Tempête au Parlement, une sénatrice PS accuse un député MoDem de copier-coller

Tempête au Parlement, une sénatrice PS accuse un député MoDem de copier-coller

Une proposition de loi du député MoDem Stéphane Baudu, bientôt débattue à l’Assemblée, sème la zizanie entre les deux chambres du Parlement. La cause : un texte similaire sur les catastrophes naturelles a été adopté au Sénat, mais n’a pas été examiné par les députés. La sénatrice PS Nicole Bonnefoy dénonce un plagiat, Gérard Larcher y voit un problème institutionnel. Le député estime avoir été mal compris.
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Voici un incident qui ne risque pas d’améliorer les relations entre le Sénat, d’un côté, et la majorité présidentielle et le gouvernement, de l’autre. Nicole Bonnefoy n’en revient toujours pas. A l’origine d’une proposition de loi « visant à réformer le régime des catastrophes naturelles », adoptée à l’unanimité le 15 janvier 2020 au Sénat, la sénatrice PS de la Charente attendait avec impatience l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de son texte, fruit d’un an de travaux à la Haute assemblée et d’une mission d’information. Son but est de moderniser et améliorer le mécanisme d’indemnisation des dommages causés par des catastrophes naturelles. Les inondations meurtrières dans les Alpes-Maritimes, en octobre dernier, n’ont fait que renforcer le souhait des sénateurs de voir leur réforme aboutir au plus vite. Le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), avait d’ailleurs attiré l’attention en novembre de son homologue de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand (LREM), qui a, à son tour, a sensibilisé le ministère des Relations avec le Parlement.

Puis arrive le mois décembre. Au Palais du Luxembourg, c’est la consternation. Nicole Bonnefoy découvre qu’une proposition de loi a été déposée le 14 décembre à l’Assemblée nationale, « visant à réformer le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles ». Le texte est notamment porté par le député Stéphane Baudu (MoDem), membre de la majorité présidentielle.

« Du pillage de travail parlementaire, une imposture », reproche la sénatrice Nicole Bonnefoy

La sénatrice s’étonne de la reprise « à peine cachée » des dispositions votées par le Sénat, restées lettre morte. Suppression d’une franchise à la charge des assurés, prise en charge des frais de relogement ou encore renforcement de la protection de l’accompagnement des maires : Nicole Bonnefoy retrouve les principaux apports de son texte, dans des rédactions juridiques différentes.

Et ce, jusque dans l’exposé des motifs, la première partie non législative d’un texte de loi, qui développe les buts recherchés de ses auteurs. « Il y a des pans entiers de copier-coller de ma proposition de loi », s’exclame Nicole Bonnefoy, contactée par Public Sénat. La sénatrice est d’autant plus stupéfaite, qu’elle avait été approchée en 2020 par le député du Loir-et-Cher et plusieurs de ses collègues. « Aussi, la présente proposition de loi entend poursuivre ce travail parlementaire en s’appuyant sur le texte adopté et enrichi par les sénateurs », peut-on d’ailleurs lire dans l’exposé des motifs des députés. « C’est du pillage de travail parlementaire, on ne peut pas faire cela, c’est une insulte au travail du Sénat. C’est une imposture », s’indigne-t-elle.

« La proposition de loi Bonnefoy était bloquée en l’état », répond le député Stéphane Baudu

Joint également par Public Sénat ce 6 janvier, le député MoDem Stéphane Baudu se dit « surpris » par la réaction de sa collègue sénatrice. « On a fait le constat ensemble que son texte était globalement bon mais qu’il y avait des choses à améliorer », explique le député du Loir-et-Cher, qui a été en contact à plusieurs reprises avec la sénatrice. « J’ai convenu avec elle de réintégrer un certain nombre d’éléments. J’ai eu une attitude bienveillance […] Certes, il y a quelques points communs, mais les autres sont retravaillés, amendés à mon niveau. On traite des mêmes sujets, on a les mêmes préoccupations, mais c’est très loin d’être un simple copier-coller ou d’être un plagiat », se défend-il, évoquant une différence d’approche sur la composition d’un comité interministériel sur les dossiers de catastrophe naturelle ou une vision différente sur les délais d’instruction.

En attendant, le procédé ne passe pas du tout au Sénat, certainement aussi car le gouvernement n’a pas voulu exprimer son soutien au texte sénatorial il y a un an, évoquant des « interrogations techniques ». Par la voix de la secrétaire d’Etat Agnès Pannier-Runacher, il s’était néanmoins « engagé » à « approfondir rapidement » les travaux sur le sujet et surtout, à « enrichir le texte en cours de navette parlementaire ».

