« Tentative désespérée », « vent de panique » : les sénateurs doutent des consultations lancées par le gouvernement

« Tentative désespérée », « vent de panique » : les sénateurs doutent des consultations lancées par le gouvernement

Les groupes d’opposition ne croient pas à la « nouvelle méthode » que compte mettre en place Elisabeth Borne, qui va les recevoir. « Ils ne savent pas où ils vont », selon Bruno Retailleau (LR), qui ira malgré tout « volontiers » à Matignon. « Elle est dans une impasse », selon Patrick Kanner (PS), qui « pense que quelque chose est cassé ».
François Vignal

Par François Vignal et Romain David

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Retour à la case départ. Recevoir, consulter, définir un calendrier et « élargir » la majorité avec un esprit d’ouverture et de compromis. Non, nous ne sommes pas revenus en juin 2022, quand la Macronie était encore sur le choc de la majorité relative, qui sortait des urnes. Mais plutôt en mars 2023, seulement neuf mois après, le temps de gestation de la crise politique dans laquelle le pays est à nouveau plongé, la réforme des retraites étant passée par-là entre-temps et avec fracas.

Poussé dans le coin du ring, Emmanuel Macron tente de ne pas rester inerte et de rebondir au-delà des retraites, malgré la grande tension sociale qui traverse le pays. Il a chargé sa première ministre, Elisabeth Borne – toujours à son poste, le chef de l’Etat ayant écarté pour l’heure un remaniement – de plancher à… une nouvelle méthode. Ça sent le réchauffé mais la majorité présidentielle ne semble pas avoir mieux à proposer à l’heure qu’il est.

Alors qu’Emmanuel Macron a reçu à déjeuner à l’Elysée tous les ministres de poids et les responsables de sa majorité parlementaire ce lundi, on sait déjà de cette nouvelle méthode qu’elle implique moins de projets de loi et plus de décrets, soit la prise en compte, par contrainte et réalisme, d’une situation de quasi-blocage politique au Parlement. Une manière de contourner cette sérieuse difficulté et de continuer d’agir, avec des textes plus courts ou plus consensuels comme la santé et l’éducation. Autre annonce, faite par la première ministre dimanche : ne plus recourir au 49.3, sauf texte budgétaire (lire notre article sur le sujet). Ce qui revient à s’enlever l’unique joker dont dispose le gouvernement, car il n’a droit qu’à un seul 49.3 par session parlementaire, or budget et budget de la Sécu donc.

Si elle reçoit demain les présidents de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet (Renaissance) et du Sénat, Gérard Larcher (LR), la première ministre se donne encore un peu de temps pour rencontrer les présidents de groupes parlementaires et les chefs de partis, qui seront reçus début avril, avant d’enchaîner peut-être avec les syndicats et le patronat la semaine suivante. Ce soir, elle commençait déjà avec les présidents de groupe de la majorité de l’Assemblée nationale, ainsi que les présidents et rapporteurs généraux des commissions de l’Assemblée, issus de la majorité.

« Ça fait six mois qu’on a un discours de la méthode, à chaque difficulté », souligne Bruno Retailleau 

Avant même de se rendre à Matignon, les oppositions sont au mieux dubitatives, pour ne pas dire hostiles. Bruno Retailleau, à la tête des sénateurs LR, est sur ses gardes. « J’attends de voir. Puisque déjà la semaine dernière, on a eu des signaux très contradictoires. Le Président dit qu’il abandonne le texte immigration et quelques heures après, on nous dit qu’il sera saucissonné pour le rendre plus acceptable pour jouer tantôt sur la gauche, tantôt sur la droite. C’est une méthode de contournement. J’étais très méfiant. Mais si Elisabeth Borne souhaite nous rencontrer dans cette période extrêmement inquiétante pour la France, évidemment que j’irais volontiers », réagit Bruno Retailleau auprès de publicsenat.fr.

