Séparatisme : le Sénat vote l’interdiction des signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires

Séparatisme : le Sénat vote l’interdiction des signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires

Les sénateurs ont adopté un amendement de la droite élargissant le principe de neutralité aux parents accompagnant les sorties scolaires. Une décision qui frapperait en premier lieu les mères voilées. Le début de l’examen du projet de loi « confortant le respect des principes de la République » a démarré dans la tension.
Public Sénat

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Il est finalement passé. A l’article 1er du projet de loi confortant le respect des principes de la République, le texte contre le séparatisme, le Sénat a adopté ce 30 mars un amendement, soutenu par une très large partie du groupe Les Républicains, visant à étendre le principe de neutralité religieuse aux accompagnants des sorties scolaires. L’amendement, présenté par Max Brisson (LR), a été adopté dans la soirée par 177 voix pour, et 141 contre. Un amendement similaire avait été rejeté de justesse en commission des lois il y a deux semaines.

En séance, l’essentiel des voix de la droite s’est porté sur la disposition, malgré quelques abstentions. Le groupe RDSE (à majorité radicale), qui présentait un amendement identique, est allé dans la même direction. Les trois groupes de gauche (socialistes, communistes et écologistes) ont voté d’un seul bloc contre cette proposition. Même opposition unanime de la part du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendant, le groupe de la République en marche. L’Union centriste, qui forme avec les Républicains la majorité sénatoriale, est apparue divisée (22 voix pour, 22 contre, 13 abstentions), tout comme le groupe des Indépendants – République et Territoires.

« Une sortie scolaire, c’est l’école hors des murs », selon Max Brisson (LR)

L’amendement LR, qui intervient après la lecture à l’Assemblée nationale, pourrait donc renforcer la loi de 2004, qui pose l’interdiction du port de tenues ou de signes religieux, dans les écoles, collèges ou lycées. Une majorité de sénateurs l’ont étendue aux « personnes qui participent, y compris lors des sorties scolaires, aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements ». « Une sortie scolaire est un acte pédagogique, c’est l’école hors des murs […] La neutralité doit s’imposer à tous ceux qui y participent, et ce pour toutes les activités, y compris pour ceux qui accompagnent les sorties scolaires », a estimé le sénateur Max Brisson. Et d’ajouter que les enfants avaient « besoin de repères » et que le respect de la laïcité n’était pas un « grand sacrifice » pour les parents.

Probablement encore marqué par l’échec de l’amendement en commission, le président du groupe LR Bruno Retailleau a bien senti que le sujet pouvait « diviser » dans les rangs de la majorité sénatoriale. « L’école est un lieu privilégié où dans la République laïque se joue le sens qu’on veut donner au commun », a-t-il exposé.

C’est la troisième fois en deux ans que ce sujet fait l’objet d’un débat au Sénat. En 2019, la droite sénatoriale l’avait intégrée au projet de loi pour une école de la confiance. Quelques mois plus tard, le sujet est revenu dans une proposition de loi portée par la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio. Aujourd’hui corapporteure du projet de loi contre le séparatisme, elle a salué un « principe de bon sens ».

Gérald Darmanin pointe les « paradoxes » de la droite

Le gouvernement, par la voix du ministre de l’Intérieur, a multiplié les arguments contre l’amendement LR. Risque de censure du Conseil constitutionnel, entorse à l’esprit de la laïcité et du concept de neutralité dans l’espace public, Gérald Darmanin a également rappelé que la même droite en 2010, sous le ministre de l’Education nationale Luc Chatel, n’avait pas franchi ce pas dans une circulaire. Le ministre a également épinglé les marques de soutien dans son ancienne famille politique en faveur de la liberté d’enseignement, en établissement scolaire voire à domicile. « Je trouve assez paradoxal qu’on veuille absolument supprimer toute expression religieuse des parents […] alors qu’on laisse les écoles sous contrat et hors contrat porter des vêtements religieux », a-t-il taclé.

