Taxe sur les superprofits, finances des collectivités : le Sénat entame l’examen du budget 2023

Taxe sur les superprofits, finances des collectivités : le Sénat entame l’examen du budget 2023

À l’entame de l’examen du budget 2023, la majorité sénatoriale a critiqué un manque de rigueur budgétaire alors que la gauche dénonce le retour de l’austérité. Les sénateurs et le gouvernement ont aussi pu commencer à poser le débat sur la taxe sur les superprofits, la suppression de la CVAE ou l’encadrement des dépenses des collectivités.
Louis Mollier-Sabet

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C’est parti pour vingt jours de débats. Les sénateurs ont démarré ce jeudi 17 novembre l’examen du budget 2023, et l’hémicycle a été réservé 7j/7j jusqu’au mardi 6 décembre prochain. Ce premier après-midi a permis au gouvernement et aux sénateurs d’échanger dans la « discussion générale » sur les grandes orientations du projet de loi de finances pour 2023 et les principaux points de crispation qui seront au centre des discussions entre l’exécutif et la majorité sénatoriale, notamment.

>> Lire aussi : Les points chauds du budget avant le début de l’examen au Sénat

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les débats se sont ouverts dans une ambiance beaucoup moins électrique qu’à l’Assemblée, où le gouvernement avait fini par recourir au 49-3 pour faire passer sa version du budget, mis en minorité sur un nombre de sujets importants par les oppositions. Le groupe communiste a d’ailleurs déposé une motion de rejet préalable, précisément pour cette raison. « Le Sénat ne peut accepter ce véritable oukase sans réagir », a tenté de convaincre la présidente du groupe, Éliane Assassi, tandis que son collègue du Nord, Éric Bocquet a voulu témoigner sa solidarité à ses collègues députés qui avaient vu la discussion budgétaire interrompue : « Les deux chambres doivent se défendre quand l’une ou l’autre a été piétinée, c’est le sens du bicamérisme dans son unité. » Cette motion a été rejetée à 252 voix contre 27, alors que Jean-François Husson, le rapporteur général, en avait appelé à « l’écoute, le dialogue et le respect. »

« Des aides ciblées, c’est également aller vers le rétablissement des finances publiques »

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, et Gabriel Attal, ministre délégué chargé des Comptes publics ont défendu un budget de « soutien aux entreprises, aux ménages et aux collectivités territoriales » face à l’inflation et à l’explosion des prix de l’énergie. « Il vaut mieux investir pour préserver que payer pour réparer », a lancé Gabriel Attal qui se lance dans l’examen de son premier budget. Pour autant, le ministre chargé des Comptes publics entend bien « défendre le passage du quoiqu’il en coûte au combien ça coûte », parce que « l’argent public ne sera jamais de l’argent magique », reprenant ainsi la célèbre saillie du Président de la République.

D’après Bruno Le Maire le nouveau bouclier tarifaire du gouvernement s’inscrit parfaitement dans cette logique : « En 2023, nous passerons à des aides plus ciblées. C’est ce qui nous amènera à augmenter les prix du gaz et de l’électricité de 15 % début 2023, et de mettre fin à la remise de 30 centimes sur les carburants, ce qui ne nous empêche pas d’aider ceux qui en ont le plus besoin. C’est l’exemple caractéristique du passage d’une aide massive à une aide plus ciblée. […] Et cibler, c’est également aller vers le rétablissement des finances publiques. » Le ministre de l’Economie ajoute que c’est aussi « une question de justice » pour ne plus aider « tout le monde de manière indifférenciée, mais ceux qui en ont le plus besoin » et que « le choc énergétique » étant « structurel », « il faudra que les prix retrouvent les prix de marché. »

« Un retour à l’orthodoxie budgétaire » ou « des milliards financés par le déficit » ?

Le « en même temps » développé par les deux ministres n’a totalement convaincu personne dans l’hémicycle, sans s’aliéner totalement la majorité sénatoriale. La gauche a critiqué par la voix d’Éric Bocquet, sénateur communiste du Nord, un « retour à l’orthodoxie budgétaire » : « Je sais que vous n’aimez pas ces mots, mais votre politique est bien une austérité qui ne dit pas son nom. » Thierry Cozic, sénateur socialiste de la Sarthe a attiré l’attention sur les conséquences sociales d’une politique budgétaire trop restrictive : « Une seule fois le budget des services publics a connu une restriction aussi importante : en 2018, quelques mois avant le mouvement des Gilets Jaunes. Comprendra qui voudra. »

Du côté des Républicains, on a au contraire fustigé le manque de rigueur budgétaire du gouvernement, d’abord par la voix du rapporteur général, Jean-François Husson : « Le temps de l’argent facile et gratuit est bien fini, et ce n’est pas faute de vous avoir mis en garde au Sénat. Le gouvernement ne cherche plus à faire redescendre les dépenses des sommets atteints en 2020. L’heure des choix budgétaires est renvoyée aux prochains quinquennats. »

