Restauration de Notre-Dame : « Un détournement de la volonté des donateurs » déjà pointé par le Sénat

Restauration de Notre-Dame : « Un détournement de la volonté des donateurs » déjà pointé par le Sénat

Un rapport de la Cour des comptes pointe le manque de transparence dans l’utilisation des dons pour la reconstruction de la cathédrale de Notre-Dame de Paris, dont une partie finance les dépenses de fonctionnement de l’établissement public chargé de la restauration et dont l’État à la charge. Lors de l’examen du projet de loi au Sénat, les parlementaires avaient alerté le gouvernement sur ce risque.
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« On avait raison trop tôt comme d’habitude » s’agace la sénatrice centriste Nathalie Goulet à l’évocation du rapport de la Cour des comptes, qui pointe, le manque de transparence dans la destination des dons pour la restauration et la reconstruction de la Notre-Dame de Paris. Il est vrai que ce « premier bilan » fait par les magistrats de la rue de Cambon exprime les mêmes questions que celles exprimées lors des débats du Sénat lors de l’examen du projet de loi encadrant la restauration de la cathédrale.

« Les donateurs ont donné pour reconstruire et restaurer les cathédrales »

Ce mercredi, à l’issue de la publication du rapport, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici a dénoncé l’opacité de l’utilisation dès 184,398 millions collectés au 31 décembre 2019 sur 640 millions de promesses de dons. « Nous demandons à ce que tous les dons servent à ce pour quoi ils ont été prévus. Les donateurs ont donné pour reconstruire et restaurer les cathédrales » a-t-il rappelé. Or, dans les faits, « il payent aussi (…) les frais de fonctionnement de l’établissement public (…) Ce que nous demandons c’est que soit mis fin à cette débudgétisation » a-t-il ajouté.

Ces dépenses de fonctionnement de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame sont de l’ordre de 5 millions par an. Elles comprennent le loyer des locaux situés cité Martignac dans le VIIème arrondissement de Paris, les salaires ou encore les frais de communication. « Ce mode de financement paraît d’autant moins fondé que certaines des missions qui sont attribuées à l’établissement public, et qui ont vocation à mobiliser près du quart de ses effectifs, ne relèvent pas en tant que telles de la conservation et de la restauration de la cathédrale, notamment la valorisation de ses abords » note le rapport.

Cette question de la destination des dons est pourtant définie à l’article 2 de la loi « pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre‑Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet » promulguée le 16 juillet 2019 : « Les fonds recueillis au titre de la souscription nationale sont exclusivement destinés au financement des travaux de conservation et de restauration de la cathédrale Notre‑Dame de Paris et de son mobilier dont l’État est propriétaire ainsi qu’à la formation initiale et continue de professionnels disposant des compétences particulières qui seront requises pour ces travaux ».

« Le gouvernement voulait aller vite »

Jean-Pierre Leleux, ancien sénateur LR et président de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture, chargée notamment de la reconstruction de Notre-Dame de Paris se souvient que ce point avait fait l’objet « d’un long débat parlementaire ». « Il y avait une ambiguïté sur les termes ‘restauration’et ‘conservation’, le texte a été examiné en urgence. Le gouvernement voulait aller vite » regrette-t-il.

Il n’empêche, les sénateurs avaient néanmoins pris le temps d’identifier ce manque de clarté relevé par la Cour des Comptes. La Haute assemblée avait d’ailleurs adopté un amendement de la sénatrice centriste, Nathalie Goulet qui précisait : « La conservation s’entend des travaux de sécurisation, de stabilisation et de consolidation et non de l’entretien courant et des charges de fonctionnement qui relèvent des compétences de l’État, y compris celles de l'établissement public ». L’amendement ne survivra pas à la navette parlementaire.

En seconde lecture, le rapporteur LR pour la commission de la culture, Alain Schmitz alertera pourtant le ministre de la Culture de l’époque, Franck Riester. « Les souscriptions ont été consenties pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris – un point c’est tout. Il ne faut pas que l’on puisse nous reprocher, ainsi qu’au Gouvernement, d’avoir financé sur le produit de la souscription une partie des charges d’entretien qui incombent à l’État ».

« Il s’agit un détournement de la volonté des donateurs. J’avais déjà anticipé ce risque car les dons étaient souvent accompagnés d’un petit mot où il était précisé qu’il s’agissait bien d’argent pour la restauration » se souvient aujourd’hui Alain Schmitz.

« Vous avez une connaissance très fine de la volonté de chaque donateur de Notre-Dame de Paris. Bravo ! »

Un risque de détournement de la volonté des donateurs que Franck Riester avait balayé en première lecture. « Vous avez une connaissance très fine de la volonté de chaque donateur de Notre-Dame de Paris. Bravo ! Vous avez dû les consulter les uns après les autres pour savoir exactement quelle était leur volonté individuelle… » avait-il objecté au président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau qui exprimait la même inquiétude qu’Alain Schmitz.

Selon le rapport de la Cour des comptes, ce défaut de transparence serait également dû au fonctionnement de l’établissement public, qui pour mémoire a été créé 5 mois après la promulgation de la loi, le 1er décembre 2019. « Le décret constitutif du nouvel établissement lui confie des missions larges, institue une gouvernance marquée par le poids à tous les niveaux de son président exécutif » souligne le rapport. L’arrivée du général Jean-Louis Georgelin, un militaire pour conduire le chantier de restauration de Notre-Dame, avait en effet surpris voir inquiété.

« Il voulait un catholique, quelqu'un qui ait exercé de hautes responsabilités dans l'État, et qui soit reconnu comme un homme d'autorité » avait-il justifié lors de son audition au Sénat en janvier dernier. La Cour des comptes considère comme « anormale » l’absence de réunions du comité de suivi des travaux jusqu’au 17 juillet 2020, « tout comme la mise en place tardive fin juin 2020 par l’établissement public du comité des donateurs, institué par son décret constitutif ». « La régularité des réunions de ces comités et la précision des informations délivrées sont indispensables pour permettre aux collecteurs d’informer les donateurs de manière précise de l’emploi des fonds. À défaut, le risque existe que la confiance du public ne s’érode, avec pour conséquence une incidence sur la concrétisation des promesses de dons et la mobilisation de ressources de mécénat à l’étranger » alerte le rapport.

À ce sujet, Jean-Louis Georgelin avait prévenu les sénateurs dès le mois de janvier. « Il ne faudrait pas non plus que le changement de chaque pierre de la voûte nécessite la réunion d'une commission pendant trois mois ».

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