Retraites : pourquoi le gouvernement n’a pas utilisé la procédure du temps législatif programmé?

Retraites : pourquoi le gouvernement n’a pas utilisé la procédure du temps législatif programmé?

C’est un autre article 49 : celui du règlement de l’Assemblée nationale. Moins controversé que le 49-3 de la Constitution, il prévoit la limitation des temps de parole dans l’hémicycle. S’il n’aurait sans doute pas fait retomber la température sociale, son utilisation aurait peut-être permis au gouvernement de faire l’économie d’un début de fronde parlementaire. Mais pour l’opposition, d’autres impératifs ont prévalu.
Public Sénat

Par Steve Jourdin

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Une alternative au 49-3 de la Constitution

L’article 49 du règlement du Palais Bourbon autorise en effet l’exécutif à encadrer le temps des débats dans l’hémicycle. Rendue possible par la réforme constitutionnelle de 2008, la procédure du temps législatif programmé (TLP) met de l’ordre là où tout indique qu’il n’y en aura pas. Son déclenchement par la majorité permet de fixer une durée maximale pour la discussion d’un texte. 25, 30, 50 heures ou plus, avec des temps de parole répartis selon l’importance des groupes politiques (60 % aux groupes d’opposition, 40 % à la majorité). Lorsque ce temps est dépassé, fin des débats : les députés doivent passer au vote. En cas d’obstruction parlementaire, la procédure peut se révéler très efficace. Pour Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris 2 Assas, le temps législatif programmé « encadre de façon beaucoup plus nette le temps de parole des parlementaires et permet d’éviter les phénomènes massifs d’obstruction qu’on a pu connaître au début des années 2000 ».

A quoi sert la procédure du temps législatif programmé ?
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En 2015, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, en avait d’ailleurs fait l’expérience. L’examen en première lecture du projet de loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » avait été soumis au temps législatif programmé. 50 heures de discussion avaient été fixées. À l’époque, l’UMP, les radicaux et le Front de gauche dénonçaient un musellement de l’opposition. Pourtant, les débats dans l’hémicycle avaient traîné en longueur, et la conférence des Présidents avait décidé de prolonger les discussions d’une semaine. En fin de compte, le temps alloué aux différents groupes avait été largement dépassé. Un débat de fond avait bien eu lieu, et les oppositions avaient pu critiquer et amender le projet de gouvernement. Dans un relatif consensus.

La réforme des retraites face à l’obstruction parlementaire

Pourquoi la réforme des retraites du gouvernement Philippe a-t-elle échappé à cette procédure, considérée comme plus consensuelle que le 49-3 ?

Selon Jean-Philippe Derosier, professeur agrégé de droit public, l’impréparation du gouvernement est évidente. « Cela ressemble à de l’amateurisme. Le gouvernement présente un texte à trous. Il ne parvient pas à canaliser les oppositions, et doit faire face à un avis critique du Conseil d’État. Un haut-commissaire (Jean-Paul Delevoye, NDLR) a pris deux ans pour préparer cette réforme, mais il avait visiblement d’autres activités plus importantes à côté ». Le gouvernement a bien tenté de recourir à la procédure du temps législatif programmé (TLP). Le 24 janvier, le projet de loi ordinaire est adopté en Conseil des ministres. À partir de cet instant, le décompte commence : selon le règlement de l’Assemblée nationale, le TLP peut être demandé de droit par le gouvernement s’il existe plus de six semaines entre l’adoption du texte en Conseil des ministres et son examen en première lecture à l’Assemblée nationale. En dessous de ces six semaines, un président de groupe peut s’y opposer. C’est ce qu’il s’est passé. Le 17 février, premier jour de l’examen du texte à l’Assemblée, Richard Ferrand propose, lors de la conférence des Présidents, un temps législatif programmé de 120 heures. André Chassaigne, chef de file des communistes, et Jean-Luc Mélenchon, président du groupe LFI, mettent leur véto. Impossible dès lors pour la majorité d’y avoir recours.

« C’est un peu facile de nous accuser maintenant de pas avoir mis en œuvre une telle procédure, alors que quand on l’a proposée la France Insoumise l’a refusée » souligne-t-on au sein du gouvernement. N’aurait-il pas été plus sage d’attendre les six semaines de délai requis afin de ne pas être soumis à la menace d’un véto de l’opposition ? Lors de la réunion du groupe LREM ce mardi, Édouard Philippe a tenté de rassurer les députés les plus rétifs au 49-3 : même en cas de TLP, l’obstruction parlementaire se serait poursuivie a affirmé le Premier ministre.

La réforme des retraites, un argument électoral ?

Pour l’opposition, les calculs du gouvernement répondent à un seul impératif : la nécessité de faire voter la réforme à l’Assemblée avant le premier tour des municipales (15 mars). D’où l’impatience à demander un TLP, puis, après avoir échoué à l’obtenir, à déclencher le 49-3. « Il aurait fallu anticiper le calendrier en amont, selon Jean-Philippe Derosier. La réforme des retraites est une promesse du candidat Macron, elle faisait partie des grandes mesures de son programme présidentiel. Elle aurait pu être inscrite plus tôt au calendrier parlementaire, par exemple à l’automne 2019. Cela aurait permis d’avoir recours au temps législatif programmé et de laisser au parlement le temps de débattre, tout en s’assurant du vote du projet de loi avant les municipales. » Le texte va maintenant être transmis au Sénat. Alors que la Conférence de financement tourne au vinaigre (la CGT et FO ont claqué la porte ), l’opposition l’assure : un débat sur le fond de la réforme aura quand même bien lieu. Rendez-vous au Sénat fin avril, où ni le 49-3 ni  leTLP n’est applicable.

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