Séparatisme : « L’important, c’est de lutter contre le projet politique qu’est l’islam politique », pour Jean-Louis Bianco

Séparatisme : « L’important, c’est de lutter contre le projet politique qu’est l’islam politique », pour Jean-Louis Bianco

La commission des Lois auditionnait aujourd’hui Jean-Louis Bianco, président, et Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité au sujet du projet de loi Séparatisme, qui sera discuté au Sénat à partir du 30 mars. Ils sont revenus sur les dispositions techniques du projet de loi en exprimant une certaine « vigilance », mais ont aussi développé un diagnostic sur le contexte général du rapport au religieux en France, en dressant le constat d’une « réappropriation identitaire de la religion ».
Louis Mollier-Sabet

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En ouverture de l’audition, Jean-Louis Bianco a d’emblée décrit un « paradoxe » qui traverse la société française, « sans doute une des plus sécularisée d’Europe, mais où il y a en même temps une réappropriation identitaire de la religion ». Le président de l’Observatoire de la laïcité partage ainsi le constat de chercheurs en sciences sociales : « Ce n’est pas vraiment un retour au religieux mais un recours au religieux comme facteur identitaire avec de la visibilité plus grande. » Pour Nicolas Cadène, c’est ce climat qui « entraîne une crispation sur l’islam », notamment à cause de dynamiques sociales, mais aussi en raison « d’une exacerbation religieuse revendiquée par certains groupes. »

C’est dans ce contexte d’instrumentalisation de la religion à des fins médiatiques et politiques que l’Observatoire de la laïcité, en l’occurrence son président, a construit son avis sur le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » : « Nous sommes attachés à ce que les changements s’ils sont nécessaires, soient faits, mais qu’on ne touche pas aux équilibres fondamentaux de la loi de 1905. »

« Ce dont doit s’occuper le projet de loi, c’est de lutter contre un projet politique. »

PJL Séparatisme : "Le projet de loi doit lutter contre un projet politique." Jean-Louis Bianco
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Face à cette demande d’équilibre, la rapporteure du projet de loi au Sénat, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio a interpellé Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène : « Il n’y a pas de crispation sur l’islam. Il y a un projet politique derrière l’islamisme qui remet en cause l’unité de notre pays et le principe de laïcité. »

En somme, le président de l’Observatoire de la laïcité lui a répondu que l’un n’empêche pas l’autre, et que la crispation autour de l’islam et le projet politique derrière l’islamisme politique restaient deux problèmes à traiter : « Sur le plan politique, ce qui est important et ce dont doit s’occuper le projet de loi c’est de lutter contre un projet politique. On peut discuter sur l’expression, mais j’aime bien parler de « l’islam politique », qui est un projet politique. »

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Une fois le contexte posé par Jean-Louis Bianco, Nicolas Cadène est revenu sur les dispositions législatives prévues par le projet de loi confortant les principes de la République, actuellement examiné par la commission des Lois du Sénat avant son examen en séance dans quelques semaines.

Concernant les dispositions relatives à la neutralité du service public, et notamment l’article 1er du projet de loi, l’Observatoire de la laïcité salue cette retranscription législative de principes validés depuis longtemps par la jurisprudence : « Nous soutenons pleinement le souhait de clarifier par la loi ce qui existe par la jurisprudence », a en effet affirmé Nicolas Cadène. Il poursuit : « Il est conforme au principe constitutionnel de laïcité d’étendre la neutralité aux structures privées qui exercent une mission de service public, la jurisprudence l’a toujours reconnu. Il est important de le consacrer dans la loi. »

Le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité précise tout de même : « Pour autant, ça ne correspondrait plus au principe constitutionnel de laïcité que d’étendre la neutralité aux structures privées qui n’exercent pas de mission de service public, mais simplement une mission d’intérêt général. C’est le cas de nombreuses associations largement subventionnées, mais qui ont un caractère propre confessionnel. » Derrière les subtilités juridiques, on touche pour Nicolas Cadène à un véritable enjeu politique et social dans la stratégie à adopter pour faire respecter la laïcité durablement : « Aller plus loin pourrait offrir l’argument de la discrimination à ceux qui voudraient se séparer des lois de la République. C’est exactement ce que certains endoctrineurs attendent pour produire un discours victimaire qui pourrait être ravageur dans certains quartiers. »

De même en ce qui concerne l’article 4 qui crée l’infraction pénale « d’acte d’intimidation » à l’égard d’un agent du service public afin d’obtenir un traitement différencié par ce service public : « Le principe général de cet article visant à mieux protéger les agents du service public nous paraît hautement souhaitable, mais le terme d’intimidation nous paraît imprécis. Il ne faudrait pas que ce terme soit apprécié différemment avec le risque de potentiels abus pour refuser des demandes conformes au cadre laïc, comme proposer des dates d’examen qui n’empiètent pas sur les grandes fêtes religieuses. »

Encore une fois, Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène alertent sur la « préservation » de l’esprit d’équilibre et « l’attractivité du statut de la loi de 1905 » qui en découlait : « Il faut préserver l’attractivité du statut de la loi 1905 pour que les associations continuent de se créer sous ce statut. » En cause pour eux, l’article 27 qui oblige les associations cultuelles à se déclarer auprès du préfet. Cette déclaration sera soumise à la discrétion de ce dernier et devra être renouvelée tous les 5 ans : « Cela semble contraignant et pourrait casser l’attractivité de la loi de 1905 », regrette Nicolas Cadène.

