Retraites : atmosphère électrique au Sénat, les débats calent sur le début de l’article 9
La séance du 9 mars au Sénat sur les retraites s’est terminée sous très haute tension. La commission des affaires sociales pensait accélérer les débats avec une demande d’examen prioritaire d’un amendement. Une cinquantaine de rappels au règlement ont suivi. Le gouvernement a, quant à lui, fait usage de l’article 44-2 de la Constitution.

Retraites : atmosphère électrique au Sénat, les débats calent sur le début de l’article 9

La séance du 9 mars au Sénat sur les retraites s’est terminée sous très haute tension. La commission des affaires sociales pensait accélérer les débats avec une demande d’examen prioritaire d’un amendement. Une cinquantaine de rappels au règlement ont suivi. Le gouvernement a, quant à lui, fait usage de l’article 44-2 de la Constitution.
Guillaume Jacquot

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Au huitième jour d’examen de la réforme des retraites, le ton est encore monté d’un cran entre l’opposition de gauche et la majorité sénatoriale, dans la nuit du 9 au 10 mars. Rien n’annonçait une séance nocturne aussi tendue. Plus tôt dans la journée, le Sénat a poursuivi sa progression dans le texte, adoptant l’article 8, sur le dispositif sensible des carrières longues. En début de soirée, plusieurs amendements ont même été adoptés dans une forme de concorde, sur le sujet des majorations de durée d’assurance au titre des enfants.

La machine parlementaire s’est rapidement grippée peu après la reprise de 21 h 30, lorsque l’hémicycle est entré dans l’article 9, un article important où doivent être abordées les questions de prévention et de compensation de la pénibilité au travail et des risques professionnels. Il est presque 22 heures quand la présidente de la commission des affaires, Catherine Deroche, demande la « priorité d’examen et de vote » sur l’un des amendements des rapporteurs. L’amendement en question prévoit d’inclure les agents chimiques parmi les facteurs pris en compte par le futur Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle. Depuis le plateau, le président de séance, Vincent Delahaye (Union centriste) indique que son adoption aura pour effet de faire tomber une soixantaine d’amendements de la gauche, dont l’examen était prévu juste avant.

La gauche conteste l’appel en priorité d’un amendement

Sur les bancs de gauche, les premiers rappels au règlement fusent. « Il y a une distorsion par rapport à l’application normale du règlement », dénonce alors Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste. Le sénateur de l’Isère « suggère » à la droite de garder à l’esprit que les principes de « la clarté et de la sincérité du débat parlementaire » seront soulevés devant le Conseil constitutionnel. Dans son groupe, il n'est pas le seul à penser que ce type de procédure « fragilise » juridiquement le projet de loi. Patrick Kanner, son homologue du groupe socialiste, crie au « sabotage ».

À l’issue d’une première suspension de séance, la colère ne retombe pas chez les socialistes, les communistes et les écologistes, qui contestent en chœur le procédé. Ils considèrent que leurs amendements de suppression doivent être débattus en premier lieu, quoiqu’il advienne. « Il y a de l’insincérité dans la manière dont vous organisez les débats », déplore le communiste Pierre Laurent. « Vous avez accepté de soumettre le Sénat à la volonté de l’exécutif ! » renchérit le socialiste David Assouline. Son collègue Claude Raynal, le président de la commission des finances, avertit la droite que la manœuvre aura les effets inverses à ceux recherchés. « Il y a 70 amendements qui vont tomber. Ça aurait fait 70 prises de parole sur le sujet qui nous intéresse. On va les remplacer par 70 rappels au règlement, c’est intelligent... »

C’est bel et bien une cinquantaine de rappels au règlement qui s’enchaîneront jusqu’à la levée de la séance. Le président Vincent Delahaye tient à nuancer les choses : « Je précise qu’après les amendements qui tomberaient, il en restera 140. Il restera quand même 140 prises de parole. » Le calme ne revient pas, et la gauche est bien décidée à faire des sénateurs LR les « arroseurs arrosés ». « Si vous pensez que nous allons plier le genou, mettre notre robe de bure et la corde au cou, la réponse est non », s’exclame Patrick Kanner.

