Retraites, tensions sociales : le cap Borne est-il tenable pour Emmanuel Macron ?

Retraites, tensions sociales : le cap Borne est-il tenable pour Emmanuel Macron ?

Si le chef de l’Etat a écarté pour l’heure un remaniement, la première ministre est affaiblie par la crise politique. « Beaucoup considèrent que la situation actuelle a mis Elisabeth Borne dans une impasse », confie un parlementaire Renaissance. « Beaucoup pensent qu’il faut trouver une tête. Et comme les députés ne veulent pas que ce soit la leur, l’autre solution, c’est la première ministre », glisse un autre. Mais Elisabeth Borne a encore ses soutiens dans la majorité.
François Vignal

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Elle est toujours là. Parfois raide, au discours un peu mécanique, mais elle tient toujours la barre. Fragilisée comme tout l’exécutif par la réforme des retraites et la tension qui traverse le pays, Elisabeth Borne est à son poste. Le Président lui a même confié la mission de consulter à nouveau, de tenter d’élargir la majorité, de changer de méthode, de redéfinir l’agenda… Bref, on s’efforce de continuer, bon an mal an. Pourtant, en interne, tout le monde s’accorde à dire que ça tangue sévère.

« Le mot d’ordre, c’était de maintenir la cohésion de la majorité. Car il y a des états d’âme »

Emmanuel Macron serait lui-même quelque peu courroucé par sa première ministre, d’après quelques indiscrétions de presse. « Vous n’avez pas voulu de Catherine Vautrin, vous m’avez vendu Elisabeth Borne comme la perle rare, et voilà où on en est ! » aurait dit le chef de l’Etat à son entourage, d’après des propos rapportés par Le Point. Quand selon Le Monde, la première ministre aurait dit de son côté « je suis à la tête d’un gouvernement composé à moitié de débiles »… Le groupe vit bien, comme dirait l’autre. La sortie de la « PM », qui s’est engagée à ne plus utiliser le 49.3, hors budgets, aurait quant à elle surpris jusqu’à l’Elysée. D’après Politico, le chef de l’Etat l’aurait jugé « stupide ». Lors d'un dîner de la majorité à l’Elysée, lundi midi, Emmanuel Macron n’a en tout cas « rien laissé transparaitre sur le sujet », assure l’un des convives. « Le mot d’ordre, c’était de maintenir la cohésion de la majorité. Car il y a des états d’âme », ajoute le même.

En effet. Officiellement, tout le monde joue plutôt « groupir ». Un parlementaire Renaissance interrogé préfère ainsi esquiver, ne voulant pas « rajouter de la merde à la merde… » Ce qui en dit déjà long. Mais sous couvert d’anonymat – trop compliqué d’assumer la critique dans le contexte actuel – certaines langues se délient. Un sénateur de la majorité glisse par exemple que « ce n’était pas nécessaire de dire qu’on va se passer du 49.3. C’est s’automutiler pour l’avenir et dire en creux que ce n’était pas normal qu’on l’utilise », pointe-t-il.

« Il faut un coupable. C’est Dussopt ou c’est Borne. Et au groupe, on entend que c’est Borne »

Après la réunion de groupe hebdomadaire ce mardi, un député de la majo lâche son ressenti : « Elle est très respectée, mais il y a peu de gens qui parient sur sa longévité. Personne n’a envie de sonner l’hallali, car elle ne le mérite pas et elle jouit d’une vraie estime personnelle auprès de beaucoup de membres de la majorité. Mais beaucoup considèrent que la situation actuelle l’a mise dans une impasse », confie un député Renaissance, d’autant que « le Président ne lui facilite pas la tâche, en changeant sa feuille de route tous les quatre matins : un jour changer l’arc de la majorité, maintenant apaiser, tout ça dans un délai irréaliste de trois semaines. Ça n’a aucun sens ». Le même n’écarte pas des difficultés entre le Président et sa première ministre. « Le couple exécutif est un couple au fonctionnement complexe et encore plus avec un Président qui ne partage guerre », constate ce député qui connaît bien la majorité.

Au groupe, certains députés réclament à demi-mot une ou des têtes. « Ce que j’entends, c’est qu’il faut un coupable. C’est Dussopt ou c’est Borne. Et au groupe, on entend que c’est Borne, qui aurait dit en substance laissez-moi encore un peu de temps. Emmanuel Macron lui a confié les clefs du camion, mais le camion n’a plus d’essence et a les quatre pneus crevés. Doit-on lui enlever le permis de conduire Matignon ? Beaucoup le pense, qu’il faut trouver une tête. Et comme les députés ne veulent pas que ce soit la leur, l’autre solution, c’est que ce soit la première ministre », décrypte un autre député Renaissance.

