Sécurité globale : la version du Sénat de l’article 24 crée un délit de « provocation à l’identification » des policiers

Sécurité globale : la version du Sénat de l’article 24 crée un délit de « provocation à l’identification » des policiers

La nouvelle version de l’article 24 du texte ne touche plus à la loi sur la liberté de la presse et se concentre sur le Code pénal. Les sénateurs ne parlent plus de la diffusion d’images et créent un nouveau délit de provocation à l’identification dans le but « malveillant d’identifier » les policiers. Ils s’appuient aussi sur la protection des données personnelles des forces de l’ordre, suivant l’avis de la Cnil.
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C’est l’article qui était au cœur de la polémique l’automne dernier. Il avait mis des milliers de personnes dans la rue. L’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale avait suscité une levée de boucliers contre lui, notamment des sociétés de journalistes. Encore récemment, des manifestations ont eu lieu contre le texte.

Bronca

Tel qu’adopté par les députés, la crainte est qu’il mette à mal la liberté d’informer. Rien de moins. Craintes d’autant plus renforcées ensuite par les propos du ministre de l’Intérieur, qui avait largement soufflé sur les braises. Devant la bronca, le gouvernement avait promis une réécriture. Mais le texte étant déjà adopté, c’est au Sénat, dans le cadre de la navette parlementaire, à qui il revient maintenant de se pencher sur le texte. Comme annoncé par le corapporteur de la proposition de loi (lire ici et ), le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, c’est une réécriture complète que prévoient les sénateurs, qui sont partis d’une page blanche. L’amendement des rapporteurs vient d’être mis en ligne sur le site du Sénat, avant l’examen du rapport de la commission mercredi, puis l’examen en séance à partir du 16 mars.

Pour rappel, la version du texte sorti de l’Assemblée modifie la loi de 1881 – d’où la bronca – et affirme qu’« est puni d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un membre des forces de l’ordre. Le tout « sans préjudice du droit d’informer », avait-il été précisé…

« On a complètement réécrit l’article », « un exercice juridiquement difficile »

Les sénateurs de la majorité sénatoriale LR-UDI suppriment eux toute référence à la loi de 1881 sur la liberté de la presse pour se concentrer sur le Code pénal. Ils durcissent au passage les peines. « On a complètement réécrit l’article. On a supprimé complètement la rédaction précédente » explique à publicsenat.fr le corraporteur Marc-Philippe Daubresse.

« C’était un exercice juridiquement difficile, mais par rapport à l’objectif fixé, je pense qu’il est rempli », se réjouit le sénateur LR. Pour cela, les sénateurs créent « un nouveau délit, qui est la provocation à l’identification. On le fait dans non pas sur la diffusion d’images, mais dans la protection des données personnelles. Je m’appuie sur l’avis de la présidente de la Cnil, qui nous a dit qu’il y avait des outils pour cela dans la loi informatique et liberté », explique le sénateur LR du Nord.

« Un article complémentaire de l’article 18 du texte sur les valeurs de la République »

« Je réponds ainsi à la double préoccupation de mieux protéger les policiers en opération, compte tenu des identifications qui se font via les réseaux sociaux en particulier. Je ne touche en rien la liberté de la presse, la diffusion d’image n’est pas mentionnée. Et j’ai un article complémentaire de l’article 18 du texte sur les valeurs de la République, ce qu’on a appelé l’amendement Samuel Paty, qui protège tous les citoyens quand on diffuse des données personnelles. Ici, les personnes visées ne sont pas les mêmes », résume Marc-Philippe Daubresse. Voici en partie la nouvelle écriture de l’article 24, comme définit par l’amendement :

La provocation, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l’identification d’un agent de la police nationale, d’un militaire de la gendarmerie nationale ou d’un agent de la police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d’une opération de police, est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

« Protéger les forces de l’ordre […] sans entraver de quelque manière la liberté de la presse »

L’exposé des motifs de l’amendement souligne les « inquiétudes légitimes » suscitées par le premier amendement. Surtout, il estime que « cet article ne protège pas réellement (dans sa version d’origine) les forces de l’ordre en opération ». « En effet, en se limitant à la diffusion d’images, l’article omet de sanctionner la diffusion d’autres éléments d’identification ». « Il ne sera pas possible de poursuivre sur le fondement de cet article celui qui aura diffusé les images […], mais pas non plus celui qui aura diffusé un commentaire malveillant sous les images publiées ». « Surtout, les sanctions envisagées sont moins lourdes que celles existant pour les infractions proches », souligne encore l’exposé des motifs.

La nouvelle version de l’article 24 entend ainsi « protéger les forces de l’ordre contre la volonté malveillante de les identifier à l’occasion des opérations de police sans entraver de quelque manière la liberté de la presse. C’est donc la provocation à l’identification qui est visée et non plus la diffusion d’images. L’infraction ne peut donc mettre en cause les journalistes dans le cadre de leurs fonctions, ni la liberté d’informer », insiste bien l’amendement, qui entend aussi « protéger les membres de leur famille contre l’identification malveillante ». L’article garantit donc aussi « la répression de la constitution de fichiers visant des fonctionnaires et personnes chargées d’un service public dans un but malveillant ».

« Tout le monde a intérêt à en sortir »

Cette version de l’article 24, qui sera adopté mercredi en commission, devrait satisfaire tout le monde, espère Loïc Hervé, l’autre corapporteur. « Je pense que le Sénat va contribuer à dépassionner le débat », soutient le sénateur UDI. Un débat où la Haute assemblée joue une partition dans laquelle peut se retrouver l’exécutif. « Personne n’est dupe de la situation. Tout le monde a intérêt à en sortir : ceux qui sont contre l’article 24, le gouvernement qui veut sortir de cette affaire, et le Sénat est dans son rôle de pacificateur. Dans une affaire comme ça, tout le monde va y gagner. D’où le fait qu’il y a aujourd’hui beaucoup moins de passion », analyse Loïc Hervé. Avec Marc-Philippe Daubresse, ils ont déjeuné mercredi dernier avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en vue de l’examen du texte.

Reste à voir quelle sera la position du gouvernement lors des débats en séance. Lors de son audition au Sénat sur le texte, le 12 janvier, Gérald Darmanin avait reconnu que l’article 24 était « mal rédigé, bien sûr ». Il n’écartait pas l’idée de souscrire « éventuellement à la rédaction proposée par le Sénat […]. Car le Code pénal a comme énorme avantage de sortir du Code de la presse », même s’il exprimait quelques réserves. La version sénatoriale de l’article pourrait donc faire l’affaire du gouvernement. Dès lors, en séance, le ministre de l’Intérieur pourrait peut-être émettre un avis de sagesse. Ce n’est pas impossible. Il ne resterait plus qu’aux députés et sénateurs à trouver une écriture commune en commission mixte paritaire.

Edit 02/03/2021 17h20 : le ministre Gérald Darmanin a confirmé devant les sénateurs centristes que le gouvernement émettrait un avis de sagesse pour l'article 24.

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