Vaccins : « Plus important que la levée des brevets, c’est le savoir-faire technologique »

Vaccins : « Plus important que la levée des brevets, c’est le savoir-faire technologique »

La levée des brevets est-elle la solution pour accroître la production de vaccins contre le covid-19, réduire les inégalités d’accès et parvenir plus rapidement à l’immunité collective de la population mondiale ? C’est la question qui a été posée lors d’une une vaste table ronde, organisée, ce jeudi, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
Public Sénat

Par Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Dès le mois d’octobre 2020, l’Inde et l’Afrique du Sud avaient fait une demande de levée des brevets des vaccins contre le covid-19 auprès de l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce). En mai dernier, l’administration Biden, aux Etats-Unis, s’était prononcée également en faveur de la levée des brevets entraînant dans la foulée un changement de pied de l’exécutif français. Emmanuel Macron s’était alors déclaré « tout à fait favorable à ce qu’il y ait cette ouverture de la propriété intellectuelle », alors que son gouvernement fustigeait jusque-là « d’une fausse bonne idée ».

Un compromis visant à parvenir à un accès équitable des vaccins contre la pandémie fait toujours l’objet de négociations au sein de l’OMC dont le prochain conseil général est prévu le 27 et 28 juillet.

Réunis en visioconférence, les intervenants de l’audition publique organisée par l’OPCST (l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) se sont penchés sur la forme que pourrait prendre ce compromis. Le représentant de l’OMC, Anthony Taubman a tenu à préciser que la levée des brevets, était un « un terme impropre », préférant parler de dérogation temporaire à l’accord ADPIC (accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce).

« Le brevet n’est pas une solution clé en mains »

Sur ce point, Mathieu Guerriaud, maître de conférences en droit pharmaceutique à l’Université de Bourgogne Franche-Comté a résumé l’ensemble des atteintes à la propriété intellectuelle possibles pour sauvegarder la santé publique parmi lesquelles, la licence obligatoire qui permet aux gouvernements d’autoriser un tiers à fabriquer le produit breveté sans le consentement du titulaire du brevet, moyennant certaines conditions. « La licence obligatoire ou la levée des obligations n’auront pas d’utilité dans la production de vaccins en tout cas à court terme […] Parce que le brevet n’est pas une solution clé en mains. Il ne contient que très peu d’informations techniques. Il ne contient pas le mode d’emploi pour la fabrication des médicaments », a-t-il exposé. L’accélération de la production de vaccins, ne peut, selon lui, passer que par un « transfert de technologie ». « Mais, il faut que le titulaire du brevet accepte. Il faut donc imaginer des mécanismes d’incitation de transferts de technologie ».

Une solution qui est également valable sur le long terme en particulier en ce qui concerne la production ARN messagers. « Si on veut développer des vaccins dans les pays du Sud, il faudra construire une usine ou en reconvertir une, qualifier le matériel, procéder à un traitement de l’eau, à un traitement de l’air », a-t-il énuméré.

Philippe Lamoureux, représentant du syndicat des entreprises du médicament a logiquement défendu le cadre juridique de la propriété intellectuelle, qualifiant la levée des brevets de « très mauvaise solution à un très grand problème » Pour lui la solution passe par l’intensification du partage des doses, la fin des barrières commerciales à l’exportation des matières premières clés et des vaccins, ou encore un soutien à la campagne de vaccination des pays les plus défavorisés.

« La position constante de la France est de considérer que le vaccin est un bien public mondial »

Pierre Cunéo, responsable de la Task Force Vaccination auprès du ministère de l’Industrie a rappelé « la position constante de la France qui est de considérer que le vaccin est un bien public mondial ». Une position qui se traduit par des dons et des exportations. En ce qui concerne les enjeux liés à la propriété intellectuelle, Pierre Cunéo a évoqué lui aussi « la licence obligatoire ». « Un mécanisme que la France considère tout à fait légitime ». Mais ça nécessite « d’avoir des capacités de production et d’avoir une très grande fluidité des éléments critiques pour la fabrication des vaccins », a-t-il précisé.

