Retraites : la droite sénatoriale prête à « assumer une réforme » sous conditions

Retraites : la droite sénatoriale prête à « assumer une réforme » sous conditions

Alors que le gouvernement engage finalement des concertations sur les retraites avant un texte cet hiver, la droite sénatoriale se montre ouverte. Mais Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, « attend de voir quelle sera la réforme », avant de se prononcer. « Tactiquement », Roger Karoutchi « conseille au gouvernement » de donner le texte d’abord au Sénat « pour qu’on puisse sortir un texte correct, acceptable, et le faire voter à l’Assemblée nationale » par les députés LR.
François Vignal

Temps de lecture :

9 min

Publié le

Mis à jour le

Le gouvernement change son fusil d’épaule. Après un dîner mercredi soir à l’Elysée rassemblant tous les cadres de la majorité et les ministres, Emmanuel Macron a finalement décidé de laisser (un peu) de temps à la concertation sur la réforme de retraites. Charge au gouvernement de présenter un projet de loi, qui devra être adopté « avant la fin de l’hiver », qui se termine, rappelons-le, le 19 mars. Exit donc, pour l’heure, l’amendement au PLFSS ou un PLFRSS. L’objectif étant toujours une mise en œuvre pour l’été 2023.

Lire aussi >> Retraites : les pistes de la réforme évoquées jusqu’ici par le gouvernement

« On fait le choix du dialogue et de la concertation », a affirmé ce jeudi matin la première ministre Elisabeth Borne à l’AFP. Elle a demandé au ministre Olivier Dussopt « d’engager dès la semaine prochaine » des négociations avec les organisations patronales et syndicales, ainsi qu’avec les « groupes parlementaires ». Cette concertation sera lancée sur la base du projet d’Emmanuel Macron, à savoir un report de l’âge l’égal à 65 ans. Seront aussi sur la table le « dispositif carrières longues », la pénibilité, « la prévention de l’usure au travail », « les sujets d’aménagement de fin de carrière, et de transition entre l’emploi et la retraite », « l’emploi des seniors », « la revalorisation (à 1 100 €) du minimum de pension » et même « les régimes spéciaux ».

« Un progrès »

Après les critiques sur l’éventualité du recours à un amendement au PLFSS, ce changement de méthode enlève de fait un angle d’attaque aux LR. « C’est un progrès, on parle enfin de concertation et de dialogue », a salué sur Sud Radio le président du groupe LR de l’Assemblée, Olivier Marleix, selon qui « une réforme des retraites, c’est une vision et une volonté, c’est aussi une méthode et du respect. […] L’idée du passage en force était une folie ». « Ce n’est pas du tout une surprise pour moi », affirme à publicsenat.fr Bruno Retailleau, à la tête des sénateurs LR, « quand j’ai rencontré Elisabeth Borne la semaine dernière, j’avais nettement senti une inflexion ».

Lire aussi >> La réforme des retraites va-t-elle se transformer en « piège » pour les LR ?

Le sénateur Roger Karoutchi s’étonne lui du timing et incite à ne pas traîner. « La concertation a déjà eu lieu », lance le vice-président LR du Sénat, qui rappelle celle organisée par Jean-Paul Delevoye, lors du précédent quinquennat. « Le gouvernement connaît parfaitement les positions des syndicats et partis », ajoute le sénateur des Hauts-de-Seine. « Bien sûr, je préfère un texte à un amendement, mais le gouvernement doit pouvoir faire le texte maintenant, de manière assez rapide. […] Pourquoi le faire dans quatre mois ? En janvier, on dira qu’il y a des oppositions et ce sera reporté. Plus on attend et moins il y a de chance que ce texte passe », met en garde Roger Karoutchi.

Bruno Retailleau pointe « l’énorme différence qu’il peut y avoir entre les discours et les faits » chez Emmanuel Macron

« C’est une réforme indispensable qui nécessite du courage », a répété sur BFMTV le président LR du Sénat, Gérard Larcher, qui souligne que « tout est dans l’amendement que le Sénat propose depuis 2020 à chaque PLFSS. J’ai vu que l’inspiration n’était pas très éloignée ». Le président du groupe LR du Sénat rappelle aussi que « chaque année, on dépose un amendement dans le PLFSS, mais sa première condition, c’est l’engagement d’une concertation. Ce n’est que lorsqu’elle échoue, que les règles s’appliquent. Mais l’amendement donne sa chance à la négociation ».

