Ubérisation : quels impacts sur les professions réglementées ?

Ubérisation : quels impacts sur les professions réglementées ?

Ce mardi 14 septembre au Sénat avait lieu une nouvelle audition de la mission d’information sur le thème : « Ubérisation de la société ». Les sénateurs accueillaient les représentants des Chambres des métiers et de l’artisanat, du Conseil national des barreaux, du Conseil national de l’Ordre des architectes, du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables et du Conseil national de l’Ordre des médecins.
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Par Oriane Teixeira-Leveleux

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Cette mission d’information s’est constituée le 22 juin dernier, en prenant pour cible « l’ubérisation des métiers » qui, selon le sénateur Pascal Savoldelli, rapporteur de la mission, « créée une polarisation de l’emploi entre quelques activités à haute valeur ajoutée bien rémunérées et un prolétariat numérique qui va bien au-delà des métiers de livreur ou de chauffeur. » À l’occasion de cette nouvelle audition, le Sénat recevait ainsi les représentants d’ordres professionnels variés. Tous faisaient état d’un même constat, résumé par Samuel Deguara, représentant la Chambre des métiers et de l’artisanat : « la plateformisation, nous n’en avons pas nécessairement peur, à condition qu’il y ait des garde-fous pour préserver le modèle social dans lequel nous vivons. »

Comme le souligne Samuel Deguara, c’est bien l’absence de cadre légal qui menace l’avenir des professions représentées. La sénatrice Martine Berthet, présidente de la mission, affirme en début d’audition que « Le modèle économique des plateformes relève d’une organisation libre du marché alors que les professions réglementées offrent les mêmes services aux particuliers ou aux entreprises dans le cadre d’une réglementation dérogatoire […] ». La libre organisation du marché ne se limite pas au commerce de biens, et c’est précisément les frontières érodées par un capitalisme gourmand qu’étudie la commission. Le Président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, Jean-Luc Flabeau analyse ce contexte nouveau comme « un monde des entreprises qui se complexifie de plus en plus », qu’il voit comme une véritable « évolution de la société ». Face à cette évolution, les métiers traditionnels sont souvent mis en compétition avec des plateformes numériques qui aspirent à les supplanter.

Cette tendance emporte avec elle de lourdes conséquences sur le droit du travail, d’autant plus que lesdits métiers sont souvent rigoureusement encadrés. Jean-Luc Flabeau poursuit ainsi en affirmant : « s’il y a un mouvement d’ubérisation vers ces plateformes, cette généralisation d’un système low cost peut devenir extrêmement dangereuse pour nos entreprises. » Il déplore une potentielle perte « des compétences » ; tout en affirmant : « Notre métier en sera victime, mais l’ensemble des entreprises aussi : toute la partie conseil et accompagnement sera affectée. » La question de la responsabilité en cas de litige pose également problème dans l’intégralité des professions représentées. Comment rendre imputable une erreur informatique ? Quelle sanction encourt une entreprise employant illégalement des médecins, architectes, ou avocats ne présentant pas les conditions d’exercice requises ? Le doute plane et c’est précisément cette incertitude que vise le travail de la mission d’information.

« Il y a une forme de fissuration entre ceux qui font du business et qui gagnent de l’argent dans des nouveaux métiers […] et ceux du métier traditionnel qui sont malmenés ».

Les effets se font d’ores et déjà sentir dans certains secteurs comme l’architecture, représentée par Christine Leconte, Présidente du Conseil National de l’Ordre des architectes. Cette dernière oppose la profession traditionnelle de l’architecte, régie par « un cadre juridique très fort, notamment des exigences liées au code de déontologie, obligation d’assurance professionnelle, et une obligation de formation professionnelle annuelle. » au développement d’algorithmes censés fournir un service équivalent. Dans cette mutation de l’offre proposée, selon elle, on assiste à une véritable déperdition de l’expertise professionnelle. La connaissance d’un terrain, d’un voisinage, de données environnementales est autant de données acquises par le biais d’une expérience de terrain, que ne peut pas imiter un algorithme. La même problématique se pose dans le domaine juridique, représenté par le Président du Conseil National des Barreaux lors de l’audition. Invité par le Sénat, Jérôme Gavaudan explique qu’il constate une nette fissuration entre « les nouveaux métiers de la profession d’avocat qui s’appuient sur les plateformes, sur l’ubérisation, sur le numérique et les formes traditionnelles plus proches du citoyen, l’avocat de proximité qui va défendre devant le tribunal correctionnel. »

La confiscation de la relation de proximité

Dans cette « fissuration », c’est bien l’avenir des professions traditionnelles qui se joue. Le régime dérogatoire auquel sont soumises les plateformes était particulièrement pointé du doigt par les représentants conviés ce lundi. Véritable hors piste juridique, ce régime expose à la fois les professionnels à la précarité, et du même coup les consommateurs à une mauvaise prise en charge. Gilles Munier, représentant le Conseil National de l’Ordre des médecins, s’interroge ainsi sur l’arrivée de l’ubérisation dans le domaine de la santé. La délocalisation des plateformes emporte un certain nombre de conséquences, qui fragmentent le parcours de soins du patient en données multiples, dont la conservation par la plateforme est, là encore, très peu encadrée.

A juste titre, Samuel Deguara interroge cette évaporation des données personnelles et professionnelles. Elle est responsable d’une véritable mutation des métiers de proximité, puisque selon lui « devant cette acquisition de nouveaux clients, si la plateforme se développe, on est dans la confiscation de la relation client. » « La confiscation du lien direct, de la data, un privilège dans notre économie de marché moderne […] » doit être analysée et combattue. Il renchérit en ajoutant : « On pourrait s’interroger aussi : qui ferait l’économie de proximité si tout était virtuel ? Nous représentons un secteur qui est dans tous vos territoires […] et on peut s’inquiéter d’une économie qui sera toute plateformisée dans quelque temps. »

« Si vous avez la force, il nous reste le droit. »

« On a eu raison de parler de la société, pas uniquement une approche économique, sociale, mais bien de société », rappelle ainsi le sénateur et rapporteur de la mission, Pascal Savoldelli. Prochaine audition menée conjointement avec la délégation aux entreprises : la ministre du Travail, Elisabeth Borne, le 21 septembre prochain.

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