temps visiblement d’accorder un peu leurs violons et de préciser leurs réponses. Interrogé en début d’après-midi, Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, semble se montrer alors un peu plus ouvert. « Je ne veux pas avoir de préjugé, ni d’a priori. J’attends de voir le texte et on verra s’il est utile ou pas » réagit Bruno Retailleau (voir la vidéo ci-dessus de Quentin Calmet). Mais il rappelle qu‘« on a déjà la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle »… (lire ici pour plus de détails)

Il continue : « Si c’est utile pour la France, pourquoi pas. Mais si c’est un coup politique en utilisant la Constitution, pour masquer un bilan écologique qui est mauvais… […] On ne se laissera rien imposer. Nous sommes indépendants et on ne laissera pas Emmanuel Macron faire une simple habileté, une ruse politique, si c’est pour cacher son bilan écologique qui est mauvais ». Bref, « cet accord est possible s’il n’y a pas derrière une ruse politicienne ». Ce qu’à peu près toute l’opposition affirme…

Philippe Bas se dit « constructif » et propose de compléter le texte par la question du vivre ensemble

L’ancien président LR de la commission des lois, Philippe Bas, qui suit toujours toutes ces questions de très près, affiche aussi, pour l’heure, sa bonne volonté. « Le Sénat abordera la proposition du chef de l’Etat de manière constructive. Il attend maintenant que celui-ci dévoile plus précisément ses intentions » réagit-il auprès de publicsenat.fr. Le questeur du Sénat attend maintenant quelques réponses aux « questions essentielles auxquelles il faudra répondre : qu’est-ce que la proposition apportera de plus que la Charte de l’Environnement, déjà de valeur constitutionnelle ? Est-ce un symbole qu’on agite ou un instrument juridique réellement utile pour sa valeur ajoutée ? Quelles seront les implications du texte sur la constitutionnalité des lois votées par le Parlement ? »

Philippe Bas va plus loin. Car le sénateur de la Manche évoque l’idée d’une réforme constitutionnelle plus ambitieuse. « Si l’on touche aux principes fondamentaux de la Constitution à l’article 1er, ne faut-il pas aussi traiter la question de la cohésion nationale et du vivre ensemble, aujourd’hui menacé par le communautarisme ? Compléter alors la prise en compte de l’impératif climatique par la prise en compte de l’impératif républicain, en écrivant que « nul ne peut se prévaloir de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ». C’est aussi une urgence pour la société française » dit-il, soit l’objet de sa proposition de loi constitutionnelle, adoptée par le Sénat en octobre. Autrement dit, « le Sénat n’hésitera pas à proposer les amendements qui lui paraîtront nécessaires » prévient Philippe Bas. Ce qui peut compliquer l’adoption du texte dans les mêmes termes par les deux assemblées…

Au sein de la majorité sénatoriale, c’est peut-être le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, qui semble le plus ouvert. « Sur l’intention, il n’y a aucune raison de s’opposer à ce qui est considéré comme étant un problème majeur dans notre société » dit le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, qui cependant tempère : « Encore faut-il que cela ne s’élève pas au-dessus des autres principes. Il y a la liberté d’entreprise, d’aller et venir ». Politiquement, il salue plutôt le coup : « Je trouve que le Président s’est sorti habillement d’une difficulté avec la Convention citoyenne ». Regardez :

« Il y a les annonces et la réalité des faits »

Si les sénateurs ne veulent pas s’opposer au texte (du moins pas tout de suite) et montrer patte blanche, plusieurs d’entre eux craignent quand même « un référendum cosmétique », comme le dit le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse. Ou si c’est un texte beaucoup plus contraignant, en restreignant les libertés fondamentales de notre droit, du droit d’entreprise, là désolé, il faut travailler le texte » prévient-il. L’ancien ministre souligne aussi le risque que le référendum se retourne contre celui qui pose la question :

Emmanuel Macron joue aux échecs et au poker. Mais il joue un sacré risque avec son bluff.