Christine Lavarde, sénatrice LR des Hauts-de-Seine, « persiste à penser », comme le Haut conseil pour les finances publiques, que la prévision de croissance du gouvernement est « trop optimiste » et que l’Etat « déverse des milliards financés par le déficit », alors que son collègue du Cantal a expliqué que le groupe LR ne pouvait « ni souscrire à des hypothèses macroéconomiques trop optimistes, ni à l’absence de réformes structurelles » et proposerait 4 milliards « d’économies » au gouvernement. En réponse, Gabriel Attal a mis la majorité sénatoriale en garde contre une « baisse trop brutale de la dépense publique », qui « pourrait avoir des conséquences désastreuses pour nos services et l’activité économique », tout en se montrant confiant sur la possibilité de trouver « une voie d’équilibre. »

Division de la majorité sénatoriale sur la taxe sur les superprofits

Mais au sein de la majorité sénatoriale, tout le monde ne semble pas exactement sur la même longueur d’onde. Si le groupe Union Centriste partage « l’exigence de redressement des finances publiques », comme l’a expliqué le sénateur centriste Vincent Capo-Canellas, on considère aussi que cela peut passer par des recettes supplémentaires, comme l’a expliqué la sénatrice du Jura, Sylvie Vermeillet : « Nous souhaitons une participation de toutes les entreprises ayant réalisé des bénéfices exceptionnels. Pourquoi pas le transport, le luxe, les laboratoires, les assurances et les banques qui remontent leurs taux d’intérêt ? Nous allons faire ce qui est juste : prélever une contribution exceptionnelle sur des profits exceptionnels pour financer des dépenses exceptionnelles. L’Etat ne peut pas dépenser tout seul pour tout le monde, il est normal qu’il récupère un peu quand certains s’enrichissent beaucoup. »

Une proposition jusque-là refusée par Les Républicains, groupe majoritaire et partenaire des centristes au sein de la majorité sénatoriale. « On n’a pas encore trouvé de point d’atterrissage satisfaisant. J’entends tous les arguments. Il y aura un débat, je n’en connais pas l’issue », avait confié Jean-François Husson, sénateur LR et rapporteur général du budget, à Public Sénat sur le sujet. Les centristes ne semblent pas avoir lâché l’affaire pour le moment, alors que, en l’état actuel du texte, la contribution exceptionnelle européenne reprise par le gouvernement dans le budget 2023 ne concernera que les énergéticiens. « Les superprofits il faut aller les chercher dans les secteurs qui bénéficient indûment d’une inflation sur les prix de l’énergie. Beaucoup d’entreprises ont vu leurs profits augmenter sans que cela ait à voir avec l’inflation : pourquoi aller capter ces gains liés à une politique d’innovation, d’investissement ? Il n’est pas légitime d’aller pénaliser ces entreprises-là », a justifié Gabriel Attal.

L’encadrement des dépenses des collectivités locales : « une ligne rouge »

Le sujet sur lequel les discussions seront probablement les plus animées au Sénat sera probablement le soutien de l’Etat aux collectivités locales et les dépenses de celles-ci. Les « contrats de confiance » introduits par le gouvernement dans la version du budget transmise au Sénat restent une « ligne rouge » pour la majorité sénatoriale, a martelé Christine Lavarde (LR), alors que la mesure a été dénoncée par l’ensemble des groupes politiques du Sénat, en dehors du groupe RDPI de la majorité présidentielle.

Par ces « contrats de confiance », le gouvernement voudrait limiter l’augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités au niveau de l’inflation moins 0,5 %. « Christophe Béchu voulait reprovoquer le dialogue [entre l’Etat et les collectivités, ndlr], pour moi, c’est reprovoquer tout court », a averti Christine Lavarde.

« Il n’est pas prévu de faire baisser les dépenses des collectivités territoriales, mais que, globalement, la dépense publique progresse de manière maîtrisée », s’est défendu le ministre des Comptes publics. « Les dépenses des collectivités vont continuer à progresser et c’est légitime face aux enjeux que l’on évoque régulièrement dans cet hémicycle. Même les dépenses de fonctionnement qui ne doivent pas baisser de manière brutale », a ajouté Gabriel Attal, en précisant que ces « contrats de confiance » concerneraient « les 500 plus grandes collectivités dont le budget dépasse 40 millions d’euros. »

Le Sénat veut reporter d’un an la suppression de la CVAE

Enfin, le gouvernement propose aussi la suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une taxe progressive selon le chiffre d’affaires des entreprises perçue par les collectivités locales. La droite sénatoriale a toujours défendu les suppressions d’impôt de production, et Jean-François Husson a admis que la suppression de la CVAE proposée permettrait de « redonner de la compétitivité » aux entreprises françaises. « Mais, actuellement », a-t-il ajouté, « l’enjeu pour notre tissu économique, est de traverser la crise. La réforme du gouvernement est mal préparée sur les modalités de compensation des collectivités, il faut se laisser du temps pour une solution acceptée de tous. »

La commission des Finances proposera donc de décaler d’un an cette suppression. Pour le moment, le gouvernement semble rester sur sa position. « Sur la suppression de la CVAE, cet hémicycle est loin d’être un terrain conquis, mais nous proposons de le faire sur deux exercices budgétaires. La compétitivité de nos entreprises ne peut attendre », s’est justifié Gabriel Attal. Le ministre des Comptes publics devrait pouvoir faire valoir sa position face à la majorité sénatoriale lorsque le Sénat examinera cette disposition, probablement dans la journée de samedi.

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