Réforme contestée de la police judiciaire : « La question du pilotage global doit être posée », défend le DG de la police

Réforme contestée de la police judiciaire : « La question du pilotage global doit être posée », défend le DG de la police

L’importante réorganisation administrative des services de police que prévoit le ministère de l’Intérieur en 2023 soulève déjà de nombreuses critiques, en particulier dans les rangs de la PJ. Auditionné par le Sénat ce mercredi, Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, a voulu mettre en avant la nécessité de repenser l’articulation des services et de mettre fin à un fonctionnement en silo. Sans parvenir à lever l’inquiétude de certains élus.
Romain David

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

La grogne contre la réforme de la police judiciaire prend de l’ampleur. Attendue en 2023, cette vaste réorganisation administrative soulève de vives inquiétudes chez les membres des forces de l’ordre, et même au-delà chez les magistrats et les avocats, devant ce que certains considèrent comme un démantèlement programmé de la PJ, pourtant chargée de traiter les crimes les plus graves et les plus complexes. Au cœur de l’été, les opposants se sont rassemblés au sein d’une « Association nationale de la police judiciaire » (ANPJ), hors cadre syndical, une situation inédite au sein des forces de l’ordre. Cette semaine, les manifestations se sont multipliées à travers plusieurs villes, dont Lille, Bordeaux, Marseille, Toulon ou encore Montpellier, réunissant à chaque fois plusieurs dizaines d’agents, debout devant leurs locaux respectifs, généralement silencieux et encapuchonnés en raison du devoir de réserve.

C’est peu dire que dans ce contexte, l’audition au Sénat de Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, ce mercredi 28 janvier, était particulièrement attendue. Devant les inquiétudes soulevées par la réforme, la Chambre Haute s’est dotée mi-septembre d’une mission d’information sur l’organisation de la police judiciaire. Le projet de réorganisation sur lequel planche le ministère de l’Intérieur entend mettre fin à la fragmentation des services et à un fonctionnement en vase clos, notamment en plaçant la police judiciaire et les unités chargées de la délinquance du quotidien sous une même autorité, celle d’un Directeur départemental de la police national (DDPN). L’objectif : rationaliser les moyens d’investigation et les effectifs. C’est du moins ce qu’a tenté de démontrer Frédéric Veaux devant les parlementaires.

Des services en perte de vitesse

« À ma connaissance personne ne semble contester le fait que notre organisation est très cloisonnée et centralisée, entraînant la cohabitation sur le même territoire de services qui relèvent de directions différentes, avec chacune son état-major, des bases de données qui ne sont pas toutes partagées, des outils de métier différents, des priorités et une stratégie qui leur sont propres », a constaté ce haut fonctionnaire. « Il en découle des conflits de compétence, positifs ou négatifs, des doublons et parfois des logiques de concurrence qui nous font perdre en efficience. » Autant de difficultés que de simples réaménagements organisationnels, à travers la publication ces dernières années de protocoles d’harmonisation des pratiques, ne suffisent plus à compenser. « Même si ces protocoles ont apporté un peu de fluidité, leur multiplication est révélatrice de la faiblesse de notre organisation. »

Pour appuyer sa démonstration, le directeur général de la police nationale n’a pas hésité à évoquer une baisse d’efficacité de la PJ, chiffres à l’appui. « Sur la période 2010-2019, les taux d’élucidation ont baissé de manière constante et significative : -12 points pour les violences non crapuleuses, -15 points pour les violences sexuelles, - 2 points pour les atteintes aux biens qui sont déjà faiblement élucidées, -16 points pour les infractions économiques et financières », a-t-il énuméré. « La hausse du nombre des enquêteurs n’a pas été suffisante pour enrayer cette crise », a-t-il souligné. « On ne peut pas réduire la crise à la seule question des moyens alloués, la question du pilotage global doit être posée, et ne pourra se résoudre dans le cadre de notre organisation actuelle qui doit évoluer. »

« Les effectifs de la direction centrale de la PJ ne seront pas mis à contribution pour traiter les stocks de procédure »

« Un des objectifs de la réorganisation est de rendre le travail des policiers plus simple et plus fluide », poursuit Frédéric Veaux. « Pas de concurrence entre services, renoncer à des actions conduites sur la base d’informations parcellaires détenues par chacune des directions, des réponses plus rapides de la chaîne hiérarchique, des possibilités d’évolution professionnelle plus faciles entre les filières, une politique de formation continue plus proche des besoins du terrain, des parcours de carrière pour disposer de profils plus polyvalents, des capacités de renforts plus importantes en cas de coup dur opérationnel… », fait-il valoir.

