Séparatisme : « Nous ne voulons pas en finir avec l’instruction en famille, mais éviter les abus », assure Jean-Michel Blanquer

Séparatisme : « Nous ne voulons pas en finir avec l’instruction en famille, mais éviter les abus », assure Jean-Michel Blanquer

La commission de la Culture auditionnait Jean-Michel Blanquer ce matin dans le cadre des travaux parlementaires menés par le Sénat sur le projet de loi confortant les principes de la République. Certaines dispositions du projet de loi concernent en effet directement le portefeuille du ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, comme l’encadrement de l’instruction en famille ou la réglementation des associations sportives.
Louis Mollier-Sabet

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Le projet de loi confortant les principes de la République est examiné par la commission des Lois depuis le 1er mars avant sa discussion en séance à partir du 30, mais certains articles entendent réglementer les milieux scolaires et sportifs et c’est donc la commission de la Culture qui travaillait ce matin sur ce texte en auditionnant Jean-Michel Blanquer. « Conforter les principes de la République, c’est conforter notre Ecole. Dans notre pays, l’Ecole c’est la République et la République c’est l’Ecole » affirme-t-il d’entrée, comme pour justifier la présence de dispositions relatives à l’enseignement dans ce projet de loi fleuve et éclectique – 55 articles dans le texte transmis au Sénat par l’Assemblée nationale.

D’autant plus que les articles relatifs aux questions scolaires sont loin d’être les moins contestés comme en témoignent les débats sur « l’encadrement » de l’instruction en famille prévu par l’article 21 : « L’instruction en famille est le sujet qui a le plus fait couler d’encre », reconnaît Jean-Michel Blanquer.

Instruction en famille : « Je n’ignore pas l’émotion que cela a pu susciter »

62 000 élèves seraient aujourd’hui scolarisés à domicile en France, pour des raisons diverses allant de la raison médicale ou du handicap, à la pratique sportive ou artistique de haut niveau, ou bien encore par choix pédagogique des parents. Si la volonté du gouvernement était au départ de restreindre l’instruction en famille aux « exceptions » médicales ou liées au rythme de vie des enfants, le texte a été largement amendé à l’Assemblée nationale, notamment en ajoutant un critère d’autorisation d’une instruction en famille en raison d’une « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ».

Le ministre de l’Education nationale a donc tenu à défendre la volonté initiale du gouvernement sur cette disposition fortement discutée et amendée : « Le but est de combler un vide juridique. Depuis 1880 très peu de choses ont été précisées : il y avait une sorte d’anarchie en la matière. En début de quinquennat il était plus facile d’ouvrir une école que d’ouvrir un bar en France. De la même façon, l’instruction en famille était laissée en proie aux abus. […] Nous ne voulons pas en finir avec l’instruction en famille : nous avons été à l’écoute du Conseil d’Etat et des associations, je n’ignore pas l’émotion que cela a pu susciter. »

Pour Jean-Michel Blanquer, l’évolution de la rédaction de l’article 21 permet de satisfaire cet équilibre dans l’encadrement de l’instruction en famille : « Nous devons garantir aux enfants une qualité pédagogique, mais aussi lui garantir qu’il ne sera pas sous emprise d’un radicalisme qui peut obérer ses droits. […] La disposition présentée en la matière nous permet d’agir contre toutes les formes d’instruction clandestine et de prévenir les abus de droit. Être capable de préciser une liberté ce n’est pas l’affaiblir, c’est au contraire la conforter parce que l’on la définit davantage. »

« Ces familles ne comprennent pas la suspicion jetée sur elles »

Instruction en famille : "Ces familles ne comprennent pas la suspicion jetée sur eux." Laure Darcos
02:00