Enfin, les représentants de l’Observatoire de la laïcité se sont aussi arrêtés sur les difficultés techniques que pouvaient rencontrer certaines dispositions du projet de loi, comme sur « l’encadrement de l’instruction en famille » prévu par l’article 21 : « Se poser la question est légitime. La difficulté c’est qu’il y a plein de motifs qui sont respectables et nécessaires, comme la pratique sportive et culturelle intensive ou le mode de vie des parents. Il faudra travailler sur la rédaction et discuter du contenu des critères. » Ce sera donc aux parlementaires de préciser les cas où la scolarisation à domicile sera encore possible ou non, mais Nicolas Cadène a réaffirmé la réalité du problème : « La définition des critères est sensible et complexe, mais il est nécessaire d’agir car on a constaté la constitution d’écoles clandestines dans des appartements. »

« Il faut recréer de la mixité sociale pour éviter les replis identitaires »

Au-delà du projet de loi actuellement examiné par le Parlement, l’Observatoire de la laïcité a profité de cette occasion pour revenir sur ses « préconisations » plus générales, à la fois techniques – notamment sur la transparence du financement des associations cultuelles – mais aussi à portée plus politique. Nicolas Cadène a ainsi réaffirmé la nécessité de « ne pas occulter la question du passé colonial, de travailler la diversité des mémoires pour renforcer le sentiment d’appartenance. » Le but est pour lui de « recréer la mixité sociale pour éviter les replis identitaires et de faire plus en matière d’égalité des chances, de lutte contre les discriminations pour renforcer le sentiment d’appartenance à la nation et pour éviter d’offrir aux endoctrineurs l’argument de la discrimination. » Il poursuit : « La mixité sociale est un vrai point de vigilance. S’il y a trop peu de mixité sociale, les individus sont amenés à se constituer en communautés relativement homogènes. Trop peu a été fait depuis la commission Stasi de 2003. Cette mixité sociale doit se retrouver partout, dans l’habitat, dans les établissements scolaires et dans les associations. »

Jacqueline Eustache-Brinio (LR) a là aussi rebondi sur les recommandations de l’Observatoire de la laïcité : « La mixité sociale, tout le monde en parle mais personne ne la fait, parce que personne ne donne les critères de la mixité sociale. Aujourd’hui dans le cadre des attributions HLM, il n’y a que le critère de revenus. » Tandis que le sénateur PS Eric Kerrouche a tenu à renverser la perspective : « C’est aussi dans l’autre sens qu’il faut poser la question : quid de la volonté de toutes les catégories de vouloir vivre ensemble ? Un certain séparatisme social se constitue par des stratégies d’évitement géographique. Il ne faut pas attendre de la mixité sociale qu’elle ne vienne que du bas, elle doit être un projet collectif. »

« Les enseignants sont trop peu formés à la laïcité »

Sondage sur la laïcité et les lycéens : "Sur ce sondage, il y a un problème" pour Jean-Louis Bianco
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De la mixité sociale aux établissements scolaires, il n’y a qu’un pas, puisque ces « stratégies d’évitement géographique » sont grandement liées à la carte scolaire. Or l’état actuel de l’enseignement face à la question de la laïcité a aussi animé les débats entre les sénateurs et les représentants de l’Observatoire de la laïcité. C’est notamment un récent sondage qui a fait l’objet d’interprétations divergentes entre les intervenants. La sénatrice LR et rapporteure du projet de loi Jacqueline Eustache-Brinio y voit un abandon de la « laïcité à la française » par les lycéens, alors que Jean-Louis Bianco ne partage pas ce constat : « Sur ce sondage, on a un problème, dire que les lycéens sont contre la laïcité à la française… ça veut dire quoi ? Tous les lycéens acceptent l’idée du respect des choix d’autrui, l’idée que l’on puisse changer de religion. Ils sont en revanche critiques sur la loi de 2004, ce que nous avions repéré. Nous avons là une responsabilité collective de bien la justifier. »

Nicolas Cadène explique lui aussi que c’est plutôt la loi de 2004 en tant que telle qui pose problème, et non la laïcité en tant que principe républicain : « Il y a chez ces jeunes publics une approche plus libérale et qui se concentre davantage sur les libertés que sur les interdits. Chaque fois que l’on va dans les établissements scolaires, nous expliquons la loi de 2004 et la pédagogie a très peu été faite. » Directeur de recherche au CNRS et sénateur PS, Eric Kerrouche se permet lui aussi une petite intervention d’épistémologie : « Il faut faire attention à ce genre de photographies : c’est un instantané au sens littéral, avec une faible résolution. C’est dans le temps qu’on a une image de l’opinion. Il y a aussi des enquêtes d’opinions faites pour susciter la polémique et qui n’apportent pas d’éléments de fond. »

Sur l’enseignement de la laïcité à l’Ecole, les positions sont beaucoup plus homogènes et les constats sont plus clairs : « Les enseignants sont trop peu formés à la laïcité eux-mêmes. Il faut aussi les former à l’enseignement laïc des faits religieux pour réagir aux interpellations par des élèves en classe », pour Nicolas Cadène. Jean-Louis Bianco poursuit et met les pieds dans le plat : « On ne peut pas demander aux enseignants de tout faire : former des citoyens, donner des compétences professionnelles, lutter contre le racisme, l’homophobie, pour l’égalité entre les hommes et les femmes, le climat, la laïcité… Il faut choisir ! Et je l’ai dit aux responsables politiques : la priorité absolue c’est la laïcité car c’est ça qui va forger les citoyens et le vivre-ensemble. »

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