Retraites : la réforme prise en sandwich entre « blocage » et « passage en force »

Retraites : la réforme prise en sandwich entre « blocage » et « passage en force »

A peine commencés, les débats sur la réforme des retraites sont déjà enlisés à l’Assemblée. Dans ces conditions, on voit mal comment le gouvernement pourrait se passer du 49.3, qui permet de couper court au débat et d’adopter en force le texte.
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L’issue semble cousue de fil blanc. Le gouvernement, après avoir répété qu’il ne souhaitait pas recourir au 49.3 sur la réforme des retraites pour laisser le temps au débat parlementaire, se résoudra, la mort dans l’âme, et après des heures d’échanges dans l’hémicycle, à « prendre ses responsabilités » face à « l’obstruction » et donc, à dégainer l’arme nucléaire législative, le 49.3.

Guérilla parlementaire et pression dans la rue

Officiellement, on n’en est pas encore là. Les ministres se relaient pour assurer qu’ils souhaitent le débat jusqu’au bout et éviter le recours à cet article de la Constitution, qui permet de faire adopter un projet de loi sans examiner l’ensemble du texte, à condition qu’une motion de censure ne soit pas votée. Le 13 janvier, le ministre chargé des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, affirmait ainsi sur Public Sénat que le 49.3 n’était pas dans les « tuyaux ». Aujourd’hui, c’est toujours la ligne.

Retraites : « Il n’y a pas dans les tuyaux du gouvernement de procédure 49-3 » (Fesneau)
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Mais La France Insoumise, qui a déposé une bonne partie des 41.000 amendements à l’Assemblée nationale, compte bien continuer cette guérilla parlementaire. Une stratégie assumée, alors que les syndicats cherchent à maintenir la pression dans la rue, avec une nouvelle journée de mobilisation ce jeudi. Autour de la table de la Conférence de financement, qui a commencé à plancher sur la question de l’équilibre financier, la CGT a déjà claqué la porte dès le premier jour, mardi. Pas vraiment une surprise. Si un accord est trouvé entre syndicats réformistes et patronat, ce pourrait être un cocktail de mesures.

Les discussions s’enlisent et les esprits s’échauffent

Mais pour l’heure, les discussions s’enlisent au Parlement. Et les esprits s’échauffent. Pour preuve, cet échange tendu entre Richard Ferrand et Jean-Luc Mélenchon, repéré par LCP-AN. Le président LREM de l’Assemblée nationale s’appuie sur le règlement pour supprimer des amendements identiques déposés par LFI ou le PCF. Ces derniers répondent par des sous-amendements. On en retire d’un côté pour en rajouter de l’autre. « Le risque à terme, c’est d’en avoir un nombre encore plus important... » craint un conseiller ministériel. Pour le moment, environ 4.000 amendements ont été retirés, car jugés irrecevables pour diverses raisons.

Chez certains députés de la majorité, on sent que le pétage de plomb n’est déjà pas loin. Seulement « deux amendements examinés en plus de trois heures de débats ce matin » se lamente sur Twitter le député LREM Thomas Mesnier. « C’est épuisant, c’est débilitant, intellectuellement nul », mais « il faut tenir et garder ses nerfs » conseille le sénateur Modem, Jean-Marie Vanlerenberghe, futur rapporteur du projet de loi organique de la réforme des retraites au Sénat.

Pas de 49.3… « pour l’instant »

Avec un bon coup de 49.3, les choses seraient si simples… C’est tentant et c’est bien le piège que veut tendre l’opposition au gouvernement. « Pour l’instant la position ne change pas. Il faut laisser faire le débat. Il y a trois semaines et un week-end ouvert. Ce n’est pas la peine de tirer de conclusion trop hâtive » se borne-t-on à dire dans un ministère. « Pour l’instant ». Car d’ici quelque temps, on sent que les choses pourraient évoluer.