Les sénateurs restent sceptiques, notamment sur l’évaluation du nombre d’élèves concernés. L’évaluation quantitative des 62 000 élèves instruits en famille semble plutôt fiable, le problème est plutôt de réaliser une évaluation « qualitative », c’est-à-dire de savoir combien d’élèves le sont pour des raisons de santé, pour des raisons de rythme de vie ou pour des raisons pédagogiques. « Nous cernons mal le phénomène, mais ça fait partie du problème : certains enfants sont sous le radar », concède Jean-Michel Blanquer. Il poursuit : « Mais nous savons que le problème est réel : plus de la moitié des enfants que nous découvrions dans des structures clandestines étaient inscrits à l’instruction en famille. Nous savons qu’à l’intérieur du phénomène de développement de l’instruction en famille il y a un phénomène de radicalisation et de séparatisme. »

Laure Darcos, sénatrice LR de l’Essonne s’inscrit en faux et « regrette » ce flou dans l’évaluation nécessaire « pour classer ces familles qui préfèrent instruire leurs enfants à domicile. » Face aux inquiétudes exprimées par le ministre, elle relaie des témoignages d’une toute autre nature : « Pour 1000 enfants scolarisés en famille dans l’Essonne, j’ai reçu des centaines de mails de gens qui sont en milieu rural et qui font ce choix pour des problèmes de transport. Sur le plateau de Saclay, j’ai des familles CSP + qui, par esprit, n’ont jamais voulu mettre leurs enfants dans le privé, mais qui ne trouvent pas la personnalisation de l’enseignement qu’ils recherchent dans le public. » Elle renchérit : « Ce sont des familles qui sont très bien insérées dans les communes, participent aux associations culturelles et sportives. Ces familles ne comprennent pas la suspicion jetée sur elles. »

Contrat d’engagement républicain : « C’est une logique de responsabilisation des fédérations sportives »

Depuis le dernier remaniement, Jean-Michel Blanquer est aussi ministre des Sports et c’est donc le contrat d’engagement républicain prévu par l’article 25 pour instaurer un « contrôle de l’Etat sur les fédérations sportives », qui a ensuite animé son audition. Stéphane Piednoir, sénateur LR de Maine-et-Loire a ainsi transmis les « inquiétudes » du monde sportif au ministre : « Les acteurs du monde sportif nous ont fait part d’une inquiétude vis-à-vis du contrat d’engagement républicain. L’absence de précision sur son contenu laisse dubitatives des associations, qui devraient s’engager juridiquement sans savoir ce que ce document contiendra et qui participera à son élaboration. »

"La charte ne résout pas tous les problèmes, mais elle envoie un signal politique." J-M. Blanquer
02:10

Là aussi, Jean-Michel Blanquer s’est voulu rassurant sur « l’esprit de la loi » : « Au-delà des enjeux de cette loi, j’ai toujours dit que les valeurs du sport rejoignent les valeurs de la République. C’est ce qui se joue au travers du contrat républicain, c’est la fidélité du sport à lui-même. […] Le contrat d’engagement républicain consiste à responsabiliser les acteurs et les fédérations. Nous nous sommes engagés à réécrire les contrats pour le mouvement sportif : ce n’est pas dans une logique verticale, mais bien dans une logique de responsabilisation. »

Cette « logique de responsabilisation » a fortement fait réagir le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, qui a interpellé le ministre sur l’efficacité de ces contrats et sur les moyens des fédérations de les mettre en œuvre : « Pensez-vous que ce sont ces contrats qui vont empêcher les prières islamistes dans les vestiaires de football ? » En réaction, Jean-Michel Blanquer s’est voulu pragmatique : « Il y a des traditions dans certains sports, comme le fait de se signer après un but dans un match de football. Nous aurons du mal à en faire l’objectif de cette loi. En revanche, que des équipements sportifs soient utilisés dans un but prosélyte pour organiser des prières publiques c’est un problème que nous devons regarder. Il y a une lettre et un esprit de la loi. »

Certificats médicaux de complaisance : « Ils répondent parfois à une véritable souffrance des adolescents »