« Macron n’a rien à foutre de ses députés »

Le même croit que le Président ne serait pas gêné en soi de dissoudre. « Je pense que Macron n’a rien à foutre de ses députés », lâche ce député de la majorité, « mais il ne peut pas le faire, car ce serait encore pire. Aujourd’hui, on est environ 250 en tout. On serait autour de 200 et nos partenaires nous le feraient payer encore plus cher ». Ce député Renaissance, remonté contre l’attitude de l’exécutif, craint que « l’égo présidentiel » l’empêche de voir clair, au point qu’il s’enferme dans sa tour d’ivoire de convictions. Et de lâcher l’insulte suprême en macronie – attention âmes sensibles s’abstenir – en prédisant à Emmanuel Macron, si rien ne change, le destin… de son prédécesseur :

Si ça continue, il sera hollandisé. Emmanuel Macron sortira de ce mandat pire que François Hollande. Il sera plus haï à la fin, s’il ne fait rien. Il ne se rend pas compte, il n’y a plus que du mépris.

Car si Elisabeth Borne est affaiblie, c’est qu’Emmanuel Macron l’est tout autant. « Finalement, la première ministre n’a fait qu’obéir aux ordres du Président », observe le sénateur Hervé Marseille, président du groupe centriste, membre de la majorité sénatoriale, mais dont le groupe est composé aussi en partie de soutiens du chef de l’Etat. « Elle est affaiblie du fait qu’il n’y a pas de majorité. C’est la majorité qui est faible. Elle est condamnée, comme n’importe qui, à trouver des majorités et des méthodes. Et aujourd’hui, il y a un problème de procédure. Comment ça marche avec le Parlement ? » s’interroge Hervé Marseille, pour qui « le problème, c’est la ligne politique, pas tellement le changement des personnes qui importe ». « Il n’y a aucun espoir de réussite pour élargir la majorité, sauf si ça s’accompagne de réponses politique fortes, à contenu politique fort », tranche un député Renaissance. Mais ce dernier « n’a pas l’impression que cette réponse d’envergure viendra ».

« A titre personnel, je ne vois pas qui peut faire mieux qu’Elisabeth Borne », affirme un président de groupe

Elisabeth Borne a malgré tout encore ses soutiens dans le camp présidentiel. « A titre personnel, je ne vois pas qui peut faire mieux. Elle a toute ma confiance », textote un président de groupe de la majorité, à l’Assemblée.

« La première ministre a des qualités. Elle est certes techno, mais elle a de la résilience, elle est capable au dialogue. Elle sait décider », avance un autre cadre de la majorité, pour qui la « seule position » à l’heure qu’il est, « c’est de tenir bon, de faire le dos rond, de définir des objectifs avec un agenda clair ».

« Il va falloir muscler le gouvernement. Il faut des personnalités politiques qui incarnent vraiment leur ministère »

A défaut de changer Matignon, un sénateur macroniste pense en revanche qu’« il va falloir muscler le gouvernement. Il faut des personnalités politiques qui incarnent vraiment leur ministère ». Qui sort du lot ? « Riester, Le Maire, Dupont-Moretti comptent, Darmanin compte. Hier, il était assis entre Elisabeth Borne et Edouard Philippe. J’y ai vu peut-être un signe… Il en rêve en tout cas », glisse avec le sourire un participant du déjeuner élyséen de la veille.

« Il y a moins de personnalités visibles, on a un gouvernement assez faible. En dehors de Darmanin, Le Maire, Attal, Dussopt, Veran, on n’a que des ministres qui n’existent pas. C’est plus eux qui affaiblissent la première ministre, car il ne se passe rien sur des sujets qu’on porte », pointe une députée de la majorité présidentielle, qui prend un exemple :

C’est compliqué d’avoir un ministre de l’Education nationale qui ne passe pas le mur du son.

« Il y a un manque de poids lourds, mais c’est particulièrement visible aujourd’hui »

« Il y a un manque de poids lourds, mais c’est particulièrement visible aujourd’hui. Et on a eu des premiers ministres assez charismatiques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Mais elle a les qualités pour mener la barque. Et je n’ai pas l’impression qu’elle cristallise un mécontentement », la défend une députée Renaissance, qui ne sent pas « une fronde de malade contre elle dans le groupe ». La même n’exclut cependant pas que plus tard, « dans le souci de tourner la page, il faudra peut-être mettre un ou une autre première ministre ».

Un sénateur Renaissance remarque que « la première ministre a tenu bon, dans des conditions très compliquées. Après, la situation est très complexe elle aussi. Elle s’est encore complexifiée avec ce qu’il s’est passé à l’Assemblée. Est-ce la bonne personne pour faire des compromis ? Je ne sais pas, mais je vois qu’elle a fait passer 22 textes grâce à des accords ».

« C’est cap’ ou pas cap’ »

Un conseiller ministériel voit aussi le verre à moitié plein. « Le Président a fait une chose simple : il a demandé officiellement de faire un programme de gouvernement et un agenda législatif nouveau. Hier soir, on s’est mis d’accord avec la majorité sur un certain nombre de thématiques. Et la première ministre va prendre son bâton de pélerin avec les groupes d’opposition et les partis », explique ce conseiller, qui insiste aussi sur la réussite, hors retraites et budgets bien sûr, de la recherche de majorités, texte par texte, depuis juin dernier. Il résume : « On est au milieu du gué d’un truc qui a marché et sur lequel on dit aux forces politiques, êtes-vous encore capables de le faire ou pas ? C’est cap’ ou pas cap’ ? » C’est le cap Borne en somme.

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