Retraites : sur quels points du texte se joue la commission mixte paritaire entre députés et sénateurs ?

Retraites : sur quels points du texte se joue la commission mixte paritaire entre députés et sénateurs ?

Sept sénateurs et sept députés vont tenter de trouver un texte commun sur la réforme des retraites. « La surcote pour les femmes » fait partie des « lignes rouges » de la majorité sénatoriale, prévient le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau. Sur les carrières longues, sujet auquel les députés LR sont attachés, il ne veut en revanche pas trop alourdir la facture… Le rapporteur au Sénat, René-Paul Savary, a cependant « bon espoir pour le compromis, car tout le monde souhaite une CMP conclusive ».
François Vignal

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CMP. Le grand public va peut-être découvrir ce sigle bien connu des connaisseurs de la vie parlementaire. Après un passage à l’Assemblée et dix jours de débats au Sénat, le texte final de la réforme des retraites va se jouer en quelques heures lors de la commission mixte paritaire (CMP), qui réunira mercredi 15 mars, comme publicsenat.fr l’avait annoncé, sept députés et sept sénateurs à huis clos. S’il s’agit d’un classique de la vie parlementaire, où les deux chambres tentent de trouver – ou pas – un texte commun, la CMP prend une tournure particulière vue l’importance de la réforme.

« Ceux qui composent la CMP sont majoritairement pour la réforme »

Cette CMP sera particulière à plus d’un titre, puisque les députés ne sont pas allés au bout du texte, contrairement aux sénateurs. De quoi renforcer la position de ces derniers, qui arriveront dans la réunion avec un texte sous le bras. D’autant que 5 des 7 sénateurs présents sont pour le texte. Cette CMP un peu unilatérale risque en revanche de faire peser sur le texte un risque d’inconstitutionnalité, du fait d’une forme d’insincérité des débats qui pourrait découler de l’absence de texte issu de l’Assemblée.

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Sur le fond, on peut s’attendre à un accord. Et pour cause, selon la composition de la CMP, 10 parlementaires sur 14 sont favorables à la réforme. « Il y a bon espoir que la CMP soit conclusive car ceux qui la composent sont majoritairement pour la réforme et pour respecter l’équilibre financier », a bien noté un conseiller ministériel qui suit le sujet. Mais reste à voir les détails. Car « le but d’une CMP, c’est qu’un compromis parlementaire soit trouvé. Derrière, un compromis, ce n’est pas à tout prix. Il faut que l’équilibre du système soit maintenu », tempère le même.

« Une CMP, ce n’est jamais évident »

Il ne faut pas croire que tout serait totalement joué d’avance. « Une CMP, ce n’est jamais évident en fait. Chacun arrive avec ce qu’il veut défendre », explique la sénatrice centriste Elisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales et membre de la CMP. « Cela va forcément être un débat », prévient la sénatrice de la Mayenne. Attachée, comme toute la majorité sénatoriale, à l’équilibre financier, elle ajoute :

On ne peut pas avoir mis autant de monde dans la rue, si on n’obtient pas l’équilibre budgétaire.

Côté Sénat, la majorité sénatoriale viendra avec quelques marqueurs. « On a voté quatre mesures pour la politique familiale. Pas seulement la surcote pour les femmes, qui est la mesure phare. Il y a aussi l’ouverture aux professions libérales, dont les avocats, à la majoration de 10 % à partir de trois enfants (mesure soutenue par le gouvernement, ndlr), la majoration de pension en cas de décès de l’enfant avant la fin de sa quatrième année et la création d’une pension de réversion notamment pour les personnes handicapées. Tout ce paquet, ce sont des lignes rouges », nous explique Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat.

