Retraites : la réforme qui divise syndicats, parlementaires et jusque dans la majorité

Retraites : la réforme qui divise syndicats, parlementaires et jusque dans la majorité

Lors d’une réunion avec les syndicats ce lundi, Olivier Dussopt n’a « pas écarté » l’option d’une réforme des retraites par l’intermédiaire des textes budgétaires de l’automne. Une option qui divise la majorité présidentielle, met les syndicats sur les dents, et peine à convaincre les spécialistes du sujet au Sénat, qui auraient aimé une discussion plus large autour du système des retraites.
Louis Mollier-Sabet

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Une réforme pour les gouverner toutes. Au sein de la majorité présidentielle, le tube de la rentrée, ce n’est pas Rings of power – le nouveau spin-off du Seigneur des Anneaux – mais bien la sacro-sainte réforme des retraites. « Il faudra la faire », martèlent les macronistes en invoquant les dernières prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR), qui prévoient une dégradation du déficit du régime pour 2023 et un retour à l’équilibre pour seulement 2030. Pourtant, en 2021 le COR prévoyait un déficit de 14 milliards d’euros qui devait mettre dix ans à se résorber, alors que le dernier rapport fait finalement état de bénéfices à hauteur de 900 millions d’euros, rappelle la sénatrice socialiste Monique Lubin, l’une des huit parlementaires membre du COR : « Le rapport du COR fait 350 pages, une fois que l’on a bien assimilé tout, on se rend compte que c’est hyper sensible, dans le sens où il ne faut pas grand-chose pour faire évoluer les curseurs d’un côté ou de l’autre. On fait des prévisions à l’horizon 2070, alors qu’on déjà du mal à deux ans. Qui, il y a deux ans, aurait pu prédire l’inflation et la croissance [qui ont résorbé le déficit prévu, ndlr] ? »

« Je suis favorable à ce que l’on avance. Après, la formule, je ne la connais pas »

Toujours est-il que dans la majorité présidentielle et à droite, la réforme des retraites est restée à l’agenda depuis son abandon avec la pandémie de covid début 2020, comme l’a confirmé une réunion au ministère du Travail entre Olivier Dussopt et les organisations syndicales. « On a senti qu’Olivier Dussopt rôdait les éléments de langage pour passer une mesure rapidement », a par exemple expliqué le numéro un de la FSU, Benoît Teste. Yvan Ricordeau, négociateur attitré de la CFDT a ainsi accusé le ministre du Travail de « noircir la perspective financière pour légitimer une mesure qui interviendrait rapidement », tandis que Catherine Perret, au nom de la CFT, a, elle, promis de « rentrer dans la confrontation sociale » si une réforme des retraites était intégrée au budget de la Sécurité sociale. L’Unsa, la CFE-CGC, ainsi que la CFTC se sont tous joints à l’avertissement posé au gouvernement, et une réforme des retraites dans les textes budgétaires de l’automne semble clairement avoir été unanimement posée par les syndicats comme ligne rouge à ne pas franchir.

Du côté de la Macronie, on assume vouloir « avancer » sur le dossier des retraites, sans que la méthode ait été tranchée, mais en continuant d’évoquer la possibilité de passer par les textes budgétaires de l’automne, sans loi dédiée au sujet. Olivier Dussopt n’aurait en tout cas « pas écarté » l’option lors de sa réunion du jour avec les syndicats, d’après Cyril Chabanier, leader de la CTFC. « Je suis favorable à ce que l’on avance. Après, la formule, je ne la connais pas », lâche François Patriat, proche d’Emmanuel Macron et président du groupe RDPI/Renaissance au Sénat. « Je ne sais pas si ce sera dans le PLFSS [le budget de la sécurité sociale, ndlr]. Mais si ça l’est, Les Républicains ont déposé cet amendement 3 ans de suite au Sénat, je les vois mal refuser, ce serait fort de café », poursuit-il. C’est un peu le piège tendu par la Macronie à la droite : se renier, ou suivre la majorité présidentielle.

