Réforme des institutions : un report qui arrange tout le monde

Réforme des institutions : un report qui arrange tout le monde

Alors qu’un accord est proche sur le fond, gouvernement et Sénat se renvoient la responsabilité d’un report, pour ne pas dire d’un abandon, de la réforme constitutionnelle. En réalité, son échec arrangerait députés et sénateurs, en évitant la réduction du nombre de parlementaires, et le gouvernement qui a d’autres priorités.
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Sénat et gouvernement n’ont jamais été aussi proches d’un accord sur la réforme constitutionnelle. C’est pour ça qu’elle est reportée… ou pire. C’est le paradoxe auquel la majorité présidentielle et le Sénat sont arrivés, après près de deux ans de discussions… Mercredi, lors de son discours de politique générale, le premier ministre Edouard Philippe a souligné être « proche d’un accord » avec le Sénat, sans qui la révision de la Constitution est impossible. Il a souligné « les gestes » faits à l’égard de la Haute assemblée – suppression de la partie sur le fonctionnement du Parlement, non-cumul dans le temps assoupli – pour mieux dénoncer les dernières résistances du Sénat sur le nombre de parlementaires.

« Nous continuerons à chercher à nous rapprocher », fait mine de vouloir le premier ministre, mais il prévient qu’il ne « mobilisera pas du temps parlementaire pour constater in fine le désaccord avec le Sénat ».

Lettre de Gérard Larcher au premier ministre

Gérard Larcher a pourtant écrit au premier ministre vendredi dernier, a appris publicsenat.fr auprès de plusieurs sénateurs. Une lettre qui liste les points de convergences.

« Il dit qu’il est ouvert, mais qu’il faut un accord sur tout » selon un sénateur. Un tout ou rien, qui bloquerait l’accord global, estime un membre du parti présidentiel. Au contraire, « c’est une manière de dire, si vous ne faites pas la réforme, ce n’est pas à cause de nous » décrypte un sénateur de droite.

« Un accord était possible »

Après le discours d’Edouard Philippe devant les députés, la réaction de Gérard Larcher ne s’est pas fait attendre. Il a dénoncé dans un communiqué le « renoncement » de l’exécutif. Et parle au passé : « Un accord était possible lors de la discussion parlementaire d’autant » que le Président du Sénat « a souligné d’importantes avancées ».

Gérard Larcher prévient : « Le Sénat ne saurait porter la responsabilité de ce report ». Le président LR du Sénat s’étonne de l’argument avancé par le premier ministre. Pour rappel, Emmanuel Macron fixe maintenant la baisse du nombre de parlementaires à 25% et Gérard Larcher à 20%. « Qui peut sérieusement croire que l’échec de cette révision pourrait trouver sa source dans une différence de 35 députés et de 20 sénateurs, entre la proposition formulée par le Gouvernement (433 députés, 261 sénateurs) et celle du Sénat (468 députés, 281 sénateurs) ? » s’étonne le sénateur des Yvelines. « Non, ce n’est pas l’histoire de 20 sénateurs. C’est plus profond que ça. Ce n’est pas une affaire d’arithmétique, c’est une affaire de philosophie » lui répond sur Public Sénat Marc Fesneau, ministre des Relations avec le Parlement…

Blocage sur la révision de la Constitution : « Ce n’est pas l’histoire de 20 sénateurs. C’est plus profond que ça » selon Marc Fesneau
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Chacun paraît gonfler les difficultés

Chacun paraît donc gonfler les difficultés, alors qu’on n’a jamais été si proche d’un accord. D’un côté, un premier ministre qui fait d’une différence de 20 sénateurs un point de blocage qui l’amènerait à repousser la réforme. De l’autre, un président du Sénat qui semble précipiter le constat d’échec, parlant de « renoncement », alors qu’Edouard Philippe n’est pas allé – formellement – jusque-là.

Ce jeudi matin, pour son discours de politique générale devant le Sénat, le premier ministre a répété quasiment mot pour mot ses propos sur les institutions. Mais il s’est cependant montré un peu moins véhément : il n’a plus évoqué les sénatoriales de 2020, ni la menace du recours au référendum pour faire adopter la seule réduction du nombre de parlementaires – ce qui serait d’ailleurs a priori impossible, la réduction du nombre de sénateurs nécessitant l’accord du Sénat – évoquant simplement le « vote de la proportionnelle à l’Assemblée, sans changer le nombre de députés ».

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Du jour au lendemain, la version a minima de la réforme a donc perdu la réduction du nombre de parlementaires, pourtant une promesse du chef de l’Etat… « Nous sommes prêts et ouverts. Les 3 textes sont prêts » a-t-il ajouté. La ministre de la Justice assure qu’ils seront malgré tout présentés au Conseil des ministres. Comme s’il se montrait plus ouvert que la veille, Edouard Philippe ajoute : « Cette réforme (…), nous ne pourrons pas la réussir sans vous ».