Par ailleurs, le ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports a été interrogé sur les fameux « certificats médicaux de complaisance », notamment mis en cause dans la pratique de la natation en milieu scolaire. Stéphane Piednoir lui a par exemple demandé, si l’on pouvait « imaginer un système de médecins agréés pour des dispenses d’EPS pour des motifs considérés comme fallacieux. » Céline Brulin, sénatrice communiste de la Seine-Maritime, se demande si l’on ne peut pas « aller encore plus loin » et que « ce soient les médecins scolaires qui accordent ces certificats », ce qui impliquerait de renforcer considérablement la médecine scolaire.

Si « ces pratiques ne sont pas acceptables », Jean-Michel Blanquer a temporisé sur les réponses précises à apporter. « Pour l’instant nous avons juste des remontées empiriques du terrain, d’où l’enquête lancée par le Conseil des sages de la laïcité. Nous attendons les résultats de cette mission d’ici à l’été pour pouvoir en déduire des éléments opérationnels pour la rentrée scolaire prochaine. »

"Ces certificats répondent parfois à une véritable souffrance des adolescents." B. Filiaire
02:35

Bernard Fialaire, sénateur radical du Rhône et médecin du sport a tenu à rappeler la fonction d’une grande partie de ces certificats dits « de complaisance », qui n’ont pas grand-chose à voir avec des motifs religieux : « Ces certificats répondent parfois à une véritable souffrance des adolescents en fonction de leur perception de leur physique. Il ne faut pas fantasmer sur ces certificats. » Et d’ajouter : « Les enseignants peuvent demander aux élèves d’assister au cours, ce qui leur permet de regarder, d’avoir un jour une appétence pour ces matières dont on peut les priver. Le problème c’est que souvent ces enfants n’assistent pas aux cours, parce que c’est plus pratique. »

Séparatisme : « On a du mal à vous suivre quand un élève de Seine-Saint-Denis perd un an de scolarité à cause de l’absentéisme »

Séparatisme : "Il manque dans ce texte une dimension mixité sociale essentielle." Céline Brulin
00:55

Enfin, les discussions ont quelque peu dépassé le cadre strict du projet de loi pour insister sur l’importance les conditions matérielles dans lesquelles évoluent les élèves, les professeurs et le personnel des établissements sur ces questions de séparatisme en milieu scolaire. Céline Brulin a rappelé que Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l’Education nationale, avait confié hier aux sénateurs que ce texte « manquait d’une dimension sur la mixité sociale, essentielle pour lutter contre les séparatismes de tous ordres. » Pour la sénatrice communiste, une réflexion est nécessaire, « sinon on ne fera que la moitié, si ce n’est moins, du chemin. » Thomas Dossus, sénateur écologiste du Rhône renchérit : « On a du mal à vous suivre quand un élève de Seine-Saint-Denis perd 1 an de scolarité à cause de l’absentéisme. »

« Sur les inégalités concrètes de terrain, on ne peut qu’être d’accord avec vous. Nous devons avancer sur deux jambes : un travail sur l’égalité réelle et la mixité sociale, puis sur les valeurs, il ne faut pas les opposer » concède Jean-Michel Blanquer. Il développe en défendant le bilan du gouvernement en la matière : « Je tiens à dire qu’en matière d’éducation prioritaire, jamais autant n’a été fait que sous ce quinquennat. Le dédoublement des classes de CP et de CE1, ce sont plus de 320 000 élèves concernés chaque année : le département de France qui bénéficie le plus de cette mesure c’est la Seine-Saint-Denis. Les primes REP + ont été portées à 2000 euros l’année dernière. »

Le ministre de l’Education nationale a par ailleurs insisté sur les enjeux de la formation des professeurs à la laïcité, et à la mission confiée à Jean-Pierre Obin en ce sens. « Cette mission est faite pour regarder ce sujet » et aider les professeurs face aux difficultés de terrain « que personne n’ignore. »

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