Suspension d’un volet de l’assurance chômage : le Conseil d’Etat « reste dans son rôle »

Suspension d’un volet de l’assurance chômage : le Conseil d’Etat « reste dans son rôle »

Le juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu les nouvelles modalités de calcul des indemnisations chômage qui devaient entrer en vigueur au 1er juillet, motivant sa décision par les « incertitudes » sur la situation économique. Deux professeurs de droit public estiment que le juge n’a pas outrepassé ses fonctions.
Public Sénat

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Le Conseil d’Etat a encore fait parler de lui. Le 22 juin, la juge des référés du Conseil d’Etat a suspendu les règles de calcul de l’allocation-chômage qui devraient entrer en vigueur au 1er juillet. La plus haute juridiction administrative du pays avait été saisie en urgence par plusieurs syndicats, inquiets des conséquences de ce volet de la réforme de l’assurance chômage. Les organisations syndicales s’étaient notamment appuyées sur une étude de l’Unédic (l’organisme qui gère l’assurance chômage) qui estimait en avril que 1,15 million de chômeurs subiraient une baisse de leur allocation journalière de 17 % en moyenne par rapport aux règles actuelles.

Le juge administratif a notamment motivé sa décision par les « nombreuses incertitudes » sur l’évolution de la crise sanitaire et ses conséquences économiques, notamment sur le front de l’emploi dans les secteurs qui recourent largement aux contrats courts. Or, « ces nouvelles règles de calcul des allocations-chômage pénaliseront de manière significative les salariés de ces secteurs, qui subissent plus qu’ils ne choisissent l’alternance entre périodes de travail et périodes d’inactivité », a expliqué le Conseil d’Etat.

« Le juge a un doute. Comme il a un doute, il suspend »

La décision a été abondamment commentée dans la matinée, certains observateurs y ont vu un « acte politique » de la part du juge administratif, en livrant une appréciation sur le contexte économique. Pour le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, l’institution est pourtant bien « restée dans son rôle ». « Si des éléments de fait ne permettent pas de façon réaliste d’atteindre l’objectif assigné – ici le retour à l’emploi – c’est un peu normal que le juge s’arrête dessus. Il peut juger d’une norme, au regard de l’objectif de la norme et vérifie que les moyens sont adaptés », estime le professeur de droit public à l’Université de Lille.

« Dire que le juge est sorti de ses limites, c’est faux », appuie Florence Chaltiel-Terral, qui avait publié « Le Conseil d’Etat, acteur et censeur de l’action publique » en 2017. « Le passage important [dans l’ordonnance] et qui fonde cette suspension, c’est le décret serait entaché d’erreur manifeste d’appréciation. C’est une notion que le juge développe depuis les années 1970 », détaille cette professeure de droit public. « Il y a une mise en balance entre la mesure adoptée et l’intérêt général. Le juge a un doute, comme il a un doute. Il suspend. »

Florence Chaltiel-Terral rappelle que le Conseil d’Etat n’a fait que suivre ce que la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives lui impose. Ce référé-suspension nécessitait deux conditions : une condition d’urgence et un doute sérieux sur la légalité.

Dans son ordonnance, le Conseil d’Etat relève en parallèle que le bonus-malus des cotisations sociales patronales, censé lutter contre le recours abusif aux contrats courts, ne sera appliqué « qu’au 1er septembre 2022 », soit après l’entrée en vigueur du nouveau mode de calcul de l’allocation, qui elle, doit servir à lutter contre les alternances fréquences entre périodes d’activité et périodes de chômage.

« Il est tout à fait possible que le Conseil d’Etat, lorsqu’il examinera au fond, n’annule pas le décret en question »

Ce n’est pas la première fois que le Conseil d’Etat donne un coup d’arrêt aux nouvelles modalités de calcul de la base de l’allocation de retour à l’emploi, que le gouvernement veut introduire depuis 2019. En novembre 2020, le juge avait estimé que cette réforme portait atteinte au « principe d’égalité » entre allocataires. Un nouveau décret avait publié le 30 mars 2021, un texte sur lequel la section sociale du Conseil avait été entendue par le gouvernement. De là à y voir un Conseil d’Etat qui se contredit en quelques mois ? « Ce ne sont pas les mêmes formations qui sont concernées. La section sociale a examiné pour avis le décret et quelques mois après, la section du contentieux l’a examiné dans le cadre d’un recours. Cela arrive », rappelle Jean-Philippe Derosier. « Celui qui a donné son avis lors de la formation consultative ne peut être en aucun cas le même qui statue au contentieux. C’est vraiment très étanche », insiste Florence Chaltiel-Terral.

De plus, il ne s’agit qu’une procédure de référé. Le décret n’est pas annulé, seulement suspendu. Un examen au fond aura lieu dans les prochains mois. « Il est tout à fait possible que le Conseil d’Etat, lorsqu’il examinera au fond, n’annule pas le décret en question, peut-être parce que les conditions du marché du travail auront évolué et que les objectifs poursuivis seront plus atteignables », explique le constitutionnaliste. Au-delà du seul contexte économique, le Conseil d’Etat a repoussé les autres arguments des requérants.

Mardi soir, la ministre du Travail Élisabeth Borne ne semblait pas inquiète outre mesure, ne constatant qu’une censure sur la « temporalité » de la réforme. Elle a été interrogée lors des questions d’actualité au Sénat ce 23 juin, par la sénatrice socialiste Annie Le Houérou. « Je constate que l’économie repart, que les embauches sont très dynamiques […] C’est maintenant qu’il faut faire évoluer les comportements sur le marché du travail », a-t-elle répondu. « L’ambition du gouvernement reste inchangée. Accompagner la reprise de notre économie en répondant au besoin de recrutement des entreprises et lutter contre la précarité, notamment grâce à une mise en œuvre rapide de la réforme de l’assurance chômage. »

Ce matin, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal avait ajouté sur BFMTV que les « signaux économiques encourageants » étaient « là ». « C’est d’ailleurs un peu étonnant dans cette décision. On constate depuis plusieurs semaines que l’économie, elle repart bien, elle repart fort. » Cette semaine, l’Unédic avait publié de nouvelles prévisions plus optimistes en matière d’emploi, mais à moyen terme. La balle est dans le camp du Conseil d’Etat. Réponse dans les mois à venir.

Dans la même thématique

Deplacement du Premier Ministre a Viry-Chatillon
7min

Politique

Violence des mineurs : le détail des propositions de Gabriel Attal pour un « sursaut d’autorité »

En visite officielle à Viry-Châtillon ce jeudi 18 avril, le Premier ministre a énuméré plusieurs annonces pour « renouer avec les adolescents et juguler la violence ». Le chef du gouvernement a ainsi ouvert 8 semaines de « travail collectif » sur ces questions afin de réfléchir à des sanctions pour les parents, l’excuse de minorité ou l’addiction aux écrans.

Le

Turin – Marifiori Automotive Park 2003, Italy – 10 Apr 2024
6min

Politique

Au Sénat, la rémunération de 36,5 millions d’euros de Carlos Tavares fait grincer des dents. La gauche veut légiférer.

Les actionnaires de Stellantis ont validé mardi 16 avril une rémunération annuelle à hauteur de 36,5 millions d’euros pour le directeur général de l’entreprise Carlos Tavares. Si les sénateurs de tous bords s’émeuvent d’un montant démesuré, la gauche souhaite légiférer pour limiter les écarts de salaires dans l’entreprise.

Le