Réforme des retraites : comment la majorité sénatoriale se prépare à l’examen d’un « monstre législatif »

Réforme des retraites : comment la majorité sénatoriale se prépare à l’examen d’un « monstre législatif »

Le texte de la réforme des retraites a été présenté en Conseil des ministres ce lundi 23 janvier. Alors que le ministre du Travail Olivier Dussopt sera auditionné mercredi, la majorité sénatoriale de droite et du centre, qui soutient l’esprit de la réforme, continue d’exiger certaines garanties, sur l’employabilité des séniors notamment.
Romain David

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« Nous attendons encore des précisions sur la chronologie de mise en œuvre de la réforme, sur certaines mesures sociales ou familiales… » L’intervention d’Olivier Dussopt ce lundi matin, au sortir du Conseil des ministres, n’a pas totalement convaincu le sénateur René-Paul Savary. Le « Monsieur Retraites » des LR du Sénat est justement en train de préparer l’audition du locataire de l’hôtel du Châtelet, qui sera entendu mercredi en fin de journée par la commission sénatoriale des Affaires sociales sur le projet de report de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Durant sa conférence de presse, Olivier Dussopt, qui a longuement détaillé les dispositifs d’accompagnement prévus par le gouvernement pour les carrières longues et la prise en compte de la pénibilité, a pourtant semblé multiplier les signaux à l’intention de la droite, sans laquelle la majorité présidentielle ne pourra avancer durant l’examen parlementaire. « Aujourd’hui, beaucoup de lignes rouges que nous avions posées ont été comprises par le gouvernement », reconnaît auprès de Public Sénat Bruno Retailleau, le président des sénateurs LR. « Une réforme des retraites, c’est un monstre législatif, le temps de l’examen parlementaire sera essentiel. »

Ce lundi, le ministre a réaffirmé la volonté de maintenir le cap des 64 ans d’ici 2030, malgré le front commun de la gauche et des organisations syndicales, bornant du même coup la marge de modification du texte. « À chaque fois qu’un amendement nous permettra d’améliorer le texte, sans renoncer au retour à l’équilibre financier en 2030 ni aux fondamentaux de la réforme, nous y serons ouverts », a déclaré Olivier Dussopt. Parmi les mesures d'équilibre mises en avant par le gouvernement : la revalorisation à 85 % du smic, soit environ 1 200 euros brut, de la pension minimale pour une carrière complète. Cette hausse concernera chaque année 200 000 nouveaux retraités, mais, conformément à une revendication des LR, elle sera également appliquée à l’ensemble du stock, soit environ 1,8 million de personnes.

Une proratisation sera mise en place pour les carrières incomplètes qui subissent une décote, a également précisé le ministre. Il s’agissait là aussi d’une demande de la droite. « Élisabeth Borne s’était engagée sur ce point lors de nos discussions à Matignon », confie Bruno Retailleau. Le secrétaire de la commission des finances, Jérôme Bascher, considère pourtant que cet effort aurait pu aller plus loin. « Globalement, les retraités ont beaucoup perdu depuis 20 ans, il y a un sujet là-dessus. Il faut limiter la casse, pour les petites et les moyennes retraites, et se demander de quelle manière on peut revaloriser : en touchant aux salaires ou en imaginant un mécanisme lié à l’inflation ». Ce LR a déjà fait savoir qu’en l’état, il ne voterait pas le texte du gouvernement.

Un « index senior » qui ne convainc pas

Concernant les seniors, le gouvernement table sur la mise en place d’un « index », inspiré de ce qui a déjà été fait pour l’égalité salariale hommes-femmes. Les entreprises de plus de 300 salariés seront tenues par un devoir de publication sur les efforts fournis en matière de recrutement et d’intégration des seniors. En cas de non-respect de ce devoir de publication, elles se verront infliger une sanction financière, doublée d’une obligation de négociation d’un accord salarial sur l’emploi des seniors dans les entreprises concernées. Mais la droite juge le dispositif complexe et peu incitatif, sans toutefois aller jusqu’à réclamer des mesures coercitives, une piste pourtant envisagée par le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, ce week-end au micro de BFMTV. « Pas de formule de taxation ! », avertit de son côté Bruno Retailleau.

