Rémunération, classes surchargées, solitude… Le manque d’attractivité du métier d’enseignant pointé du doigt par un rapport sénatorial

Rémunération, classes surchargées, solitude… Le manque d’attractivité du métier d’enseignant pointé du doigt par un rapport sénatorial

Publié en marge de l’examen au Sénat du budget 2022, un rapport de Gérard Longuet cible la faible rémunération des carrières et l’organisation du travail comme deux des principaux motifs du manque d’attractivité des métiers de l’enseignement.
Romain David

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De moins en moins attractif, le métier d’enseignant serait aussi plus pénible à exercer en France que dans les autres pays européens, en particulier pour ceux qui débutent dans la profession, et se voient soumis à de plus grandes contraintes. Ce sont là les conclusions d’un rapport sénatorial sur la part du budget 2022 consacrée à l’Éducation nationale. Un budget qui a finalement été rejeté mardi 23 novembre par la Chambre Haute, après examen de la première partie, ce qui toutefois ne devrait pas empêcher son adoption définitive avant Noël. Les principales causes de cette dépréciation : des classes surchargées, un nombre d’heures de cours plus important que la moyenne européenne, et surtout une rémunération trop basse, pour les débuts de carrière en particulier.

Des écarts de salaire abyssaux avec l’Allemagne

Le projet de loi de finances (PLF) 2022 marque une augmentation de 2,6 % du budget de l’Éducation nationale (pour un total de 77,8 milliards d’euros), qui emploie 1,2 million de personnes, dont 726 800 enseignants dans le secteur public. Le rapport du sénateur LR de la Meuse Gérard Longuet, réalisé pour la commission des Finances, note que cette hausse des crédits concerne essentiellement la revalorisation des traitements des enseignants, qui accusent des écarts très importants par rapport à certains de nos voisins. En Allemagne, par exemple, un enseignant du niveau élémentaire en début de carrière gagne en moyenne 65 475 euros brut annuel, contre 31 803 euros en France. L’écart est comparable dans le secteur secondaire.

Les salaires français enregistrent d’importantes augmentations en milieu de carrière, généralement au bout de 15 ans d’ancienneté. « Les enseignants rattrapent la moyenne européenne après l’âge de 50 ans », relève Gérard Larcher auprès de Public Sénat, mais restent toutefois un peu en dessous. Globalement, la rémunération des enseignants aurait reculé de 15 à 25 % au cours des vingt dernières années. « Il y a une culture de mépris à l’égard du salaire des fonctionnaires qui s’est installée. Il y a eu le gel du point d’indice », dénonce le sénateur EELV du Rhône Thomas Dossus, membre de la commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication, commission qui a également été chargée de passer au peigne fin le volet enseignement du budget 2022.

« Les salaires effectifs des enseignants français sont également en deçà du revenu du travail des actifs ayant atteint au moins le niveau licence, alors que le recrutement des enseignants se fait désormais au niveau master », lit-on dans le rapport. Ainsi, dans certains domaines, notamment les langues et les matières scientifiques, l’éducation subit la très forte concurrence d’autres secteurs professionnels, qui proposent pour les mêmes compétences des conditions de travail et de rémunération autrement plus avantageuses. Pour Gérard Longuet, cette baisse d’attractivité menace également la qualité des enseignements. « Une grande partie des enseignants du primaire ont fait des études littéraires ou en sciences sociales. Ils sont moins nombreux à venir des filières scientifiques, alors qu’ils auront aussi à enseigner les mathématiques », pointe-t-il.

« Les jeunes enseignants sont souvent envoyés dans des secteurs plutôt difficiles, où ils devront travailler seuls »

Le rapporteur tient également à mettre en lumière la solitude de l’exercice de l’enseignement, estimant que le travail d’équipe est insuffisant dans les établissements, à l’heure où le monde du travail valorise de plus en plus les synergies. « Si bien que le métier de professeur est parfois considéré comme une profession libérale autonome », avance l’ancien ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy. « Or, les nouveaux travailleurs se tournent de plus en plus vers le collectif, on pourrait citer l’exemple des jeunes médecins qui, plutôt qu’ouvrir leurs propres cabinets, cherchent à se regrouper dans des maisons médicales. »

Les enseignants français passent aussi plus de temps que les autres devant leurs élèves : selon les chiffres du ministère, le temps d’enseignement réglementaire dans l’élémentaire est de 900 heures par an contre 738 heures en moyenne dans l’UE, et seulement 691 heures outre-Rhin. Néanmoins, en intégrant les heures effectuées en dehors des établissements, et consacrées notamment à la préparation des cours ou à la correction des copies, il apparaît que les enseignants français sont juste en dessous de la moyenne européenne, avec 38,2 heures par semaine, contre 39 heures.

