Réforme des retraites : les sénateurs de gauche réclament l’avis du Conseil d’Etat

Réforme des retraites : les sénateurs de gauche réclament l’avis du Conseil d’Etat

Après plusieurs jours de demandes de la gauche d’avoir accès à l’avis du Conseil d’Etat, le ton est monté ce samedi soir au Sénat. Olivier Dussopt, qui maintenait depuis vendredi qu’une simple « note » existait, mais pas « d’avis », s’est retrouvé pris dans une controverse lexicale, alors que René-Paul Savary, rapporteur du projet de loi, s’est attiré les foudres de ses collègues de gauche en admettant avoir pu consulter la note.
Louis Mollier-Sabet

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C’est le feuilleton de ce début d’examen de la réforme des retraites au Sénat : où est passé l’avis – ou la note, on ne sait plus trop après deux jours de rappels au règlement à ce sujet – du Conseil d’Etat sur la réforme des retraites ?

Interpellé par la gauche sur ce sujet vendredi dernier déjà, Olivier Dussopt avait rappelé que, contrairement à un projet de loi ordinaire, un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale n’est pas précédé, d’un avis du Conseil d’Etat : « Il n’y a pas d’avis rendu par le Conseil d’Etat sur un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale, il y a une note de synthèse et j’ai rappelé dans quelles conditions elle était consultable par un certain nombre de parlementaires au titre de leur fonction de contrôle. »

Les présidents des missions d’évaluation de la Sécurité Sociale des deux chambres ont en effet la possibilité de demander au gouvernement cette note, sans qu’elle soit rendue publique. Ce qu’a fait le député Jérôme Guedj (PS), qui évoque un risque d’inconstitutionnalité de certaines mesures. Rebelote ce samedi, où la gauche n’a pas lâché le morceau, et a fini par obtenir quelques renseignements supplémentaires.

« Cette note ne contient rien de scandaleux »

À la réouverture des débats pour la soirée à 21h30, la sénatrice du groupe communiste Marie-Noëlle Lienemann demande à René-Paul Savary, rapporteur du projet de loi, s’il a pris connaissance de cette note en tant que président de la mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale. « J’ai été étonné que vous ne posiez pas la question avant », lui a répondu le sénateur LR, presque amusé, alors que la gauche de l’hémicycle multiplie les rappels au règlement à ce sujet depuis le début de l’examen du texte.

« Soyez assurée que nous avons fait notre travail, sans publicité. Nous travaillons à l’abri des médias de façon à pouvoir vous présenter des textes travaillés différemment », a précisé René-Paul Savary, qui en a décrit sommairement le contenu : « Cette note ne contient rien de scandaleux, quelques dispositions sur l’index des séniors, sur le refus que le recouvrement des cotisations de l’Agirc-Arcco se fasse par l’Urssaf ou sur les visites médicales. Il n’y a rien d’extraordinaire, ce sont des alertes tout à fait courantes qui ne remettent pas en cause les discussions que nous avons au Sénat. »

Premier rebondissement : les membres de gauche de la mission d’évaluation de la Sécurité sociale semblent outrés que le contenu de cet avis ne leur ait pas été transmis. « Comment se fait-il que vous nous ayez empêchés de faire notre travail ? » a notamment interpellé la sénatrice communiste et secrétaire de la mission d’évaluation, Cathy Apourceau-Poly. « Nous allons aller la chercher cette note », a par ailleurs prévenu la sénatrice du Nord. « Je suis extrêmement frappée et choquée que le président de la mission d’évaluation de la Sécurité sociale, par ailleurs rapporteur du texte, n’ait pas précisé qu’il était en situation d’avoir accès à ce document. Le résumé assez désinvolte qu’il en a fait et assez problématique aussi. Je demande au rapporteur de nous faire un point précis et rigoureux du contenu de cette note, étant entendu que les autres membres de cette mission se procurent cette note puisque vous n’avez pas jugé utile de le transmettre », a aussi tancé la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie.

« Jusqu’à présent, les débats s’étaient relativement bien passés »

« Quand on me pose une question, je réponds », se défend le rapporteur du texte. « Cette note est confidentielle, c’est la loi, mes chers collègues. Elle peut être consultée mais en aucun cas être rendue publique. C’est comme si vous portiez atteinte au secret médical. […] Les membres de la mission d’évaluation peuvent venir me voir pour en discuter, dans la même confidentialité que la confidentialité fiscale que connaissent bien les présidents Raynal et Eblé [respectivement anciens et actuels présidents socialistes de la commission des Finances, ndlr]. »

Les suggestions de la gauche fusent : peut-être René-Paul Savary pourrait-il lire la note à haute voix, ou bien produire une « note sur la note » … jusqu’à agacer le rapporteur du projet de loi. « Jusqu’à présent, les débats s’étaient relativement bien passés », finit par lâcher le sénateur LR face à l’insistance de la gauche. Mais René-Paul Savary n’est pas au bout de ses peines. D’abord, en pleine série de rappels au règlement sur la fameuse note / avis du Conseil d’Etat, l’interview d’Olivier Dussopt dans Le Parisien de ce dimanche, où le ministre qualifie la réforme du gouvernement comme « une réforme de gauche », est mise en ligne.