« Est-ce que les brevets sur les vaccins covid-19 sont vraiment légitimes ? »

Dr Richard Benarous, ancien directeur du département maladies infectieuses de l’Institut Cochin, s’est, quant à lui, montré favorable à la levée des brevets, même si comme Mathieu Guerriaud, il reconnaît que « ce n’est pas en lisant un brevet qu’on peut réaliser la production d’un vaccin. Il y a un savoir-faire qui n’est pas breveté ». Ce qui l’amène à s’interroger : « Est-ce que les brevets sur les vaccins covid-19 sont vraiment légitimes ? Il n’y a pas dans ces brevets de véritables innovations technologiques vaccinales […] La seule innovation véritable, c’est la séquence du virus. Cette séquence est une ressource publique mondiale, il n’y a aucune raison pour que les vaccins qui en sont issus ne soient pas considérés comme tel ».

Samira Guennif, économiste de la Santé à l’Université Paris 13, est revenu sur la stratégie de dons de vaccins mis en avant par la France, en affirmant que la facilité COVAX (un outil mis en place par l’OMS qui doit permettre une distribution de 2 milliards de doses d’ici la fin de l’année) « était en panne faute de financement et faute d’implication des Etats ». En ce qui concerne la licence obligatoire, elle comporte trop de lourdeurs administratives selon elle. « Il faudrait, en réalité, lever les brevets et lever toutes les protections qui portent sur toutes les données cliniques », préconise-t-elle.

Au bout de trois heures de prises de parole, le sénateur LR, Ronan Le Gleut qui animait l’audition, a trouvé « une forme consensus » qui ressortait de l’ensemble de ces prises de parole. « Plus important que la levée des brevets, c’est le savoir-faire ».

« Alors, pour ceux qui sont pour la levée des brevets, pourquoi le demander alors que la clé c’est le savoir-faire ? Et puis pour ceux qui sont contre la levée des brevets, on a envie de vous poser aussi la question. Pourquoi être contre alors que les laboratoires sont protégés par le savoir-faire ? Ça pose la question des deux côtés ».

 

Dans la même thématique

Brussels Special European Council – Renew Europe
10min

Politique

Européennes 2024 : avec son discours de la Sorbonne 2, Emmanuel Macron « entre en campagne », à la rescousse de la liste Hayer

Emmanuel Macron tient jeudi à la Sorbonne un discours sur l’Europe. Si c’est le chef de l’Etat qui s’exprime officiellement pour « donner une vision », il s’agit aussi de pousser son camp, alors que la liste de la majorité patine dans les sondages. Mais il n’y a « pas un chevalier blanc qui va porter la campagne. Ce n’est pas Valérie Hayer toute seule et ce ne sera même pas Emmanuel Macron tout seul », prévient la porte-parole de la liste, Nathalie Loiseau, qui défend l’idée d’« un collectif ».

Le

Jordan Bardella visite Poste-Frontiere de Menton
5min

Politique

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau

Alors que la liste menée par Jordan Bardella (31.5%) devance de plus de 14 points la liste Renaissance, menée par Valérie Hayer (17%), selon le dernier sondage IFOP-Fiducial pour LCI, le Figaro et Sud-Radio, le parti de Marine Le Pen, mise désormais sur l’électorat âgé, traditionnellement très mobilisé pour les élections intermédiaires. Désormais deuxième force politique chez les plus de 65 ans (le RN conquiert 24% de cet électorat, 7 points de moins que Renaissance), la stratégie semble porter ses fruits. Décryptage avec le politologue Pascal Perrineau, professeur émérite à Sciences Po Paris et récent auteur de l’ouvrage Le Goût de la politique : Un observateur passionné de la Ve République, aux éditions Odile Jacob.

Le

Mairie de Paris, Jeux Olympiques 2024
4min

Politique

JO 2024 : les agents de sécurité privée vont-ils faire défaut ?

A trois mois des Jeux Olympiques, des incertitudes planent sur le nombre d’agents de sécurité privée mobilisés. Le préfet de police de Paris, Laurent Nunez indique « ne pas être inquiet pour l’instant ». Du côté des professionnels du secteur, on évalue un manque de 8 000 agents sur 40 000 nécessaires.

Le