Tracking du coronavirus : les parlementaires encore «inquiets» pour les «libertés»
Le Parlement débattra avant le 11 mai d’une application de suivi sur téléphone portable des personnes atteintes par le coronavirus, que développe le gouvernement. Même sur la base du volontariat, elle suscite encore de nombreuses questions, tout en soulevant des doutes sur son efficacité.

Tracking du coronavirus : les parlementaires encore «inquiets» pour les «libertés»

Le Parlement débattra avant le 11 mai d’une application de suivi sur téléphone portable des personnes atteintes par le coronavirus, que développe le gouvernement. Même sur la base du volontariat, elle suscite encore de nombreuses questions, tout en soulevant des doutes sur son efficacité.
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Une nouvelle icône va peut-être bientôt apparaître sur l’écran de votre téléphone portable. Le chef de l’Etat a confirmé, lundi 13 avril, lors de son allocution, que l’exécutif comptait recourir au tracking pour « accompagner » la phase délicate du déconfinement. Le gouvernement y « travaille ».

« Plusieurs innovations font l'objet de travaux avec certains de nos partenaires européens, comme une application numérique dédiée qui, sur la base du volontariat et de l'anonymat, permettra de savoir si, oui ou non, l'on s'est trouvé en contact avec une personne contaminée » a expliqué Emmanuel Macron, qui « souhaite qu’avant le 11 mai, nos Assemblées puissent en débattre ». Il ajoute : « Cette épidémie ne saurait affaiblir notre démocratie, ni mordre sur quelques libertés ». Précision utile, quand on sait les réticences fortes que suscite ce projet d’appli. Dans la patrie des droits de l’homme, une telle idée est en effet vue comme une menace pour les libertés individuelles.

D’autres pays ont ouvert la voie. Taïwan, la Chine, la Corée du Sud, Singapour, Israël ou encore l’Allemagne ont déjà recours, sous différentes formes, à la technologie pour juguler la crise.

Pas nécessaire de changer la loi si l’appli n’est pas obligatoire

Si députés et sénateurs vont débattre du sujet, pas sûr qu’ils aient à voter. Une application obligatoire pour tous aurait nécessité de modifier la loi. Ce n’est en revanche pas le cas d’un dispositif basé sur le volontariat. « Stop Covid » pourrait être mis en place à droit constant tout en respectant le cadre européen du RGPD (règlement général sur la protection des données).

En optant pour le volontariat, le gouvernement suit aussi les recommandations de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), qui n’a pas encore été saisie. « Le volontariat est une ligne rouge » a mis en garde sa présidente, Marie-Laure Denis. Elle sera auditionnée par la commission des lois du Sénat ce mercredi 15 avril. Son président, le sénateur LR Philippe Bas, a déjà prévenu regarder ce projet « avec beaucoup de précaution, de circonspection ».

« Ce n’est pas rien. Ce serait un précédent dans notre pays de mettre en œuvre un tel dispositif »

Beaucoup d’élus se posent des questions. « Il faudra toutes les garanties pour respecter nos libertés individuelles » prévient la sénatrice PS Sylvie Robert, membre de la Cnil. « Ce n’est pas rien. Ce serait un précédent dans notre pays de mettre en œuvre un tel dispositif. Le respect de nos libertés individuelles est un principe intangible ».

La sénatrice d’Ille-et-Vilaine souligne aussi que « l’efficacité du dispositif repose sur la stratégie globale. A savoir un dépistage massif, des lieux de relais pour la quarantaine et des masques. S’il n’y a pas cela, je me pose beaucoup de questions sur son efficacité ». Enfin, il faut « la construction d’un consensus », essentiel, là encore, à l’efficacité. Mais la sénatrice n’est « pas certaine d’un large soutien dans la population ». Selon un sondage Ifop, 46% des personnes seraient prêtes à installer l’appli, mais 45% ne le feraient pas.

« La question de la souveraineté numérique »

L’autre sénateur membre de la Cnil, le centriste Loïc Hervé, est aussi « très vigilant ». Le sénateur UDI de Haute-Savoie, rapporteur (avec Dany Wattebled) des questions de données personnelles au sein du comité de suivi de la commission des lois sur les mesures d’urgence, met en garde sur un autre point : « La question de la souveraineté numérique. A qui on demande de faire l’application ? Qui maîtrise la technologie ? On va faire avec ce que les Gafa nous proposent ? Ou avec une application souveraine française ou européenne ? » demande Loïc Hervé, qui posera une question demain lors des questions d’actualité au gouvernement. Il insiste :

Il faut être vigilant, savoir où on stocke les données, si elles ne risquent pas d’être utilisées à d’autres fins, notamment de développement. Le diable se cache dans les détails.