« Je ne suis pas du tout fan du dispositif de l’index », admet René-Paul Savary auprès de Public Sénat. « Mais la difficulté, consiste à trouver quelque chose qui corresponde à la réalité de chaque branche. Il sera plus difficile, par exemple, de déployer une politique senior dans le monde des start-up. » « Il y a un vrai problème de cohérence intellectuelle sur ce sujet », s’agace Jérôme Bascher. « Si le président de la République croit en ce qu’il dit. Dans ce cas on arrête de pousser les entreprises à se séparer des séniors et on fait confiance au marché dans un objectif de plein-emploi. »

« Je dis que l’on peut faire davantage, par exemple avec une aide à l’embauche pour les seniors. C’est l’incitation qui marche en France, et on le sait », relève pour sa part le sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe. Cet élu estime que le gouvernement entretient un certain flou sur ce versant de la réforme. « Olivier Dussopt nous dit qu’employer 100 000 seniors rapporterait un milliard et pourtant, il n’y a pas une ligne dans les documents financiers que nous a transmis le ministère sur les recettes liées à l’emploi des seniors. Est-ce à dire que le gouvernement n’a pas de véritables objectifs en la matière ? ». Membre du MoDem, l’un des partis qui soutient Emmanuel Macron, Jean-Marie Vanlerenberghe siège au Sénat dans le groupe centriste, qui forme avec LR la majorité sénatoriale, ce qui lui permet de revendiquer une parole « libre et critique » sur ce que propose l'exécutif. « Ce projet de loi est améliorable sur pas mal de points », souligne-t-il.

« Ce texte n’est pas si mal, mais on y a ajouté tellement de dispositifs techniques qu’on finit par en perdre le sens véritable »

Jean-Marie Vanlerenberghe évoque encore la complexité des mesures prévues pour la prise en compte des carrières longues et regrette que l’on ne s’en tienne pas aux orientations fixées par Élisabeth Borne le 10 janvier : « Pour moi, c’était 43 années de cotisation pour tout le monde ». Même agacement du côté de Jérôme Bascher qui dénonce un texte « hautement technocratique ». Actuellement, le dispositif « carrières longues » permet de partir avant l’âge légal de départ à la retraite pour ceux qui ont commencé à cotiser avant 16 ans ou avant 20 ans. Ce lundi, Olivier Dussopt a confirmé la création d’« un troisième niveau pour ceux qui ont commencé à travailler entre 16 et 18 ans ». « Globalement, ce texte n’est pas si mal, mais on y a ajouté tellement de dispositifs techniques qu’on finit par en perdre le sens véritable », soupire le sénateur de l’Oise.

Un « PLFRSS »

Par ailleurs, l’une des craintes majeures de la droite est d’être limitée lors de l’examen parlementaire par le caractère budgétaire du texte, le gouvernement ayant choisi d’utiliser comme véhicule législatif à sa réforme un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale (PLFRSS). « Un certain nombre des mesures concernant les départs anticipés pour carrière longue ne figure pas dans le texte, car elles relèvent du champ réglementaire », a reconnu Olivier Dussopt ce lundi matin.

« Du fait qu’il s’agit d’un texte financier, nous n’aurons pas la même marge de manœuvre que pour un texte de réforme classique. Il sera difficile, par exemple, d’introduire des mesures sur les pensions de réversion, ou sur la prise en compte de certains trimestres pour les travailleurs handicapés ou les mères qui ont travaillé à l’étranger », explique René-Paul Savary. La droite voudrait notamment créer une pension de réversion en faveur des enfants handicapés. « Tout ce qui touche à l’équilibre financier de la Sécurité sociale est constitutionnellement acceptable », pointe Bruno Retailleau. « Mais effectivement, il y a un risque sur tout ce qui a trait aux questions de pénibilité. J’ai cru comprendre, toutefois, que le gouvernement présenterait un second texte. »

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