Bien que le gouvernement ait négocié directement la réforme des retraites avec les LR, et notamment la droite sénatoriale et Bruno Retailleau en personne, le sénateur de Vendée exclut toujours tout accord de gouvernement. « Il peut y avoir, comme depuis le début au Sénat, une opposition d’intérêt général, que nous pratiquons. Nous avons rejeté certains textes, modifié et adopté d’autres. C’est du texte par texte. Pour un accord de coalition, il faudrait que ça intervienne après une période électorale, ou que ça aille tellement mal qu’il y ait une sorte de gouvernement d’union nationale », avance Bruno Retailleau. Mais pour l’heure, le président du groupe LR a surtout l’impression qu’« ils sont perdus. On en a assez du discours de la Méthode. Ça fait six mois qu’on a un discours de la méthode, à chaque difficulté. Pour moi, c’est de l’ordre du contre-feu ». Le sénateur LR « pense qu’ils gagnent du temps dans une période extrêmement tendue ». Bruno Retailleau ajoute :

Ils ne savent pas où ils vont pour l’instant. On est entré en terra incognita. Et c’est dangereux.

Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord résume à sa manière la situation : « Emmanuel Macron a demandé à Elisabeth Borne d’escalader l’Everest dans les pires conditions météorologiques possibles. Elle avance sur une ligne de crête avec très peu de marge de manœuvre. Tous les 100 mètres, elle peut tomber dans un précipice »… Et certains sont prêts à lui donner un coup de main bien sûr.

« Emmanuel Macron demande à Elisabeth Borne de courir derrière les lignes ennemies pour attraper des otages et les ramener à la maison », lance Hervé Marseille

Hervé Marseille, président du groupe centriste, allié des LR au Sénat, n’y croit pas plus. « Je pense que l’exécutif, et en particulier le président de la République, paie la verticalité organisée depuis 2017, avec la volonté de réformer vite. Les consultations sont une tentative désespérée de reprendre un dialogue qui n’a jamais pu exister avec les corps intermédiaires et les syndicats. Je suis dubitatif sur l’aboutissement de tout cela », tranche le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, qui note que « commencer par recevoir la majorité donne l’impression d’un entre-soi ».

Hervé Marseille ne voit rien de réellement nouveau pour l’instant. « Pas de dissolution, pas de retrait du texte, pas de référendum… Pour l’instant je ne vois aucun changement de méthode. Il faudrait au moins parvenir à trouver une manière de discuter pour s’accorder sur un agenda parlementaire », avance celui qui est aussi président de l’UDI. Il ne croit pas non plus aux recours aux décrets : « Il y a des choses que vous ne pouvez pas faire par décret, le champ d’action d’une voie réglementaire reste limité ».

Quant à la recherche d’une majorité élargie, pour Hervé Marseille, ça semble peine perdue. « Emmanuel Macron demande à Elisabeth Borne de courir derrière les lignes ennemies pour attraper des otages et les ramener à la maison », raille le président du groupe centriste, « le débauchage ne marche pas, car il n’emporte pas le mouvement. Ce n’est pas parce que Gérald Darmanin et Bruno Le Maire sont entrés au gouvernement que toute la droite a suivi ».

« Les consultations sur les retraites, c’était pour amuser la galerie alors que l’accord était négocié avec les LR » pointe Patrick Kanner

A gauche, on n’est pas plus tendre. « Consulter, ça a toujours été fait. Honnêtement, ils ont toujours laissé entendre qu’il y avait de la consultation pour des décisions déjà prises. Sur les retraites, on l’a vue trois fois avec Boris Vallaud (président du groupe PS de l’Assemblée, ndlr), toujours pour le même discours. En nous voyant, c’était pour amuser la galerie alors que l’accord était négocié avec les LR. Et on a vu le résultat… », rappelle Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. Il ajoute : « Tout ceci est sympathique, mais on ne rentrera pas dans une logique de coconstruction ».

L’ancien ministre « doute » qu’Elisabeth Borne soit capable de construction une coalition. « Aujourd’hui, elle est dans une impasse en termes de gouvernance », dit Patrick Kanner, qui ne croit pas plus en un hypothétique changement de méthode. « Non, je pense que quelque chose est cassé. Tout dysfonctionne depuis l’utilisation d’un PLFRSS, du 47.1 et du 49.3. Le mal est fait, et je ne vois pas comment elle peut s’en sortir. C’est un problème de crédibilité de sa parole. Sa réaction montre un vent de panique et une faiblesse quasiment structurelle ».

