Une nouvelle crise pourrait être fatale pour la Sécu, redoute le président de la commission des Affaires sociales du Sénat

Une nouvelle crise pourrait être fatale pour la Sécu, redoute le président de la commission des Affaires sociales du Sénat

À la commission des affaires sociales du Sénat, les nouveaux chiffres de la dégradation des comptes sociaux sont accueillis sans surprise, mais avec gravité. Son président (LR), ainsi que le rapporteur général (MoDem), regrettent l’absence de projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificative.
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Le début du quinquennat ressemble à un monde bien lointain : à l’époque, 2020 était censée marquer le retour à l’équilibre de la Sécurité sociale. L’épidémie de Covid-19 et le confinement ont creusé son déficit à un niveau « historique ». Le 2 juin, Gérald Darmanin, le ministre des Comptes publics, a fait part de chiffres « extrêmement préoccupants ». Le « trou de la Sécu » est désormais attendu à 52,2 milliards d’euros, soit plus d’une dizaine de milliards de plus par rapport à la précédente prévision du mois d’avril.

L’intensité du recalibrage ne surprend pas Alain Milon, le président (LR) de la commission des Affaires sociales du Sénat, qui l’avait auditionné le 22 avril. « Quand il avait parlé de 41 milliards d’euros, nous n’étions pas d’accord. Nous pensions que ce serait bien plus. Nous pensions atteindre les 55 milliards d’euros. Ce n’est pas étonnant avec tout ce qu’il s’est passé. » Les pertes de recettes sont en effet considérables, sous l’effet du report de cotisations sociales et d’une économie au ralenti, couplés avec le coût du chômage partiel. Le sénateur du Vaucluse estime que cette « addition salée » est « inquiétante pour l’avenir de la Sécurité sociale ». « C’est un dérapage obligatoire mais considérable, qui pourrait, si c’était répétitif, remettre en cause le système de Sécurité sociale à la française. »

La Sécu est loin d’être au bout de ses surprises

Le gouvernement n’a pas fini d’affiner son estimation, liée à la durée de la crise. Malgré cette brutale dégradation, le ministre a exclu de présenter un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) rectificatif, ce que souhaitait pourtant Alain Milon avant l’automne. « Les conséquences financières de cette année catastrophique seront répercutées sur le PLFSS 2021. » La Sécu est loin d’être au bout de ses surprises, puisque le nombre de consultations et de traitements pour les maladies chroniques a diminué au plus fort de la crise sanitaire. « Ça va obligatoirement revenir. Avec probablement pour certains des patients, des complications qui entraîneront d’autres types de dépenses », redoute le président de la commission des Affaires sociales.

L’absence de PLFSS rectifié est un regret que partage le rapporteur général de la commission, le sénateur MoDem Jean-Marie Vanlerenberghe. « La seule ouverture qui est faite, c’est que le 16 juin, lors de la réunion de la commission des comptes de la Sécurité sociale, un bilan général sera fait pour nous tenir informés de la situation financière. »

Alain Milon écrit au comité d’alerte de la Sécurité sociale pour demander « plus de précisions »

Le 30 mai, le comité d’alerte de la Sécurité sociale a bien allumé le voyant rouge, en mentionnant un « dépassement très significatif ». Mais il s’est montré bien en retrait sur les conséquences à en tirer, comme en témoigne ce passage : « À défaut d’un ajustement temporaire de son mandat par voie législative, comme ce fut le cas en 2010 lors d’une précédente épidémie, le comité devra le notifier [le dépassement des objectifs de dépenses, NDLR] au parlement, au gouvernement […] en vue de susciter des propositions de mesures de redressement. » Un avis qui a laissé circonspect le président de la commission des Affaires sociales du Sénat, qui va leur adresser un courrier « pour demander plus de précisions ». « Habituellement, il est là pour faire des recommandations », s’étonne-t-il.

Projet de loi de financement rectifié ou pas, la commission des Affaires sociales aura du grain à moudre cet été, avec deux projets de loi (l’un organique, l’autre ordinaire). L’un doit préparer la création d’une cinquième branche au sein de la Sécurité sociale, dédiée à la dépendance, qui sera financée par une fraction de la CSG. L’autre veut transférer 136 milliards d’euros de dette à la CADES (Caisse d'amortissement de la dette sociale), dont l’existence sera prolongée de 2024 à 2033. Une provision importante sera constituée pour traverser les trois années à venir et les investissements qui devraient germer du « Ségur de la Santé », en faveur de l’hôpital et du secteur médico-social.

Dette sociale et 5e branche de la Sécu : beaucoup de sujets émergent au Parlement

Les interrogations sont nombreuses au Sénat.  Alain Milon, par exemple, considère qu’il est « anormal » que « soient répercutées les dettes des hôpitaux et des dettes immobilières » sur la CADES. Le rapporteur général Jean-Marie Vanlerenberghe se demande si les annulations de charges promises aux entreprises seront bien compensées par l’État sur le budget de la Sécurité sociale, et quel sera le rythme de transfert des dettes.

Le sénateur du Nord estime néanmoins que les choses sont « bordées » pour encaisser le choc qui est en train de s’abattre sur la Sécurité sociale. Le filet que va jouer la CADES est une « grosse sécurité », selon lui, grâce au sérieux de sa signature. « Son président dit qu’il n’y a aucune tension sur les marchés. Les taux restent bas, en moyenne 1,90%. »

Le grand point d’interrogation reste la durée de la crise et la trajectoire de reprise de l’économie, de laquelle dépendra l’essentiel des recettes de la Sécu. Le 28 mai, lors d’un débat en séance au Sénat sur les « conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire », Jean-Marie Vanlerenberghe avait proposé une idée de recette moins fluctuante, avec « une assiette large et solidaire ». Il serait question de remplacer les cotisations salariales et patronales (hors retraite) par une « contribution de 2% » sur les paiements scripturaux, c’est-à-dire tous les paiements en dehors des espèces. Ce qui pourrait générer 400 milliards de recettes, soit l’équivalent des charges du régime général de la Sécurité sociale en 2018. « Cela mérite qu’on y réfléchisse », insiste le sénateur.

« Coûte que coûte, ça devient extrêmement dangereux »

Dans cette crise historique, comment seront accueillies les initiatives parlementaires, et notamment sénatoriales ? L’an dernier, le Sénat avait rejeté avec fracas un PLFSS rendu obsolète par les annonces concomitantes du président de la République. Les relations avec le gouvernement vont-elles se réchauffer ? « Chat échaudé craint l’eau froide », glisse Alain Milon, dans un mélange de prudence et d’optimisme. « Les gouvernements ont pris de haut toutes les observations que les parlementaires pouvaient faire. Je pense que cette fois, il en tiendra plus compte. »

Craignant une crise sociale de grande ampleur, avec des conséquences importantes en termes de chômage, le président de la commission des Affaires sociales met en garde l’Élysée. « Il ne faut pas faire trop de déclarations intempestives sur l’avenir de la santé, qui pourraient entraîner des désillusions. Coûte que coûte, ça devient extrêmement dangereux, à moins d’augmenter considérablement la CSG. »

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