RSA : les sénateurs veulent contrôler les allocataires

RSA : les sénateurs veulent contrôler les allocataires

À l’occasion de l’examen du projet de loi de décentralisation dit « 3DS », les sénateurs ont adopté un article qui ne figurait pas dans le projet de loi du gouvernement qui autorise le président du conseil départemental à demander de nouvelles pièces aux bénéficiaires du RSA et à suspendre le versement de la prestation en cas de non-communication des documents. L’occasion d’un débat houleux entre des sénateurs de gauche outrés par la « chasse aux pauvres » menée par la majorité sénatoriale et des sénateurs de droite qui demandent « mesure » et « humilité » à leurs collègues.
Louis Mollier-Sabet

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Mais que venait faire le RSA dans cette galère ? Les sénateurs examinent depuis plus d’une semaine maintenant le projet de loi de décentralisation dit « 3DS » et ce genre de sujets polémiques n’agite habituellement pas les discussions autour des compétences des collectivités territoriales. Pourtant, cela fait déjà plusieurs fois que le versement des prestations sociales intervient dans l’examen du projet de loi. Et pour cause : l’aide sociale est aujourd’hui la compétence principale des départements et a par conséquent sa place dans un projet de loi « décentralisation, déconcentration, différenciation et simplification ».

« Nous n’avons jamais souhaité ouvrir le débat sur le contrôle des bénéficiaires du RSA »

Mais jusqu’à quel point ? Après une heure de débats houleux, René-Paul Savary rejette la faute sur le gouvernement : « Quand il y a un texte un peu fourre-tout, voilà à quoi on arrive. » Mais la ministre de la Cohésion des territoires ne l’entend pas de cette oreille : « Cela me navre que vous ayez dit ‘fourre-tout’. Le sujet du RSA nous l’avons mis dans la loi sur l’expérimentation de la recentralisation. Nous n’avons jamais souhaité ouvrir le débat sur le contrôle des bénéficiaires du RSA : c’est la commission qui l’a souhaité. Je ne porte pas seule la responsabilité de l’ouverture de ce sujet ici, je n’y étais pas du tout favorable. »

Il faut dire qu’à l’occasion d’un article sur l’augmentation du pouvoir réglementaire des élus locaux, les sénateurs avaient déjà ajouté la possibilité pour les conseils départementaux de restreindre l’accès au RSA à partir d’un certain niveau d’épargne. Une semaine plus tard, rebelote donc. Cette fois, les sénateurs ont autorisé le président du conseil départemental à demander des renseignements supplémentaires aux bénéficiaires du RSA (composition du foyer, domicile ou étendue des ressources) pour l’aider dans la mission de contrôle qu’il exerce en partenariat avec les caisses d’allocations familiales (CAF). En cas de non-communication des documents demandés, l’article prévoit aussi la possibilité pour le président du conseil départemental de suspendre le versement du RSA.

« Ce n’est pas que du flicage »

Le dispositif n’a pas manqué de faire réagir à gauche. Monique Lubin, sénatrice socialiste, « s’étonne » ironiquement de la récidive de la majorité sénatoriale, mais l’ironie cesse assez rapidement la place à l’agacement : « Je trouve qu’il y a une chasse aux pauvres qui me dérange de plus en plus. Des fraudeurs il y en a partout, y en at-til plus chez les pauvres ? J’en doute. » Son collègue des Landes, Éric Kerrouche, lui emboîte le pas et fait lui aussi dans l’antiphrase : « Je regrette que la majorité sénatoriale ait choisi de se caricaturer. » De nombreux sénateurs et sénatrices de gauche montent à la tribune pour rappeler l’étendue minimale de la fraude sociale par rapport à l’évasion fiscale, ou encore l’important taux de non-recours au RSA (36 %).