« Si l’on change de méthode, il faut envoyer un signal clair », demande Guillaume Gontard

Guillaume Gontard, président du groupe écologiste du Sénat, attend aussi un peu plus avant de parler de changement de méthode. « Si l’on change de méthode, il faut envoyer un signal clair. On ne veut plus voir de fausse consultation. Si c’est juste pour nous dire qu’on peut discuter mais que c’est non négociable, ça n’est pas la peine. Nous n’avancerons pas tant que le texte de la réforme des retraites ne sera pas retiré pour repartir sur des bases saines. Il pourra être repris, mais de façon collective avec les parlementaires, tous les corps intermédiaires et les syndicats », demande le sénateur écologiste de l’Isère.

L’idée de textes plus courts n’a pas grâce à ses yeux non plus. « Ce n’est pas comme ça que l’on doit travailler. Il doit y avoir une ligne politique claire. C’est l’échec du ni de gauche ni de droite et du « en même temps » », selon Guillaume Gontard, qui ajoute que « le Parlement est fracturé mais représentatif. Emmanuel Macron n’a pas d’autre choix que de prendre en compte cette situation et de revoir son programme en fonction ».

« Si nous sommes reçus à Matignon nous lui dirons ce que l’on a toujours dit : retrait du texte », prévient Eliane Assassi

Si elle est reçue à Matignon, Eliane Assassi, présidente du groupe CRCE (communiste), sait déjà ce qu’elle dira à l’Elisabeth Borne : « Sur la réforme des retraites, j’estime que nous sommes le prolongement de l’action syndicale, tout en étant porteurs d’alternatives car c’est notre responsabilité de parlementaires. Si nous sommes reçus à Matignon – et pour l’heure nous n’avons pas été contactés – nous lui dirons ce que l’on a toujours dit : retrait du texte ! »

Pour le reste, la sénatrice PCF est, elle aussi, échaudée. « On nous a déjà fait le coup de la nouvelle méthode, et l’on n’a rien vu. Il ne suffit pas de recevoir des gens dans les salons secrets de Matignon », lance Eliane Assassi, qui doute de la réelle volonté de l’exécutif de s’ouvrir au compromis : « Les discussions avec ce gouvernement, c’est toujours a posteriori. Désormais, la défiance vis-à-vis du pouvoir ne concerne plus seulement les citoyens, elle concerne aussi les parlementaires, et je ne parle pas seulement des élus d’opposition ».

« C’est utile de consulter dans la mesure où on vient d’avoir des jours un peu difficiles », soutient François Patriat

Du côté de la majorité présidentielle, si le message est d’élargir la majorité, on se sent en réalité un peu seul contre tous en ce moment. « C’est utile de consulter dans la mesure où on vient d’avoir des jours un peu difficiles, un peu délicats. Si on veut reprendre le chemin des réformes votées, il est normal de trouver une ligne plus rapprochée avec les forces politiques et syndicales pour continuer à avancer », soutient François Patriat, président du groupe Renaissance du Sénat. Le sénateur de la Côte-d’Or s’étonne au passage : « On ne peut pas nous reprocher la verticalité tous les jours, et quand le gouvernement tente de dialoguer avec les oppositions, nous le reprocher… »

Pour la majorité, ce serait en réalité la seule voie à suivre. « On ne va pas dissoudre aujourd’hui. Le remaniement n’est pas à l’ordre du jour. Donc il faut faire la démonstration qu’on est en mesure de faire passer des textes importants, comme le projet de loi sur le travail, la justice ou l’économie verte, le texte de Bruno Le Maire », espère François Patriat. Si aucun des convives présents au déjeuner de l’Elysée n’a parlé sur le perron, à la sortie, un seul cadre de la majorité a lâché littéralement un seul mot, quand on lui demandait comment élargir la majorité. Réponse : « Difficile, hein… » Bien résumé.

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