Retraites : le gouvernement prépare-t-il une réforme plus discrète ?

Retraites : le gouvernement prépare-t-il une réforme plus discrète ?

Le 16 mars dernier, Emmanuel Macron a « suspendu » toutes les réformes en cours, « à commencer par celle des retraites ». Devenu politiquement explosif, le projet initial semble aujourd’hui enterré. Mais les syndicats craignent de le voir revenir par petites touches, dans une réforme plus éparpillée, et moins fédératrice du mouvement social.
Public Sénat

Par Samia Dechir

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Publié le

Silence radio

Pas un mot sur la réforme des retraites n’a été échangé jeudi 4 juin à l’Élysée. Le chef de l’État recevait les syndicats et le patronat pour relancer le dialogue social. Il a bien été question de l’assurance chômage et du plan de relance, mais rien sur les retraites, « c’est toujours silence radio » raconte François Sève, de la CFDT. Pour lui, cette réforme « telle qu’elle était prévue dans le projet de loi est bien morte est enterrée ».

En charge de la question des retraites à la CGT, Catherine Perret ne voit pas non plus « comment le gouvernement pourrait reprendre là où il s’est arrêté ». « Le temps de tout remettre en route dans les tuyaux législatifs, c’est trop tard », estime également Michel Baugas de Force Ouvrière. Mais son syndicat, comme la CGT, reste méfiant. Tant qu’Emmanuel Macron n’aura pas publiquement renoncé à la réforme, les opposants à la réforme resteront sur leurs gardes.

Un dossier politiquement explosif

Après plusieurs mois de mobilisation, le gouvernement avait dû recourir à la procédure du 49-3 pour faire adopter son projet de loi sur la réforme des retraites à l’Assemblée nationale fin février. La suite de l’histoire aurait donc dû s’écrire au Sénat. Mais rien n’est inscrit à l’agenda parlementaire. La réforme censée créer un système universel de retraites par points est-elle définitivement enterrée ? « Le covid a tué le projet de réforme, au moins temporairement » regrette le sénateur centriste Jean-Marie Vanlerenberghe, spécialiste du dossier. Du côté de la majorité présidentielle, on laisse entendre que ce n’est pas le moment. « Les circonstances ont changé » a déclaré Gilles Legendre sur les chaînes parlementaires. « Il faudra probablement l’adapter » ajoute le président du groupe LREM à l’Assemblée nationale. Une déclaration suffisamment floue pour laisser planer le doute.

Son homologue au Sénat, est plus explicite. Favorable à un retour rapide de la réforme, François Patriat préférerait que l’exécutif « se montre courageux », mais ne semble pas y croire. « Sans doute vaudrait-il mieux attendre de faire cette réforme après 2022 ». Sous-entendu, attendre qu’Emmanuel Macron soit potentiellement réélu pour profiter d’un contexte plus favorable de début de mandat.

« On n’a pas forcément besoin d’une réforme »

Peu de chances, donc, de voir le texte revenir au Parlement d’ici la fin du quinquennat. René-Paul Savary ne regrettera pas ce projet de loi, dont il aurait dû être le rapporteur. « Ça ne réglait pas le problème du financement des retraites » juge le sénateur (LR) de la Marne. Mais il est certain que le dossier reviendra sur la table, sous une autre forme. « Les pensions de retraite, c’est 316 milliards d’euros. Jusqu’ici ça représentait 13,8% du PIB, demain, ce sera 18% puisque le PIB va diminuer » explique René-Paul Savary. Pour lui, la crise économique qui s’annonce obligera la France à prendre rapidement des mesures pour rééquilibrer le système. « On n’a pas forcément besoin d’une réforme. Ça peut se faire dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale » estime le sénateur.

Une analyse partagée par la CFDT. « Ça va revenir sous l’angle du financement lié à la crise » explique François Sève. « À l’époque, on avait fait le choix d’une grande loi. Le scénario de plusieurs chantiers successifs se redessine. La différence n’est pas si grande ».

« Le risque, c’est que ça passe inaperçu »

L’abandon d’une grande réforme au profit de plusieurs mesures plus discrètes, c’est exactement ce que redoute la CGT. Catherine Perret craint de voir le gouvernement revenir à la charge sans faire de bruit, à l’automne, via l’adoption du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Elle redoute l’adoption de deux types de mesures : l’accélération de la « réforme Touraine » (nombre de trimestres nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein), et une décote sur le régime de base. « Le risque, c’est que ça passe inaperçu. Ce sera plus difficile de mobiliser les salariés si on fait passer ça dans le cadre du PLFSS ». Inquiète, la CGT prépare une nouvelle campagne de communication sur le sujet.

Une réforme a minima ?

À Force ouvrière, on n’est pas plus rassuré par le potentiel abandon du projet de loi. Pour Michel Baugas, le gouvernement aurait deux options pour sauver sa réforme. Soit miser sur une réélection en 2022, soit présenter d’ici la fin du quinquennat un nouveau projet, moins ambitieux, mais politiquement plus acceptable. Une réforme « paramétrique », dans laquelle le gouvernement renoncerait à fondre les régimes spéciaux dans un système universel, pour mieux faire passer le recul de l’âge légal de départ à la retraite.

Et quel que soit le scénario choisi, Force Ouvrière craint que le contexte ne soit pas favorable à la mobilisation sociale. « Avec le covid, les cotisations sociales ne sont pas rentrées dans les caisses de l’État. Et je mettrai ma main à couper que la dette des entreprises sera annulée. On a un problème de budget. On nous présentera ça comme un pis-aller. C’est politiquement faisable » s’inquiète Michel Baugas.

Réforme de la dépendance

Une hypothèse difficile à vérifier. Joint par Public Sénat, le secrétariat d’État en charge des retraites n’a pas donné suite à notre demande d’interview. François Patriat, lui, ne croit ni au scénario d’un projet de loi a minima, ni à celui d’une réforme divisée en plusieurs volets. « La réforme des retraites sera globale ou ne sera pas » prédit le patron des marcheurs au Sénat. « La priorité, c’est la dépendance » affirme le sénateur de Côte d’Or. Et de fait, c’est peut-être là que se trouve la porte de sortie du gouvernement sur ce dossier.

« Si j’avais un conseil à donner au président de la République, c’est de traiter en priorité le sujet de la dépendance. Un sujet qui fait consensus, et qui est aussi urgent que celui des retraites ». Un conseil que l’exécutif semble avoir déjà suivi. Le gouvernement vient de déposer un projet de loi qui prévoit notamment la création d’une nouvelle branche de la sécurité sociale pour couvrir le risque de perte d’autonomie.

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