Violences au Stade de France et responsabilité des autorités : les conclusions du Sénat accréditées par un rapport indépendant

Violences au Stade de France et responsabilité des autorités : les conclusions du Sénat accréditées par un rapport indépendant

Un rapport indépendant sur les violences qui ont émaillé la finale de la Ligue des Champions au Stade de France en mai dernier, et dont le journal Le Monde a dévoilé le contenu lundi, met en avant la forte responsabilité de l’UEFA. Indirectement, ce document vient compléter les investigations menées par le Sénat français l’année dernière. L’approche sécuritaire de l’évènement et la réaction des responsables français sont également pointées du doigt.
Romain David

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Un nouveau rapport vient enfoncer le clou sur l’organisation calamiteuse de la finale de la Ligue des Champions, au Stade de France, le 28 mai dernier. Commandée par l’UEFA, cette nouvelle enquête indépendante sur les violences qui ont émaillé la rencontre Liverpool FC-Real Madrid, et dont le journal Le Monde a publié de longs extraits lundi soir, étrille largement l’instance dirigeante du football européen, mais cible aussi la responsabilité des autorités françaises et l’approche obsolète des forces de l’ordre, dont les réactions inadéquates auraient largement contribué à alimenter la confusion et la panique au sein des foules massées aux abords du stade. Les conclusions de ce rapport font aussi écho aux travaux du Sénat, la Chambre haute avait ouvert une mission d’information sur ces incidents, travaux largement médiatisée un mois seulement après la présidentielle.

Pour mémoire, le coup d’envoi de la rencontre avait été retardé de plus d’une demi-heure, les dispositifs de sécurité et d’accueil déployés par la préfecture de police et la Fédération française de football (FFF) ayant été pris de court par l’afflux important de supporters. Risque d’écrasement, agression des fans par des bandes de délinquants et vols à la tire… la situation dégénère rapidement, poussant les forces de l’ordre à faire usage de gaz lacrymogène pour disperser les foules. Dans un tweet publié en marge de ces incidents, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, cible la responsabilité de « milliers de supporters britanniques, sans billet ou avec des faux billets » ayant tenté de forcer les entrées de l’enceinte sportive. Le lendemain, la préfecture de police fait état de 105 interpellations et 39 gardes à vue. Les vidéos des échauffourées, notamment des foules aspergées de gaz lacrymogène, tournant en boucle sur les réseaux sociaux, soulèvent un important tollé, bien au-delà des frontières de l’Hexagone.

« Contrairement à ce que l’on a pu penser, la rencontre a été préparée, mais mal préparée »

Le rapport reproche notamment à l’UEFA d’avoir trop délégué l’organisation de cette rencontre, qui devait se tenir en Russie mais dont la tenue a finalement été confiée à la France après l’invasion de l’Ukraine. L’instance européenne se serait dispensée de tout contrôle global et le flou sur son rôle le soir du match, notamment en matière de sécurité, aurait participé à une dilution des responsabilités. « Les autres parties prenantes ont commis des manquements qui ont contribué [aux incidents] mais l’UEFA était aux commandes », pointe le document.

« C’est le principal apport de ce nouveau rapport : le rôle de l’UEFA que nous n’avions pas pu auditionner », note auprès de Public Sénat Laurent Lafon, le président (Union centriste) de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et l’un des auteurs du rapport produit par la Chambre haute l’été dernier. « On constate que cette instance s’appuie énormément sur les fédérations, alors que peu de pays on eut l’occasion d’accueillir une finale de champions league. C’était le cas de la France, et l’expérience de l’UEFA en la matière aurait pu être bénéfique. Contrairement à ce que l’on a pu penser, il y a eu de nombreuses réunions préparatoires à ce match. La rencontre a été préparée, mais mal préparée, et on avait bien senti, au cours de nos auditions, que l’UEFA s’était plutôt tenue en retrait », poursuit l’élu.