« Bref, on demande aux futurs enseignants de faire des études plus longues. Ils arrivent dans le monde du travail à 26 ans, un âge où l’on a envie de bien gagner sa vie et où l’on s’accommode peut-être un peu moins d’un petit salaire que lorsqu’on a 20 ans. Ajoutez à cela qu’ils sont souvent envoyés dans des secteurs plutôt difficiles, où ils devront travailler seuls », résume Gérard Longuet. Pour le sénateur Dossus, la profession accuse aussi un manque de solidarité, en débit des mouvements de mobilisation qui ont émaillé le quinquennat : « Le corps enseignant était plus syndiqué avant. Quelque chose s’est perdu. Aujourd’hui, un enseignant peut se sentir plus facilement seul face à son administration. »

Revalorisation salariale, un effort à poursuivre

Le rapport salue également plusieurs des éléments de réponse apportés au cours du quinquennat pour tenter de renforcer l’attractivité de l’enseignement. À commencer par les efforts sur la revalorisation salariale. En 2021, 68 millions d’euros ont été débloqués dans le cadre du Grenelle de l’Éducation sous forme de prime d’attractivité, afin d’améliorer le traitement en début de carrière des enseignants. Cet effort devrait se poursuivre en 2022, avec 726 millions d’euros de revalorisation globale, dont 178,95 millions d’euros pour la prise en charge de la protection sociale complémentaire et 245 millions d’euros consacrés à l’extension de la prime d’attractivité. « C’est toujours bon à prendre, mais ça ne suffira pas », estime la sénatrice communiste Céline Brulin, qui siège à la commission de la Culture et de l’Éducation. « Le ministre Jean-Michel Blanquer s’était engagé à une loi de programmation pour inscrire cette revalorisation dans le temps. Et le quinquennat se termine sans… »

Le sénateur Longuet appelle également à maintenir une « évolution continue » de la revalorisation des salaires, en partant du principe que la baisse des effectifs liée à la chute de la natalité devrait permettre de dégager des marges supplémentaires. Son rapport prévoit ainsi une baisse d’un sixième des élèves du premier degré d’ici les cinq prochaines années, et ce malgré l’abaissement de l’âge de la scolarisation à 3 ans. Ce phénomène, par voie de conséquence, devrait aussi atteindre le second degré. Mais le calcul paraît hasardeux à Céline Brulin. « Il vise à ne surtout pas augmenter les effectifs de fonctionnaires. »

« Une doctrine sur le renforcement qualitatif de l’enseignement »

Les efforts fournis ces dernières années pour baisser le taux d’encadrement, c’est-à-dire le nombre d’élèves placés sous la responsabilité d’un enseignant, sont également évoqués par le rapport. Là encore, la France enregistre un très fort retard, avec les taux les plus élevés de l’UE : 19 élèves par instituteurs dans l’élémentaire et 23 dans le pré-élémentaire. Le dédoublement des classes dans trois niveaux – en grande section, au CP et en CE1 – a permis la création de 10 800 classes supplémentaires dans l’élémentaire, prenant en charge quelque 30 000 élèves. Le rapport sénatorial note l’impact plutôt positif de la mesure, s’appuyant sur les données du ministère qui constate une réduction des écarts de performance en mathématique et en français entre les élèves issus des zones d’éducation prioritaire et les autres. Toutefois, la promesse d’un plafonnement à 24 élèves dans les autres niveaux n’est pas encore atteinte dans 14 % des classes. « On peut se demander comment les objectifs seront atteints dans la mesure où il n’y a pas d’augmentation de postes d’enseignants ! Les postes créés sont des postes administratifs », interroge le rapport.

« Il faut reconnaître que la stabilité de Jean-Michel Blanquer à ce poste a permis d’installer une doctrine sur le renforcement qualitatif de l’enseignement », poursuit Gérard Longuet auprès de Public Sénat. Il fustige la « politique quantitative » mise en œuvre sous le quinquennat précédent, sans réels efforts selon lui sur les conditions de travail. Pour rappel, trois ministres de l’Éducation nationale se sont succédé sous François Hollande, tandis que Jean-Michel Blanquer, nommé dès l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, a battu début novembre le record de longévité à ce portefeuille sous la Ve République. « Le ministre est problématique », considère pour sa part le sénateur Dossus, qui évoque une large défiance du corps enseignant. « Quand on se lance dans un métier de la fonction publique, on a besoin de se sentir soutenu par l’administration, par son ministre de tutelle ! »

» Lire notre article : Une mission du Sénat pour évaluer les réformes de Jean-Michel Blanquer

Après examen du rapport Longuet, la commission des Finances a appelé à voter les crédits prévus dans le budget 2022 pour l’enseignement scolaire. Une position partagée par la commission de la Culture et de l’Éducation, mais rendue caduque mardi, lorsque le rejet par la majorité sénatoriale d’un article d’équilibre a fait tomber l’ensemble du PLF, avant que ne soient examinés les crédits alloués à chaque ministère.

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