Régimes spéciaux, taxation du capital, capitalisation : ces points de divergences entre sénateurs LR et centristes sur les retraites

Régimes spéciaux, taxation du capital, capitalisation : ces points de divergences entre sénateurs LR et centristes sur les retraites

Si les sénateurs LR et centristes affichent un visage uni sur l’essentiel, à savoir le report de l’âge légal de départ à 64 ans, les mesures pour les femmes ou l’équilibre de la réforme, la majorité sénatoriale ne cachera pas ses divisions sur certains sujets sensibles de la réforme des retraites.
François Vignal

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C’est le duo qui forme l’équilibre de la majorité sénatoriale. Le groupe LR d’un côté, fort de ses 145 membres. Et le groupe Union centriste et ses 57 sénateurs de l’autre, sans qui Gérard Larcher, à la tête du Sénat, n’a pas de majorité.

Comme sur tous les textes, chaque groupe fait entendre ses idées. La discussion et le compromis font partie intégrante du mode de fonctionnement de la majorité, quand les positions diffèrent. Quitte à assumer les différences, comme on l’a vu sur les énergies renouvelables ou sur les superprofits. La réforme des retraites n’y coupe pas. Après plusieurs jours de discussions, les groupes présidés par Bruno Retailleau pour les LR, et Hervé Marseille pour les centristes, ont réussi à « converger » sur de nombreux points. Le rapporteur LR René-Paul Savary, et la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, la centriste Elisabeth Doineau, ont déposé une série d’amendements communs, hier, en commission. « J’ai beaucoup de sympathie pour ce que disent les LR, on travaille ensemble. Mais ce qu’ils disent, c’est une chose. Ce qu’on dit nous, c’est autre chose. Donc on trouve des compromis ensemble », résume Hervé Marseille, invité ce mercredi matin de la matinale de Public Sénat.

Les sénateurs LR ne veulent pas attendre « 80 ans » avant l’extinction des régimes spéciaux

Mais quelques anicroches voire désaccords subsistent, à commencer par les régimes spéciaux. Bruno Retailleau veut durcir sur ce point le texte du gouvernement, qui prévoit déjà leur disparition. Mais pour le patron des sénateurs LR, ça ne va pas assez vite. Il ne faut pas se limiter à la clause du grand-père, qui veut que seuls les nouveaux embauchés soient au régime général. Le sénateur de Vendée plaide pour une convergence, plus rapide donc, qui se ferait à partir « de 2025 et jusqu’en 2040 », explique Bruno Retailleau. « L’idée est de trouver un délai qui soit plus raisonnable que le délai de 70 à 80 ans » nécessaire pour l’extinction des régimes spéciaux, explique René-Paul Savary. La droite souligne que la mesure était par ailleurs défendue avec les centristes lors du dernier budget de la Sécu.

Alors que le texte du gouvernement veut supprimer les régimes spéciaux de la RATP, des industries électriques et gazières (IEG), des clercs et employés de notaire ou de la Banque de France, Bruno Retailleau veut aller plus loin aussi sur le périmètre. Le sénateur de Vendée a déposé un amendement qui permet de viser l’ensemble des régimes spéciaux. Pour le patron des sénateurs LR, on comprend qu’il fait du sujet un marqueur.

Régimes spéciaux : « Il ne faut pas rajouter d’huile sur le feu », selon la centriste Elisabeth Doineau

Mais son allié centriste ne suit pas. Ce que propose la droite, « c’est un peu rude. Que les LR veuillent avoir des marqueurs de droite, car ils disent nous sommes de droite, donc nous défendons des positions de droite pour des électeurs de droite, je n’y vois pas d’inconvénients. Mais nous, on a des marqueurs au centre, on a d’autres préoccupations », prévient Hervé Marseille (voir la vidéo ci-desous). « On est sur la clause du grand-père, nous », insiste celui qui est aussi président de l’UDI. S’il ne nie pas l’intérêt du sujet, « on n’est pas déterminés à aborder le sujet à la va-vite ». Hervé Marseille ajoute :

Nous, on ne fait pas de surenchère, on n’essaie pas de faire monter la température avec des exigences insupportables.