« Cette mise en lumière de la culpabilité de l’UEFA est une bonne chose, surtout pour l’avenir. Espérons que cela invite ses dirigeants à être plus attentifs à l’organisation des rencontres et plus soucieux des demandes et difficultés rencontrées par les pays hôtes », estime le sénateur LR Michel Savin, président du groupe d’études consacré aux grands évènements sportifs. Mardi, le secrétaire général de l’UEFA, Theodore Theodoridis a réitéré les excuses de l’organisme : « Je voudrais présenter très sincèrement nos excuses, une nouvelle fois, à tous ceux qui ont été impliqués dans les incidents », écrit-il dans un communiqué. « En particulier, je voudrais présenter nos excuses aux supporters de Liverpool pour ce qu’ils ont vécu. »

Les images de vidéosurveillance, une arlésienne au cœur des investigations

Par ailleurs, le problème des faux billets est considéré par les auteurs du rapport comme un contre-feu entretenu par le gouvernement français, la préfecture de police, l’UEFA et la FFF pour « s’exonérer des responsabilités de défaillances ». À plusieurs reprises le ministre de l’Intérieur a invoqué un nombre de 30 000 à 40 000 supporteurs anglais massés aux abords du stade, sans ticket ou munis d’un faux, pour justifier l’engorgement au niveau des points de contrôle et des tourniquets. Des chiffres jugés très exagérés par de nombreux commentateurs.

La mission du Sénat comptait s’appuyait sur les images de vidéosurveillance du stade pour documenter ces affirmations mais - coup de théâtre - l’audition des représentants de la Fédération Française de Football révèle qu’elles ont été automatiquement effacées faute d’une saisie par la justice. Une négligence dénoncée dans le rapport commandé par l’UEFA. Les rapporteurs n’ont pas pu avoir accès non plus aux images des caméras de rue, en possession des parquets de Bobigny et de Paris. Les sénateurs les avaient également réclamées, en vain : « Tout a été fait pour que l’on ne puisse jamais les voir », se souvient Laurent Lafon. « Le calendrier de visionnage était constamment repoussé, nous avons fini par y renoncer pour pouvoir publier notre rapport. Mais nous savions que ces images allaient être utilisées par la justice dans le cadre des plaintes déposées par les supporters, ce qui nous a semblé satisfaisant. »

Une approche sécuritaire formatée par des préjugés sur les supporters britanniques

Les phénomènes de violences aux abords du stade sont également ciblés. Selon les témoignages recueillis, les agressions auraient débuté « dès le début de l’après-midi », sans réaction des forces de l’ordre, obligeant les supporters à s’organiser eux-mêmes, se constituant pour certains en « groupe défensifs » pour faire face aux assaillants. Leur comportement est globalement salué par les rapporteurs, qui tendent ainsi à les dédouaner de toute responsabilité dans les échauffourées, à rebours des déclarations de Gérald Darmanin. « Nous avions fait le même constat au Sénat », note Michel Savin. « Les autorités nous ont opposé que les premières agressions avaient eu lieu dans la soirée, quand les témoins entendus affirmaient le contraire. Cela montre que le dispositif de sécurité n’avait pas du tout anticipé les incidents et les phénomènes de violences extérieurs à la seule venue de supporters. »

Pendant l’audition du ministre, ce point avait notamment été soulevé par la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, qui avait laissé sous-entendre qu’une bonne part des incidents étaient dus à la délinquance qui gangrène la Seine-Saint-Denis. « Pourquoi un tel déni de ce qu’il s’est réellement passé ? Pourquoi ne pas dénoncer la réalité de ce qu’il s’est passé ? Pourquoi ne pas présenter des excuses aux Espagnols et aux Anglais ? Avez-vous renoncé à restaurer l’ordre public partout dans notre pays ? », avait-elle lancé au ministre. Gérald Darmanin lui avait alors reproché d’« évoquer avec beaucoup d’insultes la Seine-Saint-Denis » et de « faire le jeu de partis assez extrêmes ».

Globalement, l’approche des forces de l’ordre aurait été dictée par la peur injustifiée d’une « menace hooligan ». Selon le rapport commandé par l’UEFA, la police française a d’abord cherché à limiter le risque d’affrontement entre spectateurs, négligeant les autres composantes sécuritaires. « La préfecture de police a été aveuglée par de fausses idées sur les supporters anglais », explicite le sénateur Savin. « Le Sénat a pu lui aussi constater que le dispositif