Dans les prises de parole publiques, on voit en réalité les responsables de la majorité commencer à bouger. On comprend que le jeu est de ne pas dégainer trop tôt. « Le 49.3 est un outil constitutionnel, et à ce stade la Constitution n’a pas bougé, sauf erreur de ma part » a rappelé mercredi Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, soulignant que « l’obstruction » n’est pas « du fait » du gouvernement (voir le sujet vidéo de Pierre-Henri Holderbaum). Entre les lignes, Stanislas Guerini, délégué général de LREM, va un peu plus loin. « On veut absolument aller au bout de ce texte (…) et nous, nous avons l’esprit de responsabilité. (…) On ne lâchera pas » a prévenu le député sur BFM-TV. Et d’insister : « Je ne veux pas qu’on cède à des oppositions irresponsables qui font en sorte qu’on ne puisse pas aller au bout de l’examen, nous sommes déterminés. (…) Ce n’est pas le choix de cette majorité d’utiliser le 49.3, mais je veux aller au bout de ce texte »… C’est quasiment dit. L’idée étant de prendre à témoin l’opinion, « les choses se font devant les Français, en transparence ». Le plus direct sur le sujet reste le patron du groupe MoDem, Patrick Mignola. Dès fin janvier, il appelait à utiliser le 49.3.

« Ce serait mentir de dire qu’on ne pense pas du tout au 49.3 »

De source ministérielle, on reconnaît du bout des lèvres que le 49.3 est bien une option. « Je ne vais pas vous mentir, c’est un outil à notre disposition, ce serait mentir de dire qu’on n’y pense pas du tout. Mais les choses peuvent encore beaucoup évoluer » explique-t-on. La séance est ouverte pour trois semaines, mais une quatrième, voire une cinquième semaine pourrait être ouverte, en utilisant la trêve parlementaire d’avant municipales, si cela s’avère nécessaire pour terminer.

Mais on n’en est pas là, surtout au rythme où vont les débats. Cet après-midi, Richard Ferrand a fait un point sur leur avancée : « A ce rythme, 1643 heures de séance seront nécessaires pour terminer la seule loi ordinaire soit, si l'Assemblée siège du lundi au dimanche soir (...), 150 jours de séance ». Autrement dit, il faudrait… 5 mois d’examen non-stop ! Dans ces conditions, il est certain que le gouvernement utilisera le 49-3.

« Au début, on jette son venin et après, on se fatigue »

Sauf si l’opposition change de stratégie. « La question est de savoir si certains vont déposer les armes ou pas » souligne Jean-Marie Vanlerenberghe, « au début, on jette son venin et après, on se fatigue ». Si le sénateur Modem est « incapable de dire si le gouvernement arrivera à éviter le 49.3 », il souligne que « l’opposition a la volonté de démontrer par l’absurde que le gouvernement est dans l’incapacité de faire voter sa loi autrement qu’en pensant en force ». Jean-Marie Vanlerenberghe ajoute :

Mais entre le passage en force et le blocage en force, qui a raison ? Bloquer les travaux parlementaires, ce n’est pas rendre service au Parlement.

Avant de sortir la Grosse Bertha qu’est le 49.3, le gouvernement pourra recourir à quelques subterfuges de la procédure. Si le temps législatif programmé est exclu, à cause de la volonté de l’exécutif d’aller vite (voir notre article), il reste le vote bloqué, ou encore la réécriture d’articles, qui permet de faire tomber les amendements qui leurs sont liés. Mais pas de quoi faire des miracles.

Jean-Marie Vanlerenberghe : « Bien malin celui qui ira vendre qu’il faut passer à 64 ans »

Dans cette paralysie de l’Assemblée, qui rappelle fortement le début de l’examen de la réforme constitutionnelle, en pleine affaire Benalla, le Sénat pourrait peut-être profiter de la situation. « On peut penser que finalement, la discussion sereine de la loi se fera au Sénat, à condition qu’on joue le jeu sereinement » pense le rapporteur général de la commission des affaires sociales du Sénat. A la Haute assemblée, la droite a déjà assuré qu’elle ne comptait pas faire d’obstruction (lire notre article).

Jean-Marie Vanlerenberghe a pour sa part « la volonté qu’on soit constructif au Sénat, qu’on n’entre pas dans la différentiation absolue. Il faut amender le projet de loi, mais on ne peut pas tout bouleverser. Bien malin celui qui ira vendre qu’il faut passer à 64 ans pour l’âge légal de départ, ou faire de la capitalisation » prévient le sénateur Modem. Message envoyé à ses collègues du groupe LR, qui ne jurent que par le report de l’âge légal. Ils en ont d’ailleurs déjà plusieurs fois adopté le principe, ces dernières années. « J’entends des gens qui ont ce projet, qu’on peut qualifier de droite. On dit ça, quand on est dans l’opposition. Mais tout ça n’est pas sérieux. Il faut toujours être raisonnable » insiste le rapporteur du projet de loi organique. De quoi alimenter les débats au Sénat et au sein de sa majorité…

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