A gauche, le président du groupe PS souligne qu’« il y a les annonces et la réalité des faits » (voir la vidéo ci-dessous). Car « il y a un autre symbole aujourd’hui : la publication au Journal officiel de la loi sur les néonicotinoïdes (pesticides tueurs d’abeille qui sont à nouveau autorisés temporairement, ndlr). C’est ballot… » constate le sénateur PS du Nord. « Emmanuel Macron chercher donc à faire une manœuvre » pense Patrick Kanner. Si son groupe pourrait être prêt à voter le texte – « on ne va pas se déjuger » - l’ancien ministre rappelle que le gouvernement a rejeté la proposition de loi socialiste « qui reconnaît le crime d’écocide » comme leurs six amendements au budget qui intégraient des mesures de la Convention citoyenne.

« Vous imaginez un référendum à l’automne 2021, alors qu’on sera dans la présidentielle ? »

Le passage par le Sénat ne sera pas le seul écueil pour le gouvernement. Il y a aussi le calendrier. « C’est un peu difficile à dire » a reconnu le premier ministre Jean Castex, sur Europe 1. « Evidemment, c’est ce contexte sanitaire qui déterminera l’échéance du référendum » dit-il. Le référendum se tiendra avant la fin du quinquennat… « si possible, bien entendu ».

Il faut compter le temps d’examen par les deux chambres, sachant que la navette n’a pas de limite pour modifier la Constitution… Puis viendra le référendum, alors que les régionales et départementales seront organisées en juin (si tout va bien), et la présidentielle au printemps 2021. Ce qui laisse comme fenêtre de tir l’automne 2021. Une hypothèse qu’on évoque du bout des lèvres dans les ministères. « Académiquement (sic), ça pourrait être à l’automne. Mais sous grande réserve que la navette entre l’Assemblée et le Sénat ne soit pas infinie… » glisse-t-on de source gouvernementale.

Pas sûr que ce calendrier convienne à l’opposition. « Vous imaginez un référendum à l’automne 2021, alors qu’on sera dans la présidentielle ? » demande Philippe Dallier. De quoi faire une belle rampe de lancement pour Emmanuel Macron en vue de 2022… « La ficelle est très grosse » s’étonne Patrick Kanner.

« Chacun est bien conscient que tout ça va faire pschitt » selon Roger Karoutchi

Roger Karoutchi, qui s’y connaît en matière de révision constitutionnelle pour avoir suivi de près celle de 2008 au ministère des Relations avec le Parlement, pense lui que l’annonce n’ira tout simplement pas au bout. « Chacun est bien conscient que tout ça va faire pschitt. Ça n’a strictement aucun intérêt de se battre là-dessus car ça ne se fera pas » lance le vice-président LR du Sénat. Regardez :

« Le temps moyen, puisqu’il n’y a pas de limite sur la navette parlementaire entre Assemblée et Sénat pour obtenir un accord, est de 9 à 10 mois. Nous sommes en décembre 2020. On ne peut pas commencer ce travail avant février/mars 2021. On va faire quoi ? Un référendum à Noël 2021, trois mois avant la présidentielle ? » demande Roger Karoutchi. Pour le sénateur des Hauts-de-Seine, « c’est tellement peu crédible et inepte ». « Arrêtons de jouer avec la Constitution » lance-t-il.

Du gagnant-gagnant pour Emmanuel Macron ?

Vu du gouvernement, une autre lecture est possible. Avec ce référendum, l’exécutif peut y voir le moyen d’y gagner à tous les coups. Soit le référendum se fait et le oui l’emporte – le risque que le référendum se transforme en vote anti-Macron étant réduit, vu la question. Soit, il ne se fait pas, et le gouvernement rejettera la faute sur le Sénat. Pas sûr, en effet, que la Haute assemblée veuille faire à Emmanuel Macron ce cadeau d’un référendum clefs en main. Mais pour les sénateurs, rejeter le texte ne serait pas facile à assumer politiquement.

Hier, avant l’annonce d’Emmanuel Macron, un ministre, qui évoquait l’hypothèse du référendum, ne cachait pas sa dimension politique :

La force du référendum, c’est de dire à tous ceux qui nous cassent les oreilles en nous reprochant de ne rien faire sur l’écologie, que les Français trancheront. (un ministre)

« Avec le référendum, ce serait marrant. Les écolos vont voter contre ? » demandait le même ministre avec le sourire, avant d’ajouter : « Si on est joueur… on le fait ».

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