Enfin, face à ceux qui craignent de voir la délinquance du quotidien prendre progressivement le pas sur la traque du crime organisé dans les missions de la PJ, Frédéric Veaux s’est engagé à ce que « les effectifs relevant du périmètre de la direction centrale de la PJ ne soient pas mis à contribution pour traiter les stocks de procédure, et à ce qu’aucun agent de la PJ ne soit contraint de changer de métier ou de résidence administrative. »

Les sénateurs veulent attirer l’attention sur la crise des vocations

Bref, un tableau particulièrement prometteur de la restructuration qu’entend orchestrer Beauvau dans les prochains mois mais qui a laissé dubitatif une partie de l’auditoire. En particulier dans les rangs de la gauche. « J’ai été très mal à l’aise devant votre présentation. Si je résume : cette réforme a été très pensée. Circulez, il n’y a rien à voir ! », a vivement réagi Laurence Harribey, sénatrice PS de Gironde. « Tout cela fait penser à ces entreprises qui pensent qu’en changeant l’organigramme tout ira mieux. C’est une question beaucoup plus profonde d’adhésion, d’évolution des métiers. La question essentielle est celle des effectifs, de leur formation, ce que j’ai peu senti dans vos propos », a-t-elle pointé.

Du côté de la droite, sans nécessairement condamner les principes de la réforme, on s’interroge également sur une possible crise des vocations : « J’ai plutôt l’impression que la PJ, qui était à l’intérieur de la police nationale une activité noble et recherchée, est aujourd’hui délaissée. Si je le dis, c’est parce que j’entends les procureurs, certains directeurs départementaux, certains responsables régionaux… », a confié le sénateur LR de la Manche Philippe Bas. « Ce n’est pas une réorganisation, même bien faite, qui règle ce type de problème, c’est une réflexion sur la carrière, le métier et peut-être même ses avantages en contrepartie des contraintes particulières qu’il impose », glisse-t-il. « Il y a sans doute un changement de culture dans la capacité de vouloir s’investir 7j/7, 24h sur 24h. il y a aussi probablement un problème de statut, de rémunération et de reconnaissance des difficultés compte tenu de l’engagement que cette partie de la police nécessite. Mais c’est un autre sujet… », a renchéri François-Noël Buffet, le président de la commission des lois.

Une menace pour l’indépendance et l’impartialité des enquêtes ?

Parmi les principaux détracteurs de la réforme : François Molins, le procureur général près de la Cour de cassation. À plusieurs reprises, le magistrat a évoqué auprès des médias une menace pour l’indépendance de la justice, dans la mesure où les futurs Directeurs départementaux de la police nationale (DDPN), responsables de l’ensemble des services dans chaque département, seront directement dépendants du préfet. Ce mercredi, c’est le rapporteur Jérôme Durain qui se fait l’écho de cette inquiétude : « Est-ce qu’il n’y a pas un risque de voir l’autonomie de la PJ transformée en une capacité d’arbitrage par le DDPN, entre les affaires et le choix des dossiers, au détriment d’un travail d’enquête indépendant ? », a interrogé le socialiste. « Je n’ai jamais entendu dire que les préfets de police se mêlaient des enquêtes judiciaires. Ce n’est pas leur intérêt, ni ce qu’on leur demande. Ils ne sont pas évalués là-dessus, a encore tenté de rassurer Frédéric Veaux.

Dans la même thématique

European Parliament in Strasbourg
7min

Politique

Européennes 2024 : les sondages peuvent-ils encore bouger ?

Les rapports de force vont-ils rester globalement stables jusqu’au scrutin du 9 juin ? La liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann peut-elle dépasser celle de la majorité présidentielle de Valérie Hayer ? Marion Maréchal va-t-elle devancer la liste LR de François-Xavier Bellamy ? Les Français vont-ils se décider au dernier moment ? Eléments de réponses avec quatre sondeurs.

Le

France Migration
6min

Politique

Convocation de Mathilde Panot : pourquoi les poursuites pour « apologie du terrorisme » sont en hausse ?

La présidente des députés LFI, Mathilde Panot a annoncé, mardi, sa convocation par la police dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme » en raison d’un communiqué de son groupe parlementaire après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre. Depuis la loi du 13 novembre 2014, les parquets poursuivent plus régulièrement au motif de cette infraction. Explications.

Le