Les questions sont nombreuses encore. Par exemple, comment sera vérifié qu’une personne, qui a téléchargé l’application, est bien malade ? Faudra-t-il croiser les données du ministère de la Santé avec l’appli ? Et « si une personne volontaire et infectée décide à un moment de ne plus être suivie par l’appli. Si elle n’a plus le droit de sortir, ce ne sera plus volontaire dans ce cas », souligne Sylvie Robert.

« Ça peut être dangereux pour nos libertés » selon le député LREM Aurélien Taché

Jusqu’au sein même de la majorité présidentielle, le sujet divise. « Dans toute crise, il y a toujours un risque qui peut exister de restriction des libertés publiques. Et le rôle du Parlement, c’est justement d’en être le garant » a estimé sur BFM-TV la députée Aurore Bergé, porte-parole de La République En Marche, appelant à être « vigilant sur ces applications ».

Doutes partagés par le député LREM Aurélien Taché. « Je ne cache pas ma grande réserve sur ce type de dispositif, surtout pris dans l’urgence, dans une crise, alors qu’il y a tellement d’urgences à traiter », met clairement en garde le député, selon qui « ça peut être dangereux pour nos libertés ». S’il « entend que le gouvernement prend des garanties », il nous explique ne pas se retrouver dans « une vision utilitariste » de la technologie, « sans se poser de questions éthiques ». Il ajoute :

Cédric O est venu devant le groupe et a dit qu’il faudra que chacun d’entre nous encourage le recours à l’application. Mais s’il y a une pression morale de députés et de ministres, c’est compliqué. Je suis inquiet.

Avec une appli basée sur le volontariat, il préconise carrément de la laisser dans les cartons. « Si c’est volontaire, quelle efficacité ? Alors pourquoi se lancer ? Et ça ne peut pas être obligatoire. Sinon, on entre dans un autre registre » souligne Aurélien Taché.

« Pour que la mesure soit efficace, il faut qu’elle soit généralisée » selon Patrick Chaize (LR)

Il y a un parlementaire qui a – en partie – apprécié les propos du chef de l’Etat. C’est Patrick Chaize. Le sénateur LR de l’Ain avait déposé, dès l’examen du projet de loi d’urgence coronavirus, un amendement visant à autoriser le tracking, comme publicsenat.fr l’avait relevé. Le 30 mars, il demandait qu’on ne « joue (pas) les pucelles » face à cette technologie (voir notre article). Aujourd’hui, il fait « une réponse de Normand ». « Je me réjouis qu’on pense utiliser un outil numérique pour sortir du confinement dans les meilleures conditions ». Mais il regrette que l’appli ne soit pas « plus stricte ». « Je demande qu’on ait une mesure efficace. Et pour qu’elle le soit, il faut qu’elle soit généralisée. Elle peut être anonymisée aussi. Il faut pouvoir sortir du confinement sans avoir une deuxième vague, c’est ça le sujet ».

Patrick Chaize reconnaît qu’un dispositif obligatoire serait une atteinte aux libertés individuelles – « si, c’est évident ». Mais pour lui, il faut en passer par là. « On est dans une période particulière. Il faut sortir de l’épidémie. Ça nécessite des efforts de chacun. Oui, ça enlève de la liberté, mais si c’est pour en donner au voisin. Et tout ça doit être encadré dans le temps ». Il ajoute :

Le confinement, c’est aussi fort comme atteinte à la liberté, sinon pire.

Le sénateur LR voit aussi dans le tracking un autre intérêt : « Si on rate le déconfinement, ça peut être dramatique en terme économique. 15 jours de confinement supplémentaires, c’est 1,5 point de PIB en moins ».

Si le gouvernement s’en tient à une mesure à droit constant non obligatoire, il doute de l’utilité du débat à venir au Parlement. « Si le cadre du débat, c’est ce qu’a dit le Président, finalement, il n’y a pas besoin de débattre » lance le sénateur de l’Ain.

Sur ce point au moins, Patrick Chaize pourrait se rapprocher d’Aurélien Taché. Le député LREM doute aussi du sens du débat dans les conditions actuelles. « J’attends de voir la forme du débat. Il y avait 10 députés la dernière fois… » souligne le député du Val-d’Oise. Le député de l’aile gauche de la majorité préférerait un débat au sens large, avec la population, et non en visioconférence ou en comité restreint. « Il faut une convention citoyenne sur le sujet » plaide Aurélien Taché. Avec une appli ?

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