Relance européenne : « 1,4 trillion d’euros de prêts » ne sera pas remboursé d’après la Commissaire européenne aux Finances

Relance européenne : « 1,4 trillion d’euros de prêts » ne sera pas remboursé d’après la Commissaire européenne aux Finances

Mairead McGuinness, la commissaire européenne des Finances était auditionnée ce matin au Sénat par les commissions des Finances et des Affaires européennes. Elle est revenue sur les mécanismes financiers et les risques associés à la politique économique de relance européenne, ainsi que sur les conséquences financières du Brexit.
Louis Mollier-Sabet

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Le plan de relance adopté dans le cadre du budget européen pour la période 2021-2027 a finalement été adopté en décembre dernier. Nommé Next Generation EU, il devrait s’élever à 750 milliards d’euros, dont 672,5 milliards seront injectés dans l’économie européenne par des mécanismes financiers de prêts ou de subventions aux Etats-membres et seront soumis à des objectifs de développement durable et de transition numérique.

Risque de faillites : 1,4 trillion d’euros de prêts ne sera probablement pas remboursé d’après la BCE

Ce sont en fait les risques liés à ce soutien économique qui ont occupé une grande partie de l’audition de la commissaire européenne chargée des services financiers, de la stabilité financière et de l’union des marchés des capitaux par les sénateurs. Mairead McGuinness a rappelé les mesures de soutien à l’économie prévues par le plan de relance européen, qui passent en fait en grande partie par des prêts bancaires (360 milliards d’euros sur les 750 milliards). A l’échelle française, on retrouve ce genre de dispositifs dans les « Prêts garantis par l’Etat » (PGE) accordés aux entreprises touchées par la crise sanitaire.

Or le problème à long terme est le même : quand ces prêts arriveront à échéance, de nombreuses entreprises n’auront pas retrouvé une activité suffisante pour les rembourser. La commissaire européenne a confirmé aux sénateurs que la Commission anticipait une augmentation des faillites dues à des prêts « non performants » - c’est-à-dire des prêts que l’emprunteur ne sera probablement pas en mesure de rembourser : « Le taux de faillite dans l’Union Européenne a diminué récemment, peut-être grâce à nos mécanismes de soutien. Nous anticipons donc qu’il y aura des problèmes liés à des prêts non performants. Certaines entreprises doivent se restructurer et il faut qu’il n’y ait pas trop de prêts non performants au bilan des banques et il faut qu’elles se manifestent maintenant. »

Le premier problème reste bien sûr la situation sociale des entrepreneurs et des salariés concernés par ces faillites. Mais un autre problème économique et financier en découle immédiatement. En effet, si de nombreuses entreprises font faillite parce qu’elles ne sont pas en mesure de rembourser ces prêts, les banques qui les ont accordés pourraient faire faillite à leur tour, et entraîner d’autres acteurs financiers dans leur chute. C’est ce que l’on appelle le risque de « faillite systémique » et l’ampleur des prêts accordés pour soutenir les entreprises dont l’activité a diminué à cause de la crise sanitaire pose au moins la question de l’évaluation de ce risque. Sur ce point, Mairead McGuinness précise la ligne délicate que la Commission et la BCE essaient de tenir : « Le secteur financier a aidé à minimiser la crise et nous avons besoin de maintenir ce flot de crédits aux entreprises et aux ménages. 1,4 trillion d’euros de prêts seraient non performants d’après la BCE et le ratio reste stable et nous devons éviter une croissance de prêts non performants dans le bilan des banques, c’est pourquoi nous avons adopté un plan d’action sur les prêts non performants en décembre 2020. »

« On ne peut pas retirer le soutien alors que nous ne sommes pas encore sortis de la situation.

Prêts et risque de faillites : "On ne peut ne pas retirer le soutien" pour Mairead McGuinness
02:52

En résumé la Commission et la BCE ont conscience du risque que va poser à terme le remboursement de ces prêts, mais essaient de le contenir parce que ce soutien à l’économie est indispensable. D’où un « plan d’action » sur ces prêts qui consistent en fait à répartir ces actifs non performants entre les différents acteurs financiers – et notamment des acteurs « externes » qui ne risquent pas la faillite comme la BCE – pour éviter que les faillites qui auront nécessairement lieu ne se transforment en faillite systémique. Pour ce faire, la commissaire européenne table sur une « titrisation » de ces actifs, qui consiste à regrouper les prêts évalués comme « non performants » avec des actifs financiers beaucoup plus stables pour former des « paquets » de titres globalement moins risqués.