La droite sénatoriale sera-t-elle alors prête à voter la réforme, si le gouvernement s’inspire de ses travaux ? « Il faut savoir ce que le gouvernement va retenir », tempère Bruno Retailleau, « on est instruit, avec Emmanuel Macron, de l’énorme différence qu’il peut y avoir entre les discours et les faits. J’attends de voir quelle sera la réforme ».

Ironie de l’histoire, la droite, qui pousse pour le report depuis des années, se retrouve aujourd’hui à défendre une année de moins qu’Emmanuel Macron. « Au Sénat nous étions à 64 ans de manière progressive. Il peut y avoir un sujet », selon Gérard Larcher, qui renvoie « au débat parlementaire » pour « ajuster sur chacun des curseurs ». « Ce n’est pas une question dogmatique. Il faut aller progressivement vers 64 ans. […] Ce serait aberrant de donner l’impression qu’il y a des dogmes, parce que nos voisins travaillent tous beaucoup plus, etc », avance même Olivier Marleix, selon qui la réforme « n’est pas qu’une mesure d’âge. Cela donne le sentiment que c’est un signal envoyé aux marchés financiers ».

« En l’état, s’il n’y a rien dans le PLFSS, on reste sur notre proposition de faire un amendement »

Conforme à l’esprit de nombreux sénateurs LR, Roger Karoutchi se montre ouvert. « Si le texte va dans le sens de ce qu’on demande, avec un allongement de la durée de cotisation, l’âge, la prise en compte de la pénibilité, des carrières longues, on amenderait à la marge, mais sur le principe, pourquoi pas le voter », affirme le sénateur des Hauts-de-Seine. « Ma famille politique a toujours été pour une réforme des retraites, je ne vois pas comment on refuserait des mesures sur les retraites alors que nous, systématiquement, on les a mises », ajoute Catherine Deroche, présidente LR de la commission des affaires sociales du Sénat.

Si le gouvernement dépose un texte ad hoc, les sénateurs déposeront-ils toujours leur amendement au PLFSS ? « Je ne sais pas si les sénateurs signeront (le texte du gouvernement) des deux mains, mais au Sénat, c’est un sujet que la commission des affaires sociales portera, dès le PLFSS », soutient Gérard Larcher, « ça engagera le débat, c’est une manière de l’éclairer ». « En l’état, s’il n’y a rien dans le PLFSS, on reste sur notre proposition de faire un amendement. Mais une information chasse l’autre et on va voir ce qui ressort de l’Assemblée », affirme, prudente, Catherine Deroche. René-Paul Savary, l’auteur justement de l’amendement déposé chaque année, temporise aussi. « On va voir. Chaque année, nous le déposions comme un amendement d’appel et dans le cadre d’équilibre du PLFSS », avance le sénateur LR de la Marne, « on va voir ce qu’il en est et on va aviser ».

Menace de dissolution : « On tente de nous imposer un projet et non pas de le discuter »

Le Monsieur retraite du groupe LR du Sénat s’étonne en revanche que cette volonté du Président d’ouvrir une concertation s’accompagne d’un coup de pression, en agitant la menace d’une dissolution, en cas de d’adoption d’une motion de censure. « Une concertation, ça veut dire la recherche et la prise en compte d’arguments qui ne figurent pas forcément dans les propositions gouvernementales. Or cette bonne intention est cassée par le fait de dire que s’il y a une motion de censure, je dissous. Ça veut dire quoi ? On tente de nous imposer un projet et non pas de le discuter », dénonce René-Paul Savary. Une dissolution, « c’est absurde », selon Roger Karoutchi, qui lance : « S’il veut dissoudre, banco ». « A un moment ou un autre, le Président devra dissoudre », selon le vice-président du Sénat, mais il ne « croi(t) pas qu’il le fasse sur les retraites ».