Députés et sénateurs LR ne sont pas alignés sur les carrières longues

Pour ne rien simplifier, les députés LR ne seront pas alignés avec les sénateurs du même parti sur la question des carrières longues. C’est Olivier Marleix en personne, à la tête du groupe LR de l’Assemblée, qui sera présent en CMP. S’il est le seul député de son groupe, il compte bien, selon Le Parisien, défendre l’amendement d’Aurélien Pradié, le turbulent député LR du Lot, qui défend les 43 annuités pour tous les salariés qui ont commencé à travailler avant 21 ans. Pour le gouvernement, c’est hors de question. La mesure « coûte entre 7 et 10 milliards d’euros. C’est inabordable » a prévenu samedi matin au Sénat le ministre du Travail, Olivier Dussopt.

Les sénateurs LR se retrouvent ici sur la même ligne. Problème pour le gouvernement : ce sont des voix des députés LR dont il a besoin pour faire adopter sa réforme, sans 49.3… « On a fait un pas vers nos collègues de l’Assemblée nationale, en acceptant de créer une quatrième borne de 20 à 21 ans. Cela coûte 400 millions d’euros », souligne Bruno Retailleau. Reste une voie médiane : c’est la seconde main tendue vers LR, lors de la fin des débats à l’Assemblée, et qui permettrait à davantage de personnes, concernées par les carrières longues, de ne pas faire plus de 43 ans. Mais tout le monde ne serait pas concerné… Cette mesure ajouterait au pot « entre 300 et 400 millions d’euros. On a considéré que c’est l’équivalent de la surcote des mères de famille », relève le patron des sénateurs LR, qui ajoute que « pour la CMP, ça fait partie des points de division, qui ne sont pas tranchés ». De quoi peut-être constituer un compromis sur les carrières longues ? « J’attends aussi du gouvernement qu’il nous fasse un point financier sur l’équilibre », dans ce cas, répond le sénateur LR de Vendée.

Si la surcote pour les femmes passe à la trappe, « on fera échec à la CMP » prévient Bruno Retailleau

Pour la majorité sénatoriale, dans tous les cas, il ne sera pas question de voir les mères de famille faire les frais de la question des carrières longues. « Je préfère qu’on maintienne ce que nous proposons sur la surcote plutôt que les 43 ans », avance la corapporteure Catherine Doineau. Bruno Retailleau est plus direct encore : si la surcote passe à la trappe, « on fera échec à la CMP », prévient le président du groupe LR du Sénat, qui ajoute : « Je vois que le gouvernement fait les yeux doux aux élus LR de l’Assemblée, ce que je comprends. Mais à ce moment-là, je veux des solutions d’économie ».

Au-delà de l’aspect financier, au Sénat, on glisse qu’accepter les exigences des plus contestataires des LR n’assurerait pas forcément leur vote. « Est-ce que certains députés n’ont pas déjà cranté leur position ? » s’interroge une sénatrice. « Ce qui est extraordinaire, c’est que je ne suis pas certain que les pradiéristes voteront le texte. Le pire serait d’endosser une concession à laquelle on ne croit pas, sans que ça change un seul vote de député LR », met en garde un membre de la Haute assemblée. Une autre ajoute :

L’amendement Pradié ne passera pas. Ça voudrait dire qu’on sacrifie la réforme.

Quant à la surcote des femmes, elle a peu de chance de disparaître, puisqu’elle a été travaillée en amont avec le gouvernement, qui la soutient. C’était un peu la CMP avant l’heure sur certains sujets. « On a beaucoup discuté avant et pendant le texte. On a fait des réunions, le ministre Olivier Dussopt l’a dit », rappelle Catherine Deroche, présidente LR de la commission des affaires sociales du Sénat.

« Il n’y a pas de raison de lâcher sur le CDI senior »

Sur la question du « CDI senior » à partir de 60 ans, autre mesure adoptée au Sénat, ce sera plus compliqué. Le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, en a pointé en séance le coût « de 800 millions d’euros » et le risque « d’effet d’aubaine » et « d’effet de seuil ». « C’est surévalué, car ça rapporte plus qu’être au chômage » avance Catherine Doineau. « Il prend une hypothèse maximaliste, et il ne parle que des dépenses, sans parler des recettes. Or quand vous avez 100.000 seniors au chômage qui retrouvent un emploi, c’est un milliard dans les caisses de l’Etat », ajoute Bruno Retailleau.

