Travail : le Sénat réduit de 800 millions d’euros le budget de l’emploi

Travail : le Sénat réduit de 800 millions d’euros le budget de l’emploi

Le Sénat a adopté le budget du Travail et de l’emploi ce lundi 28 novembre. La baisse du chômage a été unanimement saluée, même si la gauche a dénoncé une augmentation budgétaire en trompe-l’œil et que la droite a alerté sur le coût « non maîtrisé » des mesures favorisant l’apprentissage et la formation.
Louis Mollier-Sabet

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Avec la plus forte progression – aux côtés de la mission Ecologie – de son budget par rapport à celui voté par le Parlement il y a un an, le budget du Travail et de l’emploi se porte bien au niveau comptable. Mais c’est une évolution « peu significative », selon les mots d’Olivier Dussopt lui-même. Le ministre du Travail a ainsi convenu devant le Sénat que cette hausse budgétaire qui porte le budget de la mission « Travail et emploi » à plus de 20 milliards d’euros était principalement due à une pérennisation des crédits qui étaient auparavant financés par le plan de relance, comme 400 millions d’euros consacrés à l’activité partielle. Ces crédits existaient donc déjà l’année dernière sans être comptabilisés dans cette mission budgétaire en loi de finances dite « initiale », ce qui explique une augmentation formelle du budget « Travail et emploi. »

Un budget enfin « sincère » qui intègre les dépenses liées aux aides à l’apprentissage

D’autant plus que 5 milliards d’euros, soit le quart des crédits de la mission, sont consacrés à la compensation d’exonérations de cotisations sociales, dont 1,4 milliard sur les contrats d’apprentissage, un montant qui progresse de plus de 50 %. La politique en faveur de l’apprentissage poursuivie depuis 2019 par le gouvernement force en quelque sorte l’Etat à sortir le portefeuille pour chaque contrat signé. C’est ce que l’on appelle une « enveloppe ouverte. » Or le succès du dispositif a généré des dépenses bien supérieures à ce qui était prévu. Le rapporteur de ces crédits, le sénateur Les Indépendants Emmanuel Capus, a ainsi salué un budget qui lui « apparaissait plus sincère que le budget 2022 », tandis que l’autre rapporteur, le sénateur écologiste Daniel Breuiller, a confié, lui aussi, préférer « de la sincérité à un déficit masqué. »

Le gouvernement ne fait donc que coucher sur le papier ce qui était un état de fait budgétaire sur l’année 2022 : sur le fond, l’Etat ne va pas mettre plus d’argent pour lutter contre le chômage et améliorer la formation professionnelle qu’en 2022, Olivier Dussopt lui-même en convient. Le ministre du Travail s’inscrit dans la continuité de l’action du gouvernement ces dernières années, dans la « poursuite et l’atteinte du plein-emploi », et l’action sur l’emploi de jeunes, avec une augmentation de 3,5 milliards du budget consacré à l’alternance, notamment, et l’objectif affiché d’un million d’apprentis pour 2027.

Le ministre du Travail a défendu devant le Sénat un « budget de transition », avec en ligne de mire la mise en place de « France Travail », qui « ne sera pas une opération de fusion ou de rapprochement de structure » pour « ne pas connaître l’embolie » qui a eu lieu lors de la création de Pôle emploi. La « maquette » de ce nouveau « guichet unique pour l’emploi » qui remplacera Pôle emploi, mais intégrera aussi les missions locales ou les associations, sera disponible « entre décembre et janvier », a annoncé Olivier Dussopt sans donner plus de précisions à la chambre haute.

« Si l’on veut continuer de développer l’apprentissage et la formation, il est urgent de sécuriser leur financement »

Et la pérennisation des politiques menées par le gouvernement ces dernières années, c’est bien ce qui a inquiété les sénatrices et les sénateurs. Paradoxalement, « le succès de l’apprentissage est la source d’une des difficultés majeures de cette mission », explique le rapporteur Emmanuel Capus, avec les dépenses engendrées par les aides exceptionnelles versées à chaque entreprise qui embauche un apprenti jusqu’au 31 décembre 2022. « Le coût budgétaire a bondi de 1,3 milliard à 4,2 milliards en 2021, pour 2022 le montant sera certainement du même ordre », précise le sénateur Les Indépendants.

