Après Gabriel Attal ce mardi, qui a annoncé à Sceaux, une simplification des démarches, ainsi que le développement de l’intelligence artificielle dans les services de l’Etat, le ministre de l’Economie a présenté ce mercredi, les grandes lignes du projet de loi « Simplification ». Un serpent de mer des derniers gouvernements, que François Hollande avait voulu comme une des priorités de son quinquennat, via le « choc de simplification ». « C’est compliqué de simplifier », avait alors reconnu l’ancien locataire de l’Elysée, le 23 mars 2017, devant la presse.
SNCF : un rapport du Sénat pointe « un modèle à bout de souffle » et appelle à des « mesures courageuses »
Par Romain David
Publié le
À la SNCF, les réformes se succèdent, mais l’endettement persiste. Un rapport du Sénat vient tirer le signal d’alarme – une fois de plus –, sur la situation financière de l’entreprise ferroviaire, enjoignant à une remise à plat d’un modèle économique jugé obsolète, et qui menacerait à moyen terme la pérennité du groupe. Baptisé « comment remettre la SNCF sur rail ? », ce document fait suite à la mission de contrôle sur les perspectives financières du groupe lancée en 2021 par la Haute Assemblée. Les rapporteurs Hervé Maurey et Stéphane Sautarel dressent un bilan particulièrement sombre de la situation budgétaire de la SNCF. Car au-delà des conséquences de la crise sanitaire, les élus ciblent une série de difficultés structurelles responsables d’un retard de développement conséquent. « Notre pays est devenu un frein au développement de l’espace ferroviaire européen », vont-ils jusqu’à écrire. Une situation d’autant plus alarmante que le train fait partie des outils pour atteindre l’objectif européen d’une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050.
Pour rappel, les réformes de 1997 et de 2014 ont déjà enclenché une série de restructurations de la SNCF. Plus récemment, celle de 2018 a abouti à la suppression du statut de cheminot et transformé l’entreprise en une société anonyme à capitaux publics. Dans le même temps, l’Etat s’était engagé à reprendre à son compte 35 milliards d’euros d’une dette estimée à 55 milliards en 2017. Autant d’efforts que la pandémie de coronavirus a fait voler en éclat ? C’est ce que laisse penser les chiffres de la crise. Le groupe estime à 3 milliards le montant de la perte de chiffre d’affaires sur l’année 2020. SNCF Voyageurs, la filiale chargée du transport des personnes, accuse le plus lourd tribut : un endettement propre qui a bondi de 80 % en 2020 et une perte de 908 millions d’euros d’investissements sur la même année.
Des réformes déjà balayées par la crise ?
Mais selon les sénateurs, le modèle de financement du système ferroviaire souffre aussi d’un problème de viabilité antérieur à cette crise. La reprise de la dette serait l’arbre qui cache la forêt, elle expliquerait notamment le bénéfice net de 890 millions d'euros enregistré en 2021, selon les derniers résultats publiés par le groupe. Elle a surtout permis à l’Etat d’effacer son ardoise vis-à-vis de la SNCF, puisqu’« elle est revenue de fait à accorder a posteriori les subventions d’investissement qui auraient dû être versées depuis 15 ans », relève une note de la Cour des comptes publiée cet automne, et citée par le rapport.
Les deux filiales Keolis et Geodis, tournées vers les activités internationales de la SNCF, ont également permis de tirer le groupe vers le haut en 2021, puisque leurs résultats représentent 50 % du chiffre d’affaires de la SNCF. Une situation qui, selon les sénateurs, trahit la fragilité financière des activités consacrés au rail français. « La dynamique financière des activités périphériques masque la faiblesse financière de l’entreprise », explique le sénateur LR Stéphane Sautarel.
Ainsi, même si le montant global de la dette s’est contracté du fait de sa reprise, la trajectoire reste orientée à la hausse. « L’Etat ne joue pas son rôle tel qu’il devrait le jouer. Pourquoi y-a-t-il cette dette ? Parce qu’en France, contrairement à ce qu'il se passe dans d’autres pays, la SNCF finance à la fois l’entretien et l’investissement de modernisation, alors qu’ailleurs c’est l’Etat. Pendant des années, la SNCF s’est occupée du TGV, ce qui lui a couté très cher et ce qui explique que le réseau soit dans cet état », décrypte auprès de Public Sénat le corapporteur centriste Hervé Maurey.
Des trains qui ne sont plus assez compétitifs face à l’ouverture du marché
Les élus relèvent un manque inquiétant de compétitivité, lié à des surcoûts. En particulier pour ce que l’on appelle les « services conventionnés », c’est-à-dire les trains du quotidien : TER, Transilien et Intercités. Sur l’activité de TER, les coûts de roulage en France sont supérieurs de 60 % à ceux de l’Allemagne. « Cette situation tend à s’aggraver puisqu’entre 2006 et 2018, les contributions des régions aux TER ont augmenté de 92 % en France tandis qu’elles ont baissé de 34 % en Allemagne », indique le rapport. « En France, trois fois plus d’agents sont nécessaires pour faire circuler un train qu’ailleurs en Europe. » Si bien que le coût moyen du transport est estimé à 22 centimes par passager et par kilomètre sur les trains des réseaux TER, Transilien et Intercités, quand il est de 19 centimes en Allemagne, de 14,4 centimes en Espagne et de seulement 14 centimes en Italie.