Après quasiment trente rappels au règlement, le rapporteur René-Paul Savary (LR) prend enfin la parole. « Vous récoltez ce que vous avez semé la semaine dernière. Vous n’avez pas tenu vos engagements », reproche-t-il aux sénateurs de gauche. « Demandez à vos présidents de groupe, ils savent bien de quoi je parle. » Le sénateur de la Marne rappelle que la majorité sénatoriale a accepté que les débats sur l’article 7 (recul à 64 ans de l’âge légal) ne se tiennent pas avant le défilé des cortèges du 7 mars. « En contrepartie, il était bien question que l’on puisse débattre pour aller jusqu’au bout du texte. »

Olivier Dussopt convoque l’article 44-2 de la Constitution pour refuser les sous-amendements déposés pendant la séance

Nouvelle suspension de séance. Entre-temps, la gauche a répliqué avec le dépôt de 155 sous-amendements sur l’amendement appelé en priorité. À la reprise, le ministre du Travail Olivier Dussopt intervient pour dénoncer une « volonté de blocage ». « Comme vous pouvez le constater, le dérouleur continue d’augmenter, c’est une forme de vie sans fin […] Il y a 160 amendements qui font le tour du dictionnaire des produits chimiques et des agents chimiques de France. C’est une volonté manifeste d’obstruction. »

L’engrenage procédural se poursuit. Cette fois, le ministre use du deuxième alinéa de l’article 44 de la Constitution. Ce 44-2 lui permet de s’opposer à tous les sous-amendements qui n’ont pas été examinés par la commission des affaires sociales. La liasse déposée en urgence est donc déclarée irrecevable.

Les protestations à gauche repartent de plus belle. « Ce que vous faites ce soir, la majorité sénatoriale et le gouvernement, est pour nous un signe de faiblesse politique et un signe de fébrilité. C’est un nouveau coup de force coorganisé », s'oppose la présidente du groupe communiste, Éliane Assassi. « Vous auriez pu utiliser le 44-3, à savoir un vote bloqué. C’est peut-être la prochaine étape », pressent Patrick Kanner. Le socialiste Yan Chantrel promet que de nouveaux sous-amendements seront déposés plus tard. Il accuse gouvernement et majorité sénatoriale de s’être coordonnés. « Nous avons vu pendant cette suspension M. Retailleau et M. Dussopt, main dans la main, qui sont sortis de la séance pour décider ensemble d’activer cet article de la Constitution ! »

« Vous jouez avec les allumettes »

Pris à partie, le sénateur de Vendée sort de sa réserve. « Vous ne voulez pas discuter du fond, vous voulez bloquer la discussion […] J’exige que les droits de la minorité ne s’imposent pas aux droits de la majorité. » Quelques minutes plus tard, c’est au tour du centriste Olivier Henno de sortir de ses gonds face à la stratégie de la gauche de l’hémicycle. « Vous jouez avec les allumettes », s’emporte-t-il, inquiet pour les institutions. Avant de lancer à Patrick Kanner : « Vous êtes dépassé par votre base radicale. Vous respirez le mal-être. »

Laborieusement, l’hémicycle finit par revenir sur le fond sur l’amendement de la discorde, celui du rapporteur. C’est notamment sur la suppression de quatre critères de pénibilité en 2017 que se concentrent leurs interventions. Peu avant 1 heure du matin, l’amendement du rapporteur est finalement mis aux voix. La gauche s’abstient. L’amendement adopté fait tomber tous les amendements de suppression de l’article. Lorsque la séance est levée dans la foulée, l’hémicycle a donc à peine effleuré l’article 9. Les débats reprendront ce vendredi à 9 h 30. Au compteur, 982 amendements restent à examiner d’ici dimanche minuit.

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