Réforme du règlement du Sénat : la déception des groupes de gauche

Réforme du règlement du Sénat : la déception des groupes de gauche

Les groupes de gauche regrettent la timidité du projet de réforme du règlement du Sénat sur quelques aspects. Il en est ainsi des modalités retenues pour le système de pétitions adressées au Sénat, qui sera pérennisé. D’autres points suscitent une certaine gêne, comme les nouvelles règles d’expression en séance publique.
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Le projet de réforme du règlement interne ne fait pas consensus de A à Z à la Haute assemblée. La proposition de résolution déposée le président Gérard Larcher en avril, qui entend « améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle, mieux utiliser le temps de séance » ou encore « renforcer la parité », reprend certes les conclusions d’un groupe de travail transpartisan. Les groupes de gauche affichent leur déception sur certains points, la majorité de droite et du centre ayant eu la main sur les arbitrages. « C’est quelque chose d’un peu en demi-teinte », résume le socialiste Kerrouche. « Globalement, ce n’est pas une réforme exceptionnelle », ajoute le président du groupe écologiste Guillaume Gontard.

Comme nous l’expliquions le 4 mai, les aspects balayés par cette proposition résolution sont larges et vont de l’organisation générale de la vie du Sénat au travail parlementaire en commission ou en séance publique. Le renforcement des pouvoirs de contrôle parlementaire, avec un meilleur suivi des ordonnances, la possibilité d’étendre les effectifs des commissions d’enquête ou encore une meilleure attention portée aux nominations décidées par le président de la République, ne suscite pas de débat chez les trois groupes de gauche.

La gauche voulait plus d’ambition sur les signatures nécessaires aux pétitions examinées au Sénat

Les problèmes sont ailleurs. La réforme du règlement entérine le système de pétitions que les Français peuvent alimenter sur un espace dédié sur le site du Sénat. Le mécanisme est en phase de test depuis l’an dernier, il avait été instauré pour faire entendre la voix des citoyens, un an après la crise des Gilets Jaunes. Dès qu’une demande franchit les 100 000 signatures, la Conférence des présidents du Sénat (l’instance qui fixe l’ordre du jour législatif) l’étudie pour décider de la suite à donner. C’est arrivé une fois en mars 2021. Une pétition avait débouché sur le dépôt puis l’adoption en séance d’une proposition de loi visant à désolidariser l’allocation aux adultes handicapés des revenus du conjoint.

La réforme du règlement précise que le seuil de recevabilité reste à définir, et que rien n’empêcherait les instances du Sénat de se pencher sur une pétition qui n’aurait pas atteint le quota nécessaire. Mais la barre pourrait rester à 100 000 signatures, ce qui désole les socialistes. « Il y a une difficulté pour certains à s’habituer au fait de faire participer le citoyen dans la procédure législative. Revisiter le droit de pétition ne nous semblait pas une folie », grince le sénateur PS Éric Kerrouche. « On sait pratiquement, avec les discussions qu’on a eues, qu’il n’y a pas une volonté de descendre. Il fallait aller plus loin on voulait 50 000 signatures. »

Le référent de son groupe sur la réforme du règlement considère que l’ambition d’origine est un peu perdue de vue. « Ou c’est un modèle de participation qui sert à quelque chose, même au risque qu’une minorité active se saisisse de ce droit, et on l’ouvre plus. Ou alors c’est juste un effet de manche dans lequel on sait qu’on n’atteindra jamais le chiffre nécessaire. » Actuellement, la pétition recueillant le plus de signatures sur le site du Sénat en compte 17 400 et demande un allongement du congé maternité. Pour le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard, le dossier des pétitions représente sans doute le point le plus important. Il regrette surtout le filtre de la Conférence des présidents, même en cas de succès de recueil de noms. « On pense qu’il faut un automatisme, quitte à augmenter le seuil de signatures. Là cela pose un vrai problème. On est dans une espèce d’entre-deux. C’est déjà très compliqué d’avoir 100 000 signatures tout en ayant aucune garantie sur la suite. J’imagine un texte sur la chasse : quel sera le choix de la majorité sénatoriale ? »

