Relance du nucléaire : devant les sénateurs, les précisions d’Agnès Pannier-Runacher sur le premier texte de loi examiné par le Sénat

Relance du nucléaire : devant les sénateurs, les précisions d’Agnès Pannier-Runacher sur le premier texte de loi examiné par le Sénat

Le Sénat examine à partir de la semaine prochaine en séance publique le projet de loi pour l’accélération des procédures liées à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Ce mercredi 11 janvier, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher était auditionnée par les élus, elle a rappelé que l’exécutif vise la construction de14 nouveaux EPR d’ici 2050.
Romain David

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« Je suis désolée, c’est un texte horriblement technique… » Ce mercredi matin, Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, a bien volontiers reconnu devant le Sénat que les modalités de la relance de la filière nucléaire passeront nécessairement par des considérations bureaucratiques, administratives et normatives peu attrayantes, mais incontournables sur un dossier de cette ampleur. Auditionnée par les commissions des Affaires économiques et de l’Aménagement du territoire, elle était invitée à répondre aux interrogations des élus sur le projet de loi relatif à la construction de nouvelles installations nucléaires, premier texte législatif consacré à l’énergie atomique depuis les annonces faites en février dernier par le chef de l’Etat, et dont la Chambre Haute aura la primeur de l’examen parlementaire, à partir du 17 janvier.

« L’ambition du président de la République est de faire de la France le premier grand pays industriel à sortir de la dépendance aux énergies fossiles, c’est un impératif climatique, un impératif pour le pouvoir d’achat des Français, un impératif pour la capacité d’investissement des collectivités et des entreprises, un impératif pour notre indépendance stratégique », a tenu à rappeler la ministre devant les sénateurs. Toutefois, le texte présenté s’intéresse essentiellement à la forme plutôt qu’au fond. Il n’y est pas question de la place du nucléaire dans le mix énergétique français, ni des orientations du programme nucléaire. Ces points seront évoqués dans la future programmation pluriannuelle de l’énergie, qui devrait être présentée avant la fin de la session parlementaire, en juin ou en juillet. Le texte dont il est ici question vise à raccourcir les délais de procédure en instaurant « un cadre d’accélération » des délais d’autorisations administratives et environnementales.

Que contient le projet de loi ?

Le projet de loi se découpe en dix articles. Il entend rendre possible la mise en compatibilité des documents d’urbanisme avec les ambitions nucléaires de l’exécutif. « Le texte permet ainsi de réduire le risque juridique du fait de l’actualisation de ces documents », donc certains ont été élaborés sous Pierre Messmer, observe Agnès Pannier-Runacher. Par ailleurs, l’octroi des autorisations de construction par décret doit apporter une sécurité juridique au projet. « Les contentieux étant directement gérés par le Conseil d’Etat en premier et en dernier ressort, c’est un gain de temps et d’efficacité », a défendu la ministre.

À compter de l’obtention de la première autorisation environnementale, le projet de loi permet d’effectuer en parallèle les démarches pour l’autorisation de construction sur les infrastructures secondaires, tels que les installations et travaux préalables à la construction du réacteur lui-même. « Par exemple les travaux de terrassement ou de construction des bureaux, les clôtures, les parkings nécessaires au chantier pourront démarrer. Bien entendu, les activités liées à la spécificité du nucléaire, c’est-à-dire la construction des bâtiments destinés à recevoir le combustible, ne pourront démarrer qu’à l’issue de l’autorisation de construction », a tenu à rassurer la ministre.

Ce texte prévoit aussi des mesures d’expropriation pour les réacteurs nucléaires reconnus d’utilité publique. Sur ce point, la rapporteur LR Daniel Gremillet a tenu à attirer l’attention de la ministre : « La nécessité de libérer du foncier est légitime, pour autant il ne faut pas perdre de vue les garanties constitutionnelles en matière de propriété », a-t-il averti.

» Pour en savoir plus - Nouveaux réacteurs nucléaires : le Sénat se penche sur la simplification des procédures

Quel est l’objectif fixé par le gouvernement ?