Mairead McGuinness conclut sur la « finesse » dont la Commission va devoir faire preuve pour gérer les difficultés économiques et les risques de faillite : « S’il y a des risques systémiques de certains secteurs de l’économie, il va falloir faire preuve de finesse, mais on ne peut ne pas retirer le soutien alors que nous ne sommes pas encore sortis de la situation. Je pense notamment aux mécanismes d’aides d’Etat et de soutien que nous avons mis en place. » La commissaire européenne des Finances rappelle aussi que l’approche de la relance européenne n’est pas seulement une réaction aux difficultés économiques, mais aussi « une démarche volontariste » : « La relance va être différente de ce que nous avons connu par le passé : plus durable et numérique. Il y a une conscience aiguë des risques mais il nous faut être à la fois en alerte mais aussi actifs, il faut une approche volontariste. »

Conséquences financières du Brexit : « Nous devons nous assurer que tout est fait dans notre intérêt »

Conséquences financières du Brexit : "Nous devons nous assurer que tout est fait dans notre intérêt"
01:15

Le Brexit et ses conséquences financières ont ensuite occupé les sénateurs et Mairead McGuinness, dans la mesure où, même si un accord a été trouvé in extremis le 30 décembre dernier, de nombreux dossiers restent à régler : « Nous dépendons trop d’opérateurs étrangers en particulier dans le domaine de la compensation et du règlement des dérivés financiers, souvent effectués au Royaume-Uni et financés en dollars américains ». Jean-François Husson, rapporteur général du budget, ou encore le sénateur communiste Éric Bocquet, ont souhaité connaître la position de la Commission européenne par rapport à la volonté britannique de devenir le « Singapour de l’Union Européenne » d’après ce dernier, évoquant l’établissement de 10 « ports francs » souhaités récemment par Boris Johnson.

La Commissaire européenne a confirmé que les protocoles d’accord sur les services financiers, censés réguler les relations financières entre le Royaume-Uni et les différents Etats-membres dans la période de transition qui s’est ouverte en 2021 seraient temporaires sans en préciser l’échéance : « Nous en sommes à des discussions techniques pour savoir comment ce protocole d’accord va évoluer. Nous n’allons pas négocier un paquet ensemble mais nous allons regarder chaque domaine en particulier pour voir quels sont nos intérêts et nous donnerons des équivalences limitées dans le temps sur des domaines stratégiques. »

Le Royaume-Uni et les Etats-membres auraient dû convenir de ce protocole « pour mars 2021 » et rien ne semble décidé. C’est en fait une lutte de pouvoir entre les places boursières de Londres, Amsterdam, Paris et Francfort qui se joue dans ce protocole, comme le concède la Commissaire européenne dans un langage tout à fait diplomatique : « Sur le transfert d’infrastructures de Londres à Amsterdam, nous avons déjà eu quelques éléments de réponses mais ce n’est pas suffisant. Nous travaillons à ce protocole et nous travaillons aussi avec les Etats-membres au niveau du Conseil européen […] Nous n’allons pas récréer de marché intérieur accessible au Royaume-Uni pour les services financiers. Il est très important que l’Union Européenne s’assure que tout est fait dans notre intérêt. »

Monnaie européenne digitale : « On entendra sans doute bientôt parler de cela »

Enfin, Mairead McGuinness a été interrogée par le sénateur Victorin Lurel sur les monnaies digitales et sur l’émission possible par la BCE de ce type de monnaie. « On entendra sans doute parler de cela », a répondu assez énigmatiquement la commissaire européenne, qui a tout de même précisé les intentions de la Commission et de la BCE : « Durant la Covid 19 nous avons vu l’évolution des solutions dans les systèmes financiers : le rythme du changement s’est accéléré. On doit réfléchir à une monnaie numérique. »

De même, elle a confirmé qu’un règlement était en préparation sur la régulation des crypto-monnaies comme le Diem (ex-Libra) ou le Bitcoin : « Même s’il n’y a pas de cadre réglementaire pour l’heure c’est une réalité. L’investissement spéculatif des bitcoins est par exemple une réalité. Nous développons une proposition de règlement sur les crypto-actifs. » La Commissaire européenne élargit même la perspective : « De grandes entreprises technologiques pourraient rejoindre le secteur financier et jouer selon leurs propres règles. Il faut suivre cela de près et l’Union Européenne est pionnière en la matière. Il est important d’avoir une prise de conscience au niveau des Etats-membres et des citoyens. »

 

 

 

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