Selon Elisabeth Doineau, « ce qui est dans la balance, apparemment, c’est le CDI senior et la mesure qui porte à 43 ans le nombre d’annuité sur les carrières longues. C’est un peu ça le marché, le choix à faire ». Mais le sénateur LR René-Paul Savary, rapporteur au Sénat, prévient : « Il n’y a pas de raison de lâcher » sur le CDI senior. « Il s’adresse à ceux au chômage », rappelle-t-il, et pas à ceux qui ont déjà un emploi. « Si vous mettez de l’argent sur les carrières longues qui ne sont pas l’alpha et l’omega de la réforme, ça coûte cher. Et donc, où est-ce qu’on prend de l’argent ailleurs ? Si c’est sur le CDI senior, ça va être compliqué… » met en garde le président du groupe centriste du Sénat, Hervé Marseille, invité de la matinale de Public Sénat ce lundi (voir vidéo ci-dessous). L’index senior, ramené au Sénat au seuil de 300 salariés, devrait lui rester comme tel.

« Mieux cibler » sur la retraite progressive à partir de 60 ans

D’autres points seront en discussion, comme la retraite progressive. Les sénateurs veulent la maintenir à 60 ans, contre 62 pour le gouvernement. « On peut discuter, négocier, cibler plus le public concerné. Voir les quotités de travail, définir par branche, ouvrir à certains métiers, ouvrir au privé mais pas au public. Il y a des pistes », explique René-Paul Savary. « On peut mieux cibler. Il faut que l’employeur soit d’accord aussi », ajoute son président de groupe. Selon Elisabeth Doineau, l’accord semble bien avancé sur les retraites progressives : « On a négocié avec le gouvernement, ce qui semble satisfaisant de leur côté, en permettant de partir à 60 ans avec 80 % de temps de travail et 20 % de pension de retraite jusqu’à 62 ans, et de 62 à 64 ans, on pourrait être entre 30 et 80 % du temps de travail. Cela limite le coût ».

Sur la retraite anticipée pour incapacité permanente, « c’est cher », reconnaît Bruno Retailleau. Là aussi, « on est en train de voir si on peut mieux encadrer, mieux cibler, dans un souci d’équilibre financier », explique-t-il. La majorité sénatoriale tient aussi aux mesures de lutte contre la fraude, notamment la volonté de renforcer le contrôle biométrique pour les bénéficiaires de pensions françaises résidant à l’étranger. Les sénateurs sont également attachés à d’autres mesures consensuelles qui ne devraient pas poser de problème, comme celle sur la revalorisation des retraites des élus locaux des petites communes, celle pour les sapeurs-pompiers et la possibilité pour les professeurs des écoles de partir à la retraite en cours d’années scolaire.

« D’un côté ou de l’autre, il faudra peut-être renoncer, ou aménager les choses »

Les deux rapporteurs du Sénat devaient voir, ce lundi, en fin d’après-midi, leur homologue de l’Assemblée, la députée Renaissance Stéphanie Rist, pour une réunion préparatoire en vue de la CMP afin de brosser les sujets. S’il y a encore du travail, on peut s’attendre donc, sauf surprise, à voir une fumée blanche.

« On va arriver avec nos cartes en main », résume Elisabeth Doineau. Elle continue : « Choisir, c’est renoncer. D’un côté ou de l’autre, il faudra peut-être renoncer, ou aménager les choses, pour avoir un équilibre financier ». « J’ai bon espoir pour le compromis, car tout le monde souhaite une CMP conclusive », soutient René-Paul Savary. « Je suis prêt à tout, et prêt à rien », sourit le sénateur LR de la Marne, « dans un compromis, il faut se comprendre. Il n’y a pas de raison, entre gens de bonne compagnie. Si on veut que la CMP soit conclusive, on trouve des points de sortie ».

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