Réforme institutionnelle : « François Rebsamen veut la mise au pas du Sénat », tacle Patrick Kanner

Réforme institutionnelle : « François Rebsamen veut la mise au pas du Sénat », tacle Patrick Kanner

La proposition de François Rebsamen de faire du Sénat un « Bundesrat » à la française n’est pas passée inaperçue du côté de la Haute assemblée. Patrick Kanner, président du groupe PS au Sénat, regrette qu’un « socialiste donne de l’eau au moulin d'Emmanuel Macron qui a toujours voulu la mise au pas du Sénat ».
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« Quand on est socialiste, il ne faut pas perdre sa boussole ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que le patron du groupe socialiste du Sénat, Patrick Kanner goûte peu l’initiative de son prédécesseur dans les colonnes du JDD. A la tête du groupe socialiste du Sénat entre 2011 et 2014, l’ancien ministre et actuel maire de Dijon, François Rebsamen appelle, dans une tribune ce week-end, à une « modernisation institutionnelle ».

Rien d’extraordinaire jusque-là, mais 10 ans après le basculement historique de la Haute Assemblée à gauche, François Rebsamen remet en question « la représentativité des sénateurs ». « Les sénateurs sont aujourd’hui élus au suffrage universel indirect, scrutin majoritaire, ou scrutin de liste à la proportionnelle. Ils sont en définitive « les élus des élus » et de ce fait la relation entre les parlementaires et les Français est incompréhensible », lâche-t-il.

L’idée de François Rebsamen, est de faire du Sénat un « Bundesrat à la française, c’est-à-dire « la chambre des collectivités locales » composée « des exécutifs régionaux et départementaux, des présidents de métropole et de communautés urbaines, eux-mêmes élus directement par les Français en tant que maire ». « Dans cette nouvelle configuration plus représentative des territoires, donc des citoyens, le Sénat se verrait renforcé et jouerait ainsi tout son rôle de contre-pouvoir aux côtés de l’Assemblée nationale vis-à-vis du pouvoir exécutif », estime-t-il.

« Quand on est socialiste, il ne faut pas perdre la boussole »

Du côté du Sénat, une telle réforme institutionnelle sonnerait au contraire la fin du bicamérisme, et du Sénat dans son rôle de contre-pouvoir. « J’y suis totalement opposé. C’est un système qui ne peut d’ailleurs fonctionner que dans un État fédéral. Le Bundesrat est composé de membres nommés par les différents Länder avec un mandat impératif. Or, le mandat impératif est interdit en France. A ce moment-là que François Rebsamen aille jusqu’au bout, qu’il appelle à un changement de République avec un Sénat avec des compétences réduites aux collectivités locales. Je regrette qu’un « socialiste donne de l’eau au moulin à Emmanuel Macron qui a toujours voulu la mise à pas du Sénat. On a besoin d’une gauche d’opposition face à la doxa élyséenne », tacle Patrick Kanner.

Car au moment où Édouard Philippe pourrait ouvrir un peu plus la majorité sur sa droite avec le lancement de son parti « Horizons », les socialistes notent une manœuvre similaire sur la gauche avec le parti Territoires de progrès (TDP) des anciens socialistes et ministres Olivier Dussopt, et Jean-Yves le Drian. « J’ai bien vu que François Rebsamen s’est fendu d’une grande tirade amicale au congrès de Territoires de progrès », relève Patrick Kanner.