Quelques minutes plus tard, les sénateurs de gauche – passablement agacés par la saillie du ministre dans la presse – découvrent que, dans le projet de loi tel que déposé à l’Assemblée nationale, le « présent projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, délibéré en conseil des ministres après avis du Conseil d’État, sera présenté à l’Assemblée nationale par le ministre de l’économie. »

« J’avais cru comprendre que je n’étais pas à l’Assemblée nationale »

« Avis du Conseil d’Etat. » Pires mots n’auraient pas pu être exhumés à cet instant précis, puisqu’Olivier Dussopt répète depuis deux jours qu’il n’y avait pas d’avis, mais seulement une note de synthèse. « Le ministre nous a-t-il dit autre chose que la vérité ? » interroge la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie. « Je m’interrogeais sur la sincérité de nos débats, je m’interroge maintenant sur la sincérité du ministre », ajoute Daniel Breuiller, alors que Laurence Rossignol (PS) demande une interruption de séance. Pascale Gruny, vice-présidente LR du Sénat qui présidait la séance, vole même au secours du ministre, tout en refusant, dans un premier temps, une suspension de séance : « Ce n’est pas respectueux d’un membre du gouvernement. »

« Ce n’est pas rien, il y a une vraie question de sincérité », proteste le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard. « Le document transmis par le Conseil d’Etat est une note approuvée par le Conseil d’Etat dans sa séance du 19 janvier. J’avais cru comprendre que je n’étais pas à l’Assemblée nationale, M. le rapporteur l’a rappelé à très bon escient », se contente de répondre Olivier Dussopt avant que Pascale Gruny consente enfin à une interruption de séance, au retour de laquelle elle avertira la gauche sénatoriale quant à d’éventuelles nouvelles incartades nocturnes : « Je n’hésiterai pas à faire usage des prérogatives que le règlement confère à la présidence de séance. »

« Note », « avis » : un imbroglio lexical

Ces incidents à répétition autour de cette fameuse note depuis deux jours semblent indiquer que la gauche sénatoriale ne lâchera pas sur le sujet. La question est donc de savoir si Olivier Dussopt acceptera de laisser certains sénateurs de gauche la consulter, voire la rendra publique, parce que, si la loi ne l’y oblige pas sur les lois de financement, cette publication n’est pas interdite. En tout état de cause, les premiers jours de débat ont montré que le ton pouvait tout de même monter à la Chambre haute. Sur le fond, Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole, rappelle sur Twitter que la controverse qui agite le Sénat depuis deux jours est en fait plutôt un quiproquo lexical.

« L’avis du Conseil d’Etat est requis pour tous les projets de loi. On appelle ‘avis’ le projet modifié élaboré par le Conseil d’Etat, plus la note par laquelle le Conseil d’Etat motive sommairement les modifications qu’il propose », explique le publiciste, en précisant que « le projet élaboré par le Conseil d’Etat n’est jamais rendu public et que la note peut l’être sur décision du gouvernement. » Depuis 2015, l’usage instauré par François Hollande veut que les notes sur les lois ordinaires soient systématiquement publiées, et le Conseil d’Etat a donc pris l’habitude de rédiger des textes plus détaillés, qu’il appelle « un peu improprement ‘avis’ », d’après Mathieu Carpentier.

Comme les avis ne sont pas rendus publics sur les textes financiers, comme c’est le cas pour la réforme des retraites », le publiciste estime que le Conseil d’Etat a simplement rédigé une « note sommaire » au ministre, et pas un « avis » développé, comme c’est le cas habituellement. Ce qui expliquerait pourquoi Olivier Dussopt a maintenu qu’il disposait simplement d’une « note de synthèse » du Conseil d’Etat qui n’était pas un avis. « Mais cela demeure un avis (ou plutôt la partie d’un avis) au sens de l’article 39 de la Constitution », précise Mathieu Carpentier. Une chose est sûre, les sénateurs de gauche ne manqueront pas d’en reparler à Olivier Dussopt ce dimanche, alors qu’ils examineront l’article 2 du projet de loi sur l’index sénior, précisément mis en cause par l’avis du Conseil d’Etat d’après ceux qui l’ont consulté, comme René-Paul Savary.

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