Le gouvernement table sur la construction de 14 EPR d‘ici 2050, une ambition qui s’inscrit dans un contexte de crise climatique, et qui a été réaffirmée par la forte volatilité des prix de l’énergie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. L’exécutif s’est fixé un premier objectif de 6 EPR, tandis que le lancement de la construction de 8 recteurs additionnels est à l’étude, a détaillé la ministre. La période de dépôt d'une demande d'autorisation de construction dans le cadre de ce projet de loi court sur 15 ans. Une fois cette étape franchie, « la durée individuelle de construction du réacteur est donnée à 15 ans par EDF », a précisé Agnès Pannier-Runacher. « Je me fixe sur la meilleure estimation de la filière. » Suivant ce scénario, certains réacteurs pourraient ne pas entrer en fonction avant le milieu du siècle.

Le sénateur centriste Pascal Martin a fait montre d’un certain scepticisme sur les capacités du projet de loi à comprimer les délais d'examen. « Le gain de temps est difficile à évaluer, mais peut être évalué en tout état de cause, et a minima, à plusieurs mois dans une vision optimiste si l’on prend en compte les mesures qui permettent de réduire les contentieux potentiels. » Plus précisément, après examen du texte en commission, cette fourchette a été estimée à 56 mois par le Sénat, soit environ 5 ans de gagnés. 

Quel impact de la future législation sur le parc nucléaire actuel ?

La France compte déjà 56 réacteurs nucléaires, les derniers étant entrés en service début des années 2000. Au cours de l’année 2022, plusieurs installations ont été mises à l’arrêt après la découverte de fissures de corrosion sur les systèmes de sécurité, nécessitant des travaux de maintenance approfondis. « 44 réacteurs nucléaires sont en fonctionnement, cela fait 12 réacteurs arrêtés aujourd’hui, contre 32 au mois d’août », a indiqué Agnès Pannier-Runacher. « 2 ou 3 réacteurs ne seront remis en marche qu’en mars, pour le reste nous tenons notre calendrier de remise en route. Il n’y a pas de risque d’approvisionnement à court terme, notamment du fait de l’impact du plan de sobriété qui permet l’économie de 7 réacteurs ».

Durant l’audition de la ministre, plusieurs élus lui ont fait remarquer qu’en dépit des ambitions affichées par le président de la République, la planification pluriannuelle de l’énergie prévoit toujours la fermeture de 12 réacteurs, suivant les objectifs de réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique fixés sous le quinquennat de François Hollande. « Elles seront revisitées à l’aune de cette loi, nous nous donnons les moyens de prolonger au maximum la durée de vie des réacteurs nucléaires. La position de l’exécutif est sans ambiguïté », a répondu Agnès Pannier-Runacher. Le gouvernement espère ainsi faire passer la durée de vie des installations déjà en place à 60 ans, contre 40 ans au moment de leur construction. Certains réacteurs ont d’ailleurs déjà passé le cap des 50 ans.

« C’est l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui décidera si nos installations sont aptes à passer ce cap des 60 ans », a-t-elle encore indiqué. « Ce ne sera pas une décision politique ou technique, mais une décision de l’ASN qui est un organe indépendant. Ce qui nous incombe, c’est de travailler pour passer cette visite des 60 ans dans les meilleures conditions ». Agacé, le sénateur socialiste Franck Montaugé a reproché au gouvernement de faire mine de se décharger de ses responsabilités sur une instance scientifique, en arguant de préoccupations sécuritaires. « Il y a une place pour la politique dans cette affaire-là, Madame. On fait le choix ou on ne le fait pas, indépendamment des possibilités techniques », a-t-il, lancé. Réponse, non moins agacée de la ministre : « Nous faisons le maximum pour que nos installations nucléaires soient prolongées, mais s’il y a une fissure sur une cuve, c’est un élément physique incontournable. La physique s’impose, même aux politiques. La parole performative ne fonctionne pas pour réparer une cuve nucléaire. »

Dernière précision : les accélérations de procédure prévues par le projet de loi ne pourront concerner que la construction de réacteurs à l’intérieur de centrales déjà existantes ou à « proximité immédiate » de ces dernières. Ainsi, sur les six premiers EPR voulus par l’exécutif, les deux premiers doivent être bâtis sur le site de Gravelines (Nord), les deux suivant à Penly (Seine-Maritime). « Le troisième site sera sur le Rhône, des analyses sont faites », a ajouté Agnès Pannier-Runacher.

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