« On va se concerter combien de temps ? On sait qui est pour et qui est contre »

En tout cas, la question de la méthode et du véhicule législatif par lequel passera la réforme des retraites n’est pas seulement une coquetterie parlementaire. Passer par le PLFSS a deux conséquences immédiates : le gouvernement ne pourra toucher qu’à l’âge légal de départ et / ou la durée de cotisation – les fameux critères « paramétriques » – et le débat politique durera quelques heures seulement au Parlement. Un problème en soi pour Monique Lubin : « Les LR nous déposent un amendement pour repousser l’âge légal tous les ans. Cela fait 1h de débat, un scrutin public et terminé. C’est comme ça que l’on veut traiter les Français ? Je trouve que c’est une provocation. Une réforme des retraites, on doit en discuter. » François Patriat, qui se dit plutôt favorable à un allongement de la durée de cotisation et pas à un report de l’âge légal de départ, ne voit en revanche pas de problème à passer par le PLFSS sur la forme : « On va se concerter combien de temps ? On sait qui est pour et qui est contre. À partir du moment où les syndicats refusent de discuter, ce sera quand le bon moment ? Est-ce que ce sera mieux en 2023 – 2024 ? Je ne crois pas. »

Tout le monde ne partage pas l’avis du chef de file des sénateurs macronistes, au sein même de la majorité présidentielle. François Bayrou a notamment mis l’exécutif en garde contre un « passage en force » dans Le Parisien, en affirmant que « la réforme des retraites ne peut se faire au détour d’un amendement. » Des « réticences » que François Patriat « ne comprend pas » : « Si l’on dit ça aujourd’hui, on ne fera jamais cette réforme. [François Bayrou] se singularise souvent, il veut exister. Peut-être veut-il incarner une forme de sagesse. » D’aucuns verraient dans ces querelles de forme des débats techniques et vains, mais de fait, « la méthode est très importante », explique la sénatrice centriste Sylvie Vermeillet, aussi membre du COR et rapporteure du budget de l’Etat consacré aux retraites et aux régimes spéciaux. « La méthode va être prépondérante, parce qu’il y a aussi la question des régimes spéciaux, de la clause du grand-père [de la génération à laquelle s’appliquerait une éventuelle réforme, ndlr] et des marges de manœuvre dégagées pour le financement de la dépendance. Si on passe par un amendement au PLFSS, on est très loin de ces débats-là. »

« Je suis contre un débat où, en filigrane, on ne nous parle que d’équilibre financier »

« De la forme naît l’idée », disait Flaubert. En ce qui concerne la réforme des retraites, le choix de la méthode, et notamment du véhicule législatif, conditionnera les sujets abordés, et donc le contenu du texte. À titre d’exemple, si l’exécutif décide de passer par un amendement dans le PLFSS, aucune étude d’impact ne serait nécessaire, contrairement à une disposition qui serait introduite en tant qu’article dans la version initiale du projet de loi. « Ce n’est pas respectueux du travail parlementaire, ni de la transparence vis-à-vis des Français », a réagi la sénatrice Christine Lavarde sur notre antenne ce lundi matin. « On avait trop peu d’éléments chiffrés et des études d’impact pas assez complètes lors de la dernière réforme. C’est aussi cela, qui a abouti à son échec », regrette aussi Sylvie Vermeillet. « L’étude d’impact a été faite depuis longtemps avec tous les débats que l’on a eus sur le sujet », réplique François Patriat.

Pourtant, que ce soit dans la gauche ou la droite sénatoriale, les sénateurs et sénatrices qui s’intéressent au sujet craignent que certains éléments passent à la trappe en cas de réforme éclaire dans le PLFSS. « J’ai envie que l’on parle de l’espérance de vie, qui augmente moins rapidement ces dernières années ou du niveau de vie des futurs retraités. Il ne suffit pas de dire que vous partez à 64 ans, si c’est avec un faible pouvoir d’achat », détaille ainsi Sylvie Vermeillet. « De même, personne ne veut des étrangers et le solde migratoire se réduit. Pourtant il fait partie des éléments qui alimentent notre système des retraites. C’est un sujet très large, qui nous oblige à nous pencher sur l’ensemble des composantes de notre société. Ce serait dommage et dramatique de passer à côté de ce débat. » La sénatrice centriste est rejointe par sa collègue (PS) qui siège avec elle au COR. « Pour le financement du régime, il y a une option qui n’est jamais étudiée par personne, c’est l’augmentation des cotisations. Pourquoi on refuse d’en discuter ? Je ne suis pas contre l’idée qu’il y ait un débat sur l’évolution du système, mais je suis contre un débat où, en filigrane, on ne nous parle que d’équilibre financier. » Nul doute que si l’exécutif décide de passer par le PLFSS, ce genre de pistes ne sera pas étudié.

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