« C’est une des lignes sur lesquelles on est le moins en phase avec les LR », confirme Elisabeth Doineau Accélérer, « c’est périlleux », d’autant qu’« il y a suffisamment de gens dans la rue qui manifestent leur colère. Il ne faut pas rajouter d’huile sur le feu », soutient la sénatrice centriste de la Mayenne. Bilan de courses, les LR avanceront seuls sur la mesure. « Sur les régimes spéciaux, il y aura des amendements de groupe », explique René-Paul Savary. Dans ces conditions, il n’est pas exclu que les LR soient mis en minorité dans l’hémicycle sur ce point, au moment de l’examen.

Compromis sur l’index senior, mais le désaccord persiste sur le fond

Sur l’index des seniors, LR et centristes ont réussi finalement à se rapprocher. Comme nous l’évoquions dès le 15 février, la majorité sénatoriale propose la création d’un CDI senior à partir de 60 ans, avec des baisses de cotisations pour l’entreprise. Le sénateur centriste Olivier Henno a cependant déposé un amendement pour fixer l’âge à 57 ans. « Les 60 ans sont un bon départ de discussion. Mais personnellement, je suis assez ouverte à l’idée de 57 ans. Cela me paraît raisonnable », soutient Elisabeth Doineau.

L’index seniors n’est quant à lui pas la tasse de thé des LR, quand les centristes aimeraient proposer un bonus/malus. La majorité a finalement trouvé un terrain d’entente, en conservant l’index dans le texte, mais en rétablissant son seuil à 300 salariés, contre 50 dans le texte déposé sur le bureau du Sénat par le gouvernement. « C’est un compromis passé avec LR, car ils n’étaient pas très chauds. Or la CFDT, la CPME y sont favorables », relève Hervé Marseille. « Nous pensions que ce n’est pas d’une redoutable efficacité. Mais si un certain nombre de partenaires sociaux y sont associés, pourquoi pas. Et sachant que ce sera sûrement irrecevable sur le plan constitutionnel, on ne va pas se battre sur des choses qui n’auront pas de suite… » lâche René-Paul Savary.

Le groupe Union centriste n’ira en revanche pas au bout de son idée d’origine sur le bonus/malus, car « juridiquement, on nous dit que ça ne marche pas. Là encore, ça fait un cavalier budgétaire, on ne peut pas l’intégrer au PLRSS. Il faudra y revenir dans la fameuse loi travail, qui sert un peu de mesures balais de la loi retraite », explique Hervé Marseille.

Désaccord sur les sources de financement

Il restera un autre point de désaccord. Celui des sources de financement. Le sénateur centriste Jean-François Longeot a déposé plusieurs amendements pour augmenter la CSG sur le capital. Selon le taux, la mesure pourrait rapporter jusqu’à 2,34 milliards d’euros selon l’amendement. Des amendements en ce sens ont aussi été déposés par Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur Modem. Si son parti fait partie de la majorité présidentielle, il est membre du groupe centriste, qui compte en son sein un certain nombre de macronistes, une particularité sénatoriale…

« Si on veut amplifier les mesures de solidarité, il me paraît légitime de faire appel à la contribution sociale généralisée, plutôt qu’aux cotisations sociales », nous expliquait le sénateur Modem du Pas-de-Calais, qui pointe les « rendements considérables » du CAC 40. Or du côté des LR, on ne tient pas à augmenter les impôts, que ce soit en général, ou sur le capital en particulier.