Autre question, députés et sénateurs seront-ils sur la même ligne, alors que le vote des députés LR est indispensable pour faire adopter la réforme, sauf à utiliser le 49.3 ? « On va faire en sorte de l’être », assure Bruno Retailleau, « mais nous, très clairement, on assumera le besoin d’une réforme ». Olivier Marleix explique qu’il arrêtera avec ses députés une position « au terme des négociations avec les partenaires sociaux ». Mais le président du groupe prévient qu’« on a notre liberté, on peut déposer et voter des motions de censure ». Bref, « ça dépendra de ce qu’il y a dedans. Il est hors de question de donner un chèque en blanc. Ce n’est pas parce qu’on est partisan d’une réforme des retraites qu’on acceptera n’importe quelle réforme », prévient le patron des députés LR.

« Si le texte venait au Sénat en premier, c’est plus facile de convaincre après la droite de l’Assemblée »

Roger Karoutchi a une idée pour faciliter l’adoption de la réforme. « Tactiquement, si le texte venait au Sénat en premier, avant l’Assemblée, on voterait un texte. C’est plus facile de convaincre après la droite de l’Assemblée de le voter », avance l’ancien ministre des Relations avec le Parlement, qui insiste : « Je conseille au gouvernement de nous donner le texte en premier, pour qu’on puisse sortir un texte correct, acceptable, et qu’on puisse le faire voter à l’Assemblée nationale ». Un tel calendrier confirmerait le nouveau poids du Sénat, renforcé par le contexte politique, et faciliterait en effet un soutien des députés LR. Mais ces derniers jours nous ont appris que les choses peuvent encore bouger sur les retraites.

Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’option de l’amendement au PLFSS revienne par la fenêtre. Car si les discussions n’aboutissent pas, l’exécutif pourrait encore garder cette cartouche. Or on sait l’opposition des syndicats et des oppositions de gauche à un report de l’âge… « Si on dit ça n’aboutit pas et qu’on met un amendement au PLFSS, ça va hurler de tous les côtés. Ce serait même pire ! » prédit Catherine Deroche. Peut-être que l’exécutif n’est plus à un atermoiement près.

Dans la même thématique

Paris : Launch of 100-day countdown Paris 2024 Olympic and Paralympic Games
8min

Économie

Déficit public : « La trajectoire annoncée est difficilement atteignable », juge l’économiste Stéphanie Villers

Le ministre des Comptes publics Thomas Cazenave a présenté le programme de stabilité en conseil des ministres ce mercredi 17 avril. Ce document qui résume la trajectoire du déficit public et de la dette française « manque de crédibilité » selon le Haut Conseil des finances publiques. Un « jugement objectif qu’il faut entendre », selon la conseillère économique chez PwC Stéphanie Villers.

Le

Retraites : la droite sénatoriale prête à « assumer une réforme » sous conditions
5min

Économie

Atos : les dirigeants « confiants » sur l’avenir du groupe, les sénateurs appellent l’État à faire une entrée durable au capital

Auditionnés devant la mission d’information sénatoriale, le président du conseil d’administration et le directeur général de la société se sont montrés confiants sur l’avenir de leur groupe, après des accords de liquidités conclus ces derniers jours. Lourdement endetté, le fleuron français de l’informatique a toujours besoin d’énormes apports financiers, le temps de relever la tête. Les sénateurs appellent l’État à davantage d’engagement.

Le

Retraites : la droite sénatoriale prête à « assumer une réforme » sous conditions
4min

Économie

Déficit 2024 : Thomas Cazenave affirme qu’il n’y a « pas de plan caché » d’augmentation des impôts

Interpellé par le groupe LR au Sénat sur l’absence d’un projet de loi de finances rectificative, le ministre des Comptes publics a détaillé la marche à suivre pour contenir le déficit à 5,1 % en 2024. Sans texte financier supplémentaire, Bercy veut obtenir 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires, en jouant sur les crédits mis en réserve et en demandant un effort aux collectivités territoriales.

Le