Chose assez rare pour être soulignée, la gauche est venue apporter son soutien au ministre de l’Intérieur. « Je souscris totalement à votre argumentation », a ainsi appuyé Laurence Cohen. La communiste s’est demandé quelle serait la prochaine étape à droite. « Si on commence comme ça, qu’allez-vous faire dans les kermesses ? […] Vous allez trier les parents d’élèves. »

Les socialistes ont également été nombreux à s’opposer à l’interdiction du port de signes religieux pour les accompagnateurs. Des amendements « dangereux », a estimé Didier Marie. « Ils laissent entendre qu’il existerait un lien de causalité entre le port du voile, l’islam politique, le radicalisme, le séparatisme, et pourquoi pas le terrorisme ». « C’est typiquement le genre d’amendement qui va stimuler l’ingéniosité des tailleurs » : face à ces dispositions sur les tenues, Éric Kerrouche a choisi de s’inspirer d’une intervention d’Aristide Briand, lors des débats sur la loi de 1905.

Si la majorité des amendements débattus ne faisaient pas référence au voile dans leur contenu, c’est bien la question du voile et des mères accompagnatrices qui occupait en toile de fond le débat. Certains orateurs se sont même agacés que le ministre de l’Intérieur y fasse lui-même référence. « Vous stigmatisez le voile », a répliqué la sénatrice (RDSE) Nathalie Delattre, signataire d’un amendement s’opposant au port de signes religieux par les accompagnants.

« Nous perdons de vue l’essentiel », met en garde le centriste Philippe Bonnecarrère

Dans ce feu croisé entre bancs de la droite et bancs de la gauche, quelques centristes ont exprimé leur gêne. « L’examen du texte démarre mal […] Nous perdons de vue l’essentiel. Il y a des combats plus importants à mener à l’encontre l’islamisme radical », a ainsi alerté le centriste Philippe Bonnecarrère. Son collègue Laurent Lafon, président de la commission de la Culture et de l’Education, s’est aussi demandé si l’hémicycle n’était pas en train de « tromper de cible ». « On parle de mamans à qui on demande un service », a-t-il rappelé.

Dans une bataille de textes de jurisprudence avec le ministre, Philippe Bas, l’ancien président de la commission des lois (LR) a estimé que les parents d’élèves accompagnants n’étaient pas de simples usagers du service public, que l’on pouvait préserver des principes de neutralité. « Ils ne se bornent à pas s’occuper de leurs propres enfants, ils s’occupent aussi des enfants des autres, et exercent sous la conduite de l’enseignant une parcelle d’autorité et peut-être participent à la mission pédagogique en répondant aux questions des enfants. Ils peuvent exercer une influence sur les enfants comme les enseignants eux-mêmes. »

Si la droite a finalement eu le dernier mot au cours de ces deux heures marquées par des échanges vifs et souvent irréconciliables, il n’en sera probablement pas de même lors de la commission mixte paritaire avec les députés, étant donné l’opposition ferme du ministre. L’entrée mouvementée dans l’article 1er, étendant la neutralité religieuse à tous les agents qui concourent au service public, a en tout cas donné le ton à l’examen au Sénat du projet de loi sur le séparatisme.

Dans la même thématique

European Parliament in Strasbourg
7min

Politique

Européennes 2024 : les sondages peuvent-ils encore bouger ?

Les rapports de force vont-ils rester globalement stables jusqu’au scrutin du 9 juin ? La liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann peut-elle dépasser celle de la majorité présidentielle de Valérie Hayer ? Marion Maréchal va-t-elle devancer la liste LR de François-Xavier Bellamy ? Les Français vont-ils se décider au dernier moment ? Eléments de réponses avec quatre sondeurs.

Le

France Migration
6min

Politique

Convocation de Mathilde Panot : pourquoi les poursuites pour « apologie du terrorisme » sont en hausse ?

La présidente des députés LFI, Mathilde Panot a annoncé, mardi, sa convocation par la police dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme » en raison d’un communiqué de son groupe parlementaire après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre. Depuis la loi du 13 novembre 2014, les parquets poursuivent plus régulièrement au motif de cette infraction. Explications.

Le