Les « succès populaires » de l’alternance et du Compte professionnel de formation (CPF), dont s’est félicitée Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de la Formation et de l’Enseignement professionnel, ont ainsi obligé l’Etat à « intervenir à hauteur de 3 milliards en 2021 et 4 milliards en 2022 » pour abonder le budget de « France compétences », normalement financé par les employeurs.

Pour un déficit qui atteindra pourtant encore 3,5 milliards d’euros fin 2022, a précisé Emmanuel Capus. « Si l’on veut continuer de développer l’apprentissage et la formation, il est urgent de sécuriser leur financement. Or, à ce stade, aucune réponse pérenne n’est apportée au déséquilibre financier de France compétences », a ainsi alerté Frédérique Puissat, la rapporteure LR pour avis, qui a planché sur ce budget au nom de la commission des Affaires sociales, et qui avait déjà rapporté la réforme de l’assurance-chômage au Sénat.

France compétences : une situation financière « inquiétante »

Même à gauche, Bernard Jomier, sénateur socialiste reconnaît une « situation financière déséquilibrée » et des « causes structurelles du déficit » de France compétences, tout en appelant à faire confiance au dialogue social sur le sujet : « Il n’appartient pas au Parlement, ni au pouvoir réglementaire de se substituer aux partenaires sociaux et de faire passer les réformes nécessaires en force. » À droite, on pousse plutôt pour « un budget maîtrisé, tenant compte des difficultés actuelles », selon les mots de Céline Boulay-Espéronnier (LR), qui estime que « la protection des Français et de l’emploi passe aussi par cette discipline budgétaire. »

La majorité sénatoriale a ainsi fait adopter un amendement de la commission des Affaires sociales, contre l’avis de la commission des Finances, qui réduit de 800 millions d’euros le budget de « l’accompagnement des mutations économiques et du développement de l’emploi », dont 300 millions d’euros ponctionnés dans la subvention accordée à France compétences et 500 millions au Plan d’investissement dans les compétences (PIC), un plan qui finance des actions accompagnant le retour à l’emploi. « C’est un amendement de cohérence », a défendu Frédérique Puissat (LR), en estimant qu’il serait « compliqué de laisser passer ces milliards sans contribuer cet effort de solidarité. » Le rapporteur Les Indépendants, Emmanuel Capus, a dit « comprendre l’objectif posé sur la réduction des dépenses » et partager les « inquiétudes » sur le financement de France Compétences, notamment. Mais d’après lui, passer par une « réduction des crédits » est « une fausse bonne idée », puisque de toute façon, les contrats signés en ce moment seront éligibles aux aides exceptionnelles sur l’apprentissage tout au long de l’année 2023, peu importe ce que le Parlement vote dans le budget.

800 millions d’euros d’économies au nom de la « discipline budgétaire »

En clair, ces dépenses se feront de toute façon, et c’est seulement fin 2023 et en 2024, quand les contrats signés jusqu’au 31 décembre 2022 arriveront à échéance, que les dépenses de France compétences pourront diminuer. Ainsi, « inscrire directement 1,7 milliard [en subvention à France compétences , ndlr] apparaît beaucoup plus sincère », argumente Emmanuel Capus, qui insiste : « À la fin de l’année, les dépenses seront là, et ma crainte c’est que 1,7 milliard cela ne suffise pas. » Ce qui obligerait le gouvernement à – une nouvelle fois – demander au Parlement des « rallonges », comme dans les projets de loi de finances rectificatifs de cette année. « Il y a un moment ça suffit, on ne peut pas continuer comme cela », a protesté le sénateur LR Jérôme Bascher, alors que la majorité sénatoriale adoptait finalement cette réduction budgétaire.

La commission des Finances et celle des Affaires sociales se sont en revanche rejointes sur la régulation des dépenses liées au financement du Compte professionnel de formation (CPF), puisque deux amendements identiques d’Emmanuel Capus et Frédérique Puissat précisant les « mécanismes de régulation » des formations éligibles au CPF que le gouvernement prévoyait d’instaurer par un décret du Conseil d’Etat, ont été adoptés. Il faudra ainsi « indiquer clairement » quelles formations pourraient faire l’objet d’un plafonnement des remboursements et les cas dans lesquels les plafonnements ne seraient pas applicables, pour les chômeurs de longue durée par exemple.

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