La majorité sénatoriale semble d’abord s’émouvoir de ces critiques et en appelle à la « mesure » et à « l’humilité ». Françoise Gatel, sénatrice centriste, n’ose pas reprendre les mots de Valéry Giscard d’Estaing sur le fameux « monopole du cœur », mais n’en pense pas moins : « Je crois qu’il ne faut pas penser qu’il y aurait des purs et des justes d’un côté, et de l’autre des gens qui manqueraient de bienveillance. Chacun d’entre nous ici a eu l’occasion d’être attentif à toutes ces causes. »

René-Paul Savary tente même de justifier la mesure auprès de l’opposition sénatoriale, en argumentant qu’elle permettrait aussi de corriger des erreurs des CAF ou bien de faire diminuer le taux de non-recours : « Je voudrais relativiser les propos qui ont été tenus. J’ai eu l’occasion de mettre en place des dispositifs de contrôles complémentaires en négociation avec la CAF. Il faut convaincre les travailleurs sociaux et il faut que le bénéfice aille aussi aux bénéficiaires du RSA. Il y a des erreurs de la CAF parfois, qui après demande le remboursement. Ensuite il y a de la fraude c’est vrai. Mais on détecte aussi des non-recours aux prestations avec le croisement des données. C’est également un service que l’on rend aux bénéficiaires, ce n’est pas que flicage. »

« La chasse aux pauvres »

Et alors que le débat semblait presque s’orienter vers un accord sur la nécessité de discuter plus en profondeur du taux de non-recours, Laurence Muller-Bronn, sénatrice LR du Bas-Rhin, a présenté un amendement « visant à améliorer la procédure de sanction » à l’égard d’allocataires du RSA qui manqueraient un rendez-vous ou ne communiqueraient pas certaines pièces. Sur le fond, même les sénateurs de la majorité sénatoriale ne semblent pas suivre leur collègue : « Les mesures de sanction doivent être graduées, tout le monde a le droit de rater un rendez-vous. Il y a des personnes très différentes et parfois elles ont juste besoin d’un petit aiguillon pour revenir dans un circuit où elles reprennent confiance en elle » argumente par exemple René-Paul Savary, sénateur LR lui aussi.

Sur la forme, l’intervention de Laurence Muller-Bronn fait monter la conflictualité des débats d’un cran. En effet, la sénatrice du Bas-Rhin justifie ainsi son amendement : « Le RSA n’est pas une rente, le but est bien de rencontrer les personnes bénéficiaires et les aider à se réintégrer dans le travail. » Le sang des sénateurs et sénatrices de gauche ne fait qu’un tour, l’excès – estiment-ils – est cette fois de l’autre côté. Monique Lubin invective Laurence Muller-Bronn : « J’ai entendu certains de mes collègues appeler à la mesure. Mais quand j’entends ce que j’entends j’ai un peu du mal. Vous avez parlé de rente, mais franchement. […] Soit c’est une méconnaissance du dispositif, on est dans ce que j’appelais tout à l’heure la chasse aux pauvres. Je m’excuse auprès de mes collègues, mais la mesure doit être de tous les côtés. »

Raymonde Poncet-Monge, sénatrice écologiste du Rhône, réagit, elle aussi, au mot employé par Laurence Muller-Bronn : « Je voulais intervenir sur le mot ‘la rente’. Connaissez-vous les rentiers aujourd’hui en France ? Le mot rente ça veut dire qu’on peut en vivre et peut-on vivre avec 500 euros aujourd’hui ? […] Je ne dirais rien du paternalisme de vos propos et du mépris de classe. Dire que les bénéficiaires du RSA sont des rentiers, je suis désolée. Le côté excessif est dans vos mots. »

Certains sénateurs de la majorité sénatoriale viennent tout de même au secours de leur collègue du Bas-Rhin, comme Vincent Ségouin, sénateur LR de l’Orne : « Il y a des commissions où les gens ne se présentent même pas, vous ne pouvez pas occulter ces vérités-là. » Mais Laurence Muller-Bronn retire son amendement et rétropédale : « Je souhaitais préciser que le mot rente n’a rien d’humiliant à nos yeux : c’est simplement une somme d’argent qui est donnée d’une personne à une autre. […] Nous voulions simplement introduire de la souplesse dans les sanctions, en aucun cas des sanctions automatiques, mais de la souplesse. »

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