Dans ce rapport de force, les socialistes de la Haute assemblée sont avant tout sénateurs. « Vous avez décidé de reporter sine die cette réforme qui est pourtant nécessaire » a dénoncé à l’unisson de Gérard Larcher le président du groupe PS, Patrick Kanner, « vous le faites en faisant porter la responsabilité sur la Haute assemblée (…) Je dénonce cette manœuvre ». Sur le sujet, Gérard Larcher a avancé en bonne entente avec les socialistes. Mardi soir, il a même vu une cinquantaine d’entre eux pour faire le point.

« On est un peu dans la danse des sept voiles »

Quelques minutes après le discours du premier ministre, dans la salle des conférences, qui jouxte l’hémicycle, le ton n’est pas vraiment à la conciliation. Le président du groupe LREM du Sénat, François Patriat, joue les bons soldats et charge son assemblée. « Si la réforme échoue, c’est la faute du Sénat » lance le sénateur de Côte-d’Or. Il rappelle que les exigences sénatoriales se sont succédé :

« Gérard Larcher a toujours une ligne rouge. Sur le cumul, on a dit oui. Moins de proportionnelle, on a dit oui. Un sénateur par département, on a dit oui. Il y a toujours une ligne rouge ».

L’histoire de cette réforme qui ne verra peut-être jamais le jour, c’est aussi une question de (non) confiance entre deux camps. « La crainte d’Emmanuel Macron, c’est de dire « Larcher est malin comme tout. Et Retailleau et Bas vont monter un coup tordu » » résume un sénateur de la majorité sénatoriale.

Une partie de poker menteur qui semble, « au bout d’un an et demi » de discussion, peu du goût d’Hervé Marseille, président du groupe centriste : « On est un peu dans la danse des sept voiles. (…) Si tout le monde se met sérieusement autour de la table, l’accord, on le trouvera ».

231 sièges de parlementaires préservés en cas d’échec de la réforme

Mais si personne ne voulait vraiment trouver un accord, au fond ? Un sénateur de la majorité a cette analyse. Elle ne semble pas loin de la vérité, à la vue des événements. Car sans réforme, la baisse du nombre de parlementaires passe aux oubliettes. Edouard Philippe est prêt, on l’a vu, à s’en passer. Ce qui arrangerait beaucoup de monde, ou plutôt beaucoup de députés et de sénateurs. 144 au Palais Bourbon et 87 au Palais de Marie de Médicis pour être exact, si on prend l’hypothèse d’une baisse de 25%. Sauver tous ces sièges satisferait aussi une part des députés LREM, chez qui la baisse à moins la cote. « Avant les européennes, ils prenaient des pilules pour dormir. Après le scrutin, les députés LREM se disent si Macron est réélu, ce qui est possible, on se fera réélire aussi » glisse un sénateur centriste, qui croit que le président de l’Assemblée « Richard Ferrand n’est pas non plus pour rien dans le report ». « Je crois que le gouvernement découvre que la réforme va surtout nuire à sa propre majorité à l’Assemblée. (… ) Pratiquement la moitié des députés LREM se sentent menacés » souligne aussi le sénateur LR Gérard Longuet (voir le sujet de Cécile Sixou).

Autre raison de reporter la réforme : un calendrier parlementaire surchargé. Ici, c’est le gouvernement que ça arrange. Entre la réforme des retraites, celle sur l’assurance chômage, le projet de loi bioéthique avec la PMA pour toutes, le texte sur les élus et celui à suivre sur les collectivités, sans oublier les textes budgétaires à l’automne, il faut faire rentrer le calendrier parlementaire au chausse-pied. Autant de réformes qui peuvent paraître plus urgentes aux yeux du gouvernement, notamment avant les municipales. Le socialiste Jean-Pierre Sueur y voit un « indice » du « renoncement » du premier ministre, « qui n’y croit plus et ne veut pas faire d’effort ». Il entend « l’habiller en disant que le responsable est le Sénat ». « Le programme parlementaire est plein et il sait que la réforme prend plusieurs semaines » insiste le sénateur PS du Loiret.

« Si on ne fait pas la réforme maintenant, on ne la fait plus »

Un nouveau report serait synonyme d’abandon, pense un député LREM, surtout avec les scrutins locaux à venir : « Si on ne fait pas la réforme maintenant, on ne la fait plus. La fenêtre de tir est là ». Mais si la réforme est bel et bien abandonnée, Jean-Pierre Sueur le « regrette ». « Il y a des réformes indispensables dans le texte », souligne l’ancien président de la commission des lois, sur « l’indépendance du parquet », la suppression de la Cour de justice de la République ou la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Marc Fesneau, lui, laisse encore entendre que rien n’est plié. « Dans les mois qui viennent, on peut encore cheminer », « il n’y a pas de volonté de forcer la main au Sénat ». Comme disait Bernard Blier dans le Grand blond avec une chaussure noire, film d’Yves Robert, « on tourne en rond, merde, on tourne en rond, merde, on tourne en rond ! »

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