Sécurité des ponts : une situation « alarmante », selon un rapport du Sénat

Sécurité des ponts : une situation « alarmante », selon un rapport du Sénat

Un rapport de la commission de l’Aménagement du territoire du Sénat tire la sonnette d’alarme : conséquence d’un sous-investissement chronique, 25.000 ouvrages sont en mauvais état et nécessitent des travaux d’entretien dans les dix prochaines années. Les sénateurs demandent un « plan Marshall ».
Public Sénat

Par Guillaume Jacquot (Sujet vidéo : Samia Dechir)

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Tout est parti de l’effondrement, le 14 août 2018 à Gênes, en Italie, du pont Morandi, dans lequel ont péri 43 personnes. La catastrophe et le lourd bilan avaient, à l’époque, marqué l’opinion. Se posait alors une question : y -a-t-il des risques pour qu’un tel scénario se reproduise en France ? Une mission d’information du Sénat, lancée dès la rentrée 2018, s’est penchée sur la question en s’intéressant à l’état de santé de nos dizaines de milliers de viaducs et ponts, et sur les conditions de leur surveillance et entretien. Leur rapport, publié ce 27 juin, à est à prendre au sérieux : la situation est « alarmante », selon les mots choisis.

Signe que les carences sont réelles dans la surveillance des ponts : la mission sénatoriale est incapable de fournir un chiffre précis du nombre de ponts existants en France. « C’est le constat révélateur d’une situation préoccupante », s’inquiète le sénateur (UDI) Hervé Maurey (à la tête de la commission de l’Aménagement du territoire. Et pour cause, il n’existe pas de recensement exhaustif des ponts gérés par les collectivités locales (90 % de l’ensemble). Selon le Sénat, le nombre de total de ponts en France serait compris entre 200.000 et 250.000 sur l’ensemble du territoire. Pour donner une idée du nombre, c’est l’équivalent d’un pont tous les cinq kilomètres.

Sécurité des ponts : « Une situation extrêmement préoccupante », selon Hervé Maurey
02:05

Sécurité des ponts : « Une situation extrêmement préoccupante », selon Hervé Maurey

5 ponts par département devront être reconstruits dans les années à venir

Dans cet ensemble, ce sont plus de 25.000 ponts qui sont « en mauvais structurel » et « posent des problèmes de sécurité » mais aussi de « disponibilité pour les usagers ». On connaissait déjà la liste des ponts gérés par l’État nécessitant de consolidations et des réparations. Mais l’essentiel des structures en danger concernent celles qui incombent à la charge des départements, communes et intercommunalités, où la situation est jugée plus « préoccupante » encore. En moyenne, 5 ponts par département devront être reconstruits dans les cinq années à venir. 7 % des 12 000 ponts appartenant à l’État présentent « à terme un risque d’effondrement ».

Ces chiffres inquiétants sont la conséquence d’un réseau qui a vieilli : de nombreux ont été édifiés au cours de l’après-guerre. 2.800 ponts – un quart des ponts de l’État – ont été construits dans les années 50 et 60 et arrivent progressivement en fin de vie. À ceci s’ajoutent des facteurs aggravants, comme le réchauffement climatique et les évènements météorologiques de plus en plus intensifs (tempêtes, crues), qui fragilisent les structures. Les nouveaux usages ont également un impact. « Des GPS et des applications orientent le trafic vers des ouvrages qui ne sont pas dimensionnés pour certains tonnages », relève le sénateur PS Michel Dagbert, l’un des rapporteurs du texte.

Sous-investissement chronique

D’autres causes sont clairement identifiées. La compression des dotations aux territoires en est une. De 2013 à 2017, les collectivités locales ont dû réduire de 30 % leurs dépenses dans la voirie. La limitation de la progression des dépenses de fonctionnement est aussi un frein à l’entretien des ponts : les réparations ne sont actuellement pas comptabilités au titre des dépenses d’investissements, qui ne rentrent pas en compte dans le calcul. Autre difficulté, certaines rénovations ne sont pas éligibles au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR). Pire encore : il y existe des départements, où il n’y aucun concours financier dédié à l’entretien, révèle Hervé Maurey.

Le sous-investissement chronique (le ratio d’entretien est très bas en comparaison de la moyenne observée dans les pays de l’OCDE) est largement mis en cause. Les sénateurs considèrent que l’État devrait consacrer plus du double des montants actuels pour entretenir ses ponts. Le budget annuel consacré à l’entretien de ces structures doit passer de 60 à 74 millions d’euros. Or, il faudrait 120 millions d’euros pour faire face aux défis à venir, selon le Sénat qui s’est basé sur des audits indépendants.

Les membres de la mission d’information, qui se sont basés sur un appel à contribution des élus locaux (1200 témoignages recueillis) pointent également un manque d’accompagnement des collectivités locales, et des « limites dans les politiques de surveillance », basées principalement sur l’évaluation des dégâts visibles. Ils mettent aussi en cause la raréfaction des ingénieurs compétents dans cette branche.

Un fonds d’aide aux collectivités de 1,3 milliard d’euros sur 10 ans

Pour « éviter un drame », la mission d’information formule 10 propositions. « Il est essentiel de mettre en place des mesures urgentes », insiste le co-rapporteur Patrick Chaize (LR). La « priorité » porte sur les moyens : c’est le fameux « plan Marshall », défendu par le Sénat, du nom de ce général américain à l’origine de prêts s’élevant à plusieurs milliards de dollars pour aider le continent européen après 1945.

Pour les ouvrages d’État, les sénateurs préconisent de doubler le budget actuel dès 2020, pour le porter à 120 millions d’euros. Ils proposent la création d’un fonds d’aide aux collectivités doté au minimum de 130 millions d’euros, chaque année sur dix ans. Ce budget servirait non seulement une phase diagnostic mais aussi la remise en état des ouvrages endommagés. L’enveloppe serait toute trouvée : le programme de mise aux normes des tunnels, décrété après la catastrophe du Mont Blanc, arrive à échéance en 2021. Ces débats seront probablement au menu des débats budgétaires de l’automne.

Parmi les réponses opérationnelles, les 10 sénateurs de la mission recommandent de mettre en place un « carnet de santé » pour chaque pont, d’offrir une ingénierie aux collectivités à travers l’Agence nationale de cohésion des territoires, ou encore d’encourager les co-financements entre collectivités.

Les sénateurs ont demandé à « rencontrer très rapidement » la ministre des Transports, Élisabeth Borne, pour que le rapport « ne finisse pas sur une étagère ». Ils espèrent être entendus. « On pointe quand même du doigt des choses qui sont quand même effrayantes ».

Dans la même thématique

European Parliament in Strasbourg
7min

Politique

Européennes 2024 : les sondages peuvent-ils encore bouger ?

Les rapports de force vont-ils rester globalement stables jusqu’au scrutin du 9 juin ? La liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann peut-elle dépasser celle de la majorité présidentielle de Valérie Hayer ? Marion Maréchal va-t-elle devancer la liste LR de François-Xavier Bellamy ? Les Français vont-ils se décider au dernier moment ? Eléments de réponses avec quatre sondeurs.

Le

France Migration
6min

Politique

Convocation de Mathilde Panot : pourquoi les poursuites pour « apologie du terrorisme » sont en hausse ?

La présidente des députés LFI, Mathilde Panot a annoncé, mardi, sa convocation par la police dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme » en raison d’un communiqué de son groupe parlementaire après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre. Depuis la loi du 13 novembre 2014, les parquets poursuivent plus régulièrement au motif de cette infraction. Explications.

Le