« Déjà qu’il faut s’accrocher aux branches pour avoir les tenants et aboutissants de la réforme, si on parle de capitalisation, plus personne ne va capter » met en garde Hervé Marseille

Autre point de désaccord : les LR veulent lancer le débat sur l’introduction d’une dose de capitalisation dans le régime de retraite. Stéphane Le Rudulier a notamment déposé un amendement en ce sens. « Quand je vois les amendements sur la capitalisation… Déjà qu’il faut s’accrocher aux branches pour avoir les tenants et aboutissants de la réforme, si on dit tient, on va parler de capitalisation, il n’y a plus personne qui va capter », raille Hervé Marseille. Sur le plan structurel, il rappelle au passage que son groupe était plutôt « favorable à la réforme de la retraite par point. Ça s’étudie. En tout cas, c’est un sujet qui est plus juste ».

S’il y a des points de divergences, il faut rappeler que LR et centristes s’accordent sur le cœur de la réforme – le report à 64 ans et l’accélération de la réforme Touraine, mesure qu’ils défendent depuis des années – ainsi que sur la nécessité de mieux prendre en compte les femmes avec une surcote. « C’est un choix. Nos priorités, ce sont l’équilibre budgétaire, les femmes et les seniors », résume le patron des sénateurs centristes.

Carrières longues : les sénateurs LR ne suivent pas les députés LR sur toutes leurs demandes

Une priorité sur les femmes qui pourrait se faire au détriment des avancées obtenues par les députés LR sur les carrières longues. Sur ce point, les sénateurs centristes et LR semblaient dans un premier temps aborder le sujet différemment, avant de trouver « une stratégie commune », selon les mots de René-Paul Savary.

Bruno Retailleau soutient la première main tendue par la première ministre aux députés LR, pour permettre à ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans de ne pas avoir plus de 43 ans de cotisations. Une mesure à 400 millions d’euros. Il ne soutient en revanche pas la seconde main tendue, qui élargit la mesure aux salariés qui ont commencé à travailler à 17 ans. Un coût ici de 300 millions supplémentaires. « Ce sera à la première ministre d’assumer et à ce moment-là, elle assume les économies à trouver en face », avance Bruno Retailleau, qui lâche ici les députés LR. Mais ce second point répondait en partie aux exigences du turbulant ex-numéro 2 des LR, Aurélien Pradié, avec qui Bruno Retailleau entretient publiquement des relations exécrables.

« L’Assemblée n’a examiné qu’une chose. C’était le rond-point des carrières longues. On a tourné autour pendant des semaines »

Du côté centriste, Hervé Marseille semble avoir quelque peu évolué ces derniers jours. « J’ai dit à Elisabeth Borne qu’il fallait un point d’équilibre à partir de ce qui s’est fait à l’Assemblée, qu’il ne fallait pas revenir au statut quo ante », expliquait vendredi le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, après un appel téléphonique avec Elisabeth Borne.

Les centristes sont aujourd’hui visiblement alignés sur ce point sensible de la réforme. « Les LR comme nous, on souhaite que la réforme garde du sens. S’il y a une réforme, c’est qu’il y a un déficit et donc un besoin de financement. Ce qui a été fait à l’Assemblée, ça va coûter cher, donc il faut faire très attention. Il faut faire attention à ne pas dégrader la situation budgétaire de la réforme », soutient aujourd’hui Hervé Marseille. Une réforme censée à l’origine faire 17,7 milliards d’économies en 2030. Il résume :

Les carrières longues, ça coûte cher. Il faut trouver un point d’équilibre. C’est autour des 20/21 ans.

Lors d’une rencontre à Matignon avec Elisabeth Borne ce mercredi midi, aux côtés de Gérard Larcher et de Bruno Retailleau, Hervé Marseille compte bien lui rappeler l’importance du sujet. « Il faudra qu’on lui dise qu’il faut s’entendre pour trouver un point d’équilibre. Si on va trop loin, ça va coûter une blinde, comme disent les jeunes ». Amateur de bons mots, Hervé Marseille résume à sa façon les travaux à l’Assemblée : « L’Assemblée n’a examiné qu’une chose. C’était le rond-point des carrières longues. On a tourné autour pendant des semaines, on n’est pas allé plus loin », sourit le président du groupe UC. Les sénateurs sont bien décidés à prendre la première sortie à droite.

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