François Rebsamen s’est toujours bien entendu avec Emmanuel Macron »

Alors à quand le ralliement officiel de François Rebsamen à Emmanuel Macron ? François Patriat, le président du groupe RDPI-LREM du Sénat ne dément pas. « Il s’est toujours bien entendu avec Emmanuel Macron quand ils étaient ensemble au gouvernement. A la différence de Christian Estrosi ou Hubert Falco, François Rebsamen, lui, se rapproche par paliers ». Pour le sénateur de Côte-d’Or, le dernier palier devrait correspondre à l’investiture officielle d’Anne Hidalgo à la présidentielle face à Stéphane Le Foll. Sur le fond de la réforme proposée par le maire de Dijon, François Patriat rappelle que « Gérard Larcher, lui-même, ne cesse de rappeler que le Sénat est la chambre des territoires ». « Je n’y suis pas forcément contre à condition de revoir le périmètre des collectivités, de leur donner des compétences uniques avec les moyens de les assumer. Une réforme institutionnelle devra être l’un des grands chantiers du prochain quinquennat. Même s’il faut peut-être réfléchir sur le retour du cumul des mandats »

« En politique, ça porte malheur de toucher au Sénat »

« La proposition de François Rebsamen, est très castratrice des prérogatives du Sénat. Toucher au Sénat, c’est toucher à la démocratie. Et le Parlement a déjà vu son rôle suffisamment dégradé comme ça, avec un gouvernement qui gouverne par ordonnances non ratifiées (voir notre article). C’est surprenant, mais pas tant que ça pour un socialiste. Lionel Jospin avait, en son temps, qualifié le Sénat d’anomalie démocratique’’. En politique, ça porte malheur de toucher au Sénat », souligne Hervé Marseille, le président du groupe centriste. Pour mémoire, le 27 avril 1969, les Français avaient répondu massivement « non » au référendum sur la régionalisation et la « rénovation » du Sénat, poussant le général de Gaulle à quitter le pouvoir.

Hervé Marseille rejoint pourtant François Patriat sur un point : la fin du non-cumul des mandats. Le patron des centristes du Sénat a déposé une proposition de loi en ce sens, cet été (examinée en séance publique mardi 12 octobre). « En 2014, le gouvernement socialiste nous expliquait que les parlementaires allaient avoir tellement de compétences qu’ils n’auraient plus le temps pour un deuxième mandat. 7 ans plus tard, c’est l’inverse qui s’est produit. Et si, le Sénat a encore un lien avec les territoires de par son mode d’élection. A l’Assemblée nationale, le fossé s’est creusé ».

En 2013, François Rebsamen ne voulait pas s’inspirer du modèle allemand

La présidente centriste de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, Françoise Gatel trouve la proposition de François Rebsamen pour le moins « incongrue et curieuse », « au moment où le Sénat s’apprête à examiner un texte qui revient sur l’interdiction du cumul ». Et d’ailleurs, en préparation de l’examen du texte d’Hervé Marseille, la sénatrice a relu les débats de 2013 qui ont entouré l’examen du projet de loi mettant fin au cumul des mandats. « François Rebsamen, (alors président du groupe PS) expliquait qu’il fallait mener une réflexion sur l’évolution du bicamérisme, tout en soulignant qu’il ne fallait pas s’inspirer du modèle allemand car nous ne sommes pas une République fédérale (voir le compte rendu des débats) », détaille-t-elle avant d’ajouter : « Avec ce qu’il propose aujourd’hui, nous n’aurions pas une meilleure représentation des sénateurs. Ces derniers seraient désignés par de très grandes collectivités, au détriment des territoires ruraux. Et je n’imagine pas que des personnes désignées et non élues puissent participer à l’élaboration de la loi. Je rappelle, en outre, qu’un grand nombre de projets de loi aboutissent à une commission mixte paritaire conclusive (7 députés et 7 sénateurs). La navette parlementaire est donc très utile pour éviter les textes d’émotion et les grandes fureurs législatives ».

Le Sénat deviendrait « un législateur de second ordre ».

Jean-Claude Requier, président du Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), ne veut pas non plus que le Sénat devienne « un législateur de second ordre ». Et quant aux critiques de François Rebsamen sur le mode d’élection des sénateurs qui « surreprésente la France rurale au détriment des villes », le sénateur du lot souligne que « les sénateurs représentent avant tout les territoires ». Des territoires, en l’occurrence, des départements « où la population est parfois très espacée ». « Même si j’apprécie François Rebsamen, ça ne veut pas dire que je souscris à tout ce qu’il dit », conclut-il.

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