« Le texte, tel qu’il est organisé par Nicole Bonnefoy, pose problème sur un certain nombre d’éléments financiers. La refonte du Fonds Barnier, c’était un point bloquant, un irritant. Le texte n’aurait pas avancé. Il était bloqué en l’état », considère le député Stéphane Baudu. Il ajoute : « Aucun groupe politique ne s’était saisi de ce texte, pas plus le groupe socialiste qu’un autre. »

Sur la proposition de loi du groupe MoDem, comme c’est le cas sur de nombreux projets de loi, la procédure accélérée a été engagée par le gouvernement, justifiée selon le député par l’approche de la fin de la législature. Et son examen aura lieu dans le cadre de la prochaine niche parlementaire (journée réservée à un groupe politique) des députés MoDem et apparentés, le 28 janvier en séance, après un examen en commission le 20 janvier. La navette parlementaire n’a pas été mise en œuvre sur le premier texte. Et un nouveau texte repart de zéro.

Gérard Larcher considère qu’il s’agit d’une « négation du bicamérisme »

Saisi par la sénatrice PS, le président du Sénat se montre, de la même manière, irrité par l’incident. Dans un courrier adressé en réponse à Nicole Bonnefoy, que nous avons pu consulter, Gérard Larcher s’insurge contre ce qu’il nomme une « négation du bicamérisme ». S’il admet la présence de « propositions complémentaires » dans le texte du député Stéphane Baudu, le président du Sénat estime avant tout que « les différences entre les deux textes auraient très bien pu être traitées dans le cadre de la navette parlementaire et faire l’objet d’un accord entre le Sénat et l’Assemblée nationale. » Gérard Larcher conclut sa lettre en affirmant qu’il « regrette profondément ces pratiques qui ne sont pas dignes d’un débat public [qu’il] souhaite apaisé ».

Le sujet est abordé en Conférence des présidents, au Sénat, le 16 décembre, en présence de Marc Fesneau, le ministre chargé des Relations avec le Parlement et de la Participation citoyenne. Dans cette instance s’organise, à intervalles réguliers, l’agenda parlementaire d’une assemblée. Marc Fesneau explique que le gouvernement n’a pas la possibilité de contraindre un groupe politique à modifier son ordre du jour réservé. Hasard fâcheux, la sénatrice Nicole Bonnefoy relève que le député n’est autre que le suppléant qui a remplacé Marc Fesneau à l’Assemblée nationale. « Au lieu de voir inscrire le texte du Sénat dans la navette, on voit que son suppléant fait un copier-coller grossier pour l’inscrire dans la niche du MoDem ».

Une lettre du patron des sénateurs PS Patrick Kanner au Premier ministre

Au groupe socialiste, où est née la proposition de loi sénatoriale, la colère est relayée en direction des plus hautes sphères de l’Etat. Le 17 décembre, le lendemain de la Conférences des présidents, Patrick Kanner, le président du groupe, se plaint par écrit auprès du Premier ministre. Jean Castex est prié de renoncer à l’inscription de la proposition de loi Baudu dans l’ordre du jour. Pour le sénateur du Nord, la situation est « inédite » dans la Ve République. « Je n’ai jamais vu une proposition de loi issue d’un groupe composant une majorité présidentielle, pillant à ce point des paragraphes entiers d’une autre proposition de loi. S’approprier ainsi le travail d’une mission d’information sénatoriale, de la rédaction d’une proposition de loi et du vote du Sénat est la manifestation d’une attitude anormale de l’Assemblée nationale ». Aucune réponse n’a été réceptionnée à ce jour.

La colère de Nicole Bonnefoy s’agrège à une critique que l’on entend de manière récurrente au sein des oppositions à l’Assemblée nationale ou au Sénat, qui déplorent un manque d’écoute des groupes de la majorité. « Si vous ne prêtez pas allégeance au roi, vous êtes exclus », résume la sénatrice. Son collègue député, y voit le signe d’une « forme de rancœur » voire d’une « posture », et estime « avoir été mal compris ». « Je lui ai dit que de toute façon le texte ferait l’objet d’une discussion au Sénat, et qu’elle pourrait faire valoir ses éléments […] Je continue à penser que ma démarche était la bonne. »

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