Les oppositions s’estiment lésées avec la réduction de la durée des interventions

Un autre sujet fait jaser : la « meilleure utilisation » du temps en séance. Ou plus concrètement, la réduction de la durée maximale des interventions en séance publique. Celle-ci passerait de deux minutes et demie à deux minutes lors des prises de paroles qui auraient lieu pendant l’examen des articles. A priori pas grand-chose, mais le symbole agace la gauche. « On présente cela comme un progrès alors qu’il y a plein de difficultés », observe Éric Kerrouche.

« Cela traduit un air du temps. Tout se passe comme si la loi devrait se faire plus vite. Tous les textes se font déjà en procédure accélérée, on s’accommode d’un temps de la loi qui n’est pas un temps de la bonne conception législative », s’inquiète le sénateur des Landes. L’écologiste Guillaume Gontard trouve aussi la logique « regrettable ». « Je ne trouve pas qu’il y a des abus dans les prises de parole. Ce n’est pas un signe de modernisation du Parlement. C’est une autocensure par rapport à des calendriers qui ne sont pas de notre fait », objecte le sénateur de l’Isère. « Le Sénat scie la branche démocratique sur laquelle il est assis », explique-t-on aussi au groupe communiste.

Règle arithmétique oblige, la limitation des interventions pour chaque orateur se fera ressentir de façon différente dans chaque groupe. « C’est clairement un réaménagement des règles en faveur de la majorité sénatoriale », oppose Éric Kerrouche. « Forcément, l’impact est plus fort pour les petits groupes », constate Guillaume Gontard, à la tête du plus petit groupe de la Haute assemblée (12 sénateurs).

Le tourniquet de la discorde

Plus technique, mais pas moins contesté, un autre point de la réforme est aussi dans le collimateur de la gauche. Actuellement, les orateurs se succèdent de la façon suivante pour un projet de loi : ministres, puis rapporteurs et enfin orateurs des groupes. Les orateurs des groupes d’une couleur différente des rapporteurs (ces derniers sont LR ou centristes) interviennent directement à la suite, laissant les orateurs de la majorité LR-Union centriste s’exprimer à la fin. On appelle ce mécanisme la « règle du renvoi en fin de tourniquet ». La proposition de résolution, qui veut simplifier les discussions générales, propose d’intégrer les orateurs de la même couleur des rapporteurs dans le régime que connaissent tous les autres. C’est-à-dire dans un ordre de passage mouvant, tiré au sort au début de chaque session, et qui se décale d’un rang à chaque nouveau texte. La mesure est « mesquine », selon Éric Kerrouche, qui redoute des « tunnels d’interventions de la majorité ». « Cette mesure fait la part belle au groupe majoritaire et à ses alliés. » « Ce n’était partagé par personne d’autre », prétend Guillaume Gontard.

La dernière partie du projet de réforme se termine par une obligation de parité à toutes les fonctions du Bureau du Sénat (huit postes à la vice-présidence, trois à la questure et quatorze au secrétariat). L’objectif est jugé « louable » par les socialistes mais ces derniers plaidaient pour instaurer une parité à la tête des présidences de commissions et des postes de rapporteurs généraux. « Le Bureau, c’est le plus facile », considère Éric Kerrouche. L’objectif n’est pas loin d’être rempli : les femmes détiennent 4 des 8 postes à la vice-présidence, 8 des 14 postes de secrétaires, mais aucun des trois places à la questure. Côté commissions, on ne compte que deux femmes sur les dix postes clés.

Le 26 mai, le président de la commission des lois, François-Noël Buffet (LR) présentera son rapport sur la proposition de résolution sur la réforme du Sénat. Celle-ci sera examinée le 1er juin, en fin de journée.

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