SNCF Réseau, « point noir du modèle économique ferroviaire »
Actuellement, les résultats de l’opérateur SNCF Voyageurs contribuent pour 60 % au financement de SNCF Réseau, la filiale chargée de l’entretien des infrastructures. Les péages ferroviaires, c’est-à-dire la redevance d’utilisation des infrastructures que SNCF Voyageurs reverse à SNCF Réseau, sont supposés garantir ce financement. Mais les projections d’augmentation du coût de ces péages apparaissent comme « insoutenables » aux sénateurs - ils sont déjà parmi les plus élevés d’Europe -, alors que les finances de SNCF Réseau constituent « le point noir du modèle économique ferroviaire », avec une trésorerie en négatif de plus de deux milliards d’euros.
« Ce modèle de financement, qui fait dépendre la situation et les perspectives financières de SNCF Réseau ainsi que le renouvellement des infrastructures ferroviaires des bénéfices de SNCF Voyageurs et du TGV, n’est ni sain, ni viable et les conséquences de long terme de la crise sur la profitabilité de la grande vitesse pourraient en affecter l’équilibre », notent les élus. Ils préconisent donc de sortir la filière SNCF Réseau du groupe SNCF pour la rendre réellement indépendante, à l’image de ce qui existe déjà dans le secteur de l’électricité entre RTE et EDF.
Un réseau vieillissant, sans perspectives solides de modernisation
Cette situation financière impacte directement l’entretien et la modernisation du réseau et des infrastructures, qui ont pourtant fait l’objet d’un état des lieux particulièrement inquiétant en 2018. Les investissements consacrés à la rénovation stagnent depuis 2016, selon les deux rapporteurs qui appellent à porter l’effort à 3,8 milliards d’euros par an pendant dix ans (contre environ 2,6 milliards d’euros actuellement). Il faut dire que les statuts de SNCF Réseau font des investissements dans la régénération du réseau une variable d’ajustement financière. L’âge moyen du réseau français dépasse désormais les 29 ans (contre 17 ans en Allemagne), un chiffre que les dépenses actuelles suffisent à peine à stabiliser.
>> Lire notre article - Gestion des gares SNCF : l’entreprise est dans « une impasse financière », épingle la Cour des comptes
Si l’entretien est ralenti par les difficultés de SNCF Réseau, la modernisation des infrastructures ne fait l’objet d’aucun programme ou modèle de financement sérieux, alerte le rapport. Il s’agit pourtant d’un levier de compétitivité non négligeable, estiment les sénateurs. « Le président de la SNCF lui-même estime que ces investissements permettraient d’économiser 10 milliards par an ! », glisse Hervé Maurey.
Les élus font valoir les gains de rendement liés à l’automatisation et l’informatisation de certaines procédures, avec le déploiement de commandes centralisées et de nouvelles technologies de signalisation. Selon eux, le remplacement des 2 200 postes d’aiguillage actuels par une quinzaine de tours de contrôle « pourrait permettre de réaliser des gains de performance à hauteur de 40 % des 13 000 emplois de gestion de la circulation. » « Cette commande centralisée du réseau éviterait d’avoir des aiguillages très nombreux, dont certains sont encore actionnés manuellement comme à la fin du XIXe siècle », pointe Hervé Maurey. « La France accuse un retard considérable, promis à se creuser dans des proportions sidérantes si l’Etat ne reprend pas en main cet enjeux », abonde Stéphane Sautarel.
Réduction d’effectifs
C’est l’un des instruments de performance régulièrement évoqué au fil de ce rapport par les élus, qui appellent à « des mesures courageuses » : la nécessité d’une « forte contraction » des effectifs. Les deux sénateurs recommandent un rythme de réduction de plus de 2 % par an, soit au moins 3 000 équivalents temps plein, pour une économie d’ « au moins » un milliard d’euros d’ici 2026. « Aujourd’hui, il faut réduire les effectifs de la SNCF. La seule modernisation du réseau permettrait d’avoir 5 000 agents en moins. Evidemment, cela doit se faire dans le respect du personnel et des statuts, essentiellement sur la base du volontariat », défend le sénateur Maurey. « La Cour des comptes a déjà souligné à plusieurs reprises que le fait qu’il n y’ait pas de polyvalence des agents engendre un surcoût de 300 millions par an, le fait qu’il y ait des règles très rigides en matière de personnel, c’est un surcoût de 200 millions par an, etc. On voit que tout ce système archaïque est totalement à bout de souffle. » Désormais, c’est à la SNCF d’aller au-delà de la réforme de 2018. « L’extinction du statut de cheminot aura un effet progressif, la SNCF doit donc activer dès maintenant d’autres leviers de compétitivité, alors que l’ouverture à la concurrence est en marche », ajoute Stéphane Sautarel.
Au 31 décembre 2020, les effectifs de la SNCF comptaient 271 509 collaborateurs dont quelque 119 000 cheminots statutaires, indique le rapport. Il est à noter, toutefois, que la majorité des personnels (40 %) concerne les filiales Keolis et Geodis. Mais le rapport pointe plutôt du doigt les effectifs « surdimensionnées » qui travaillent dans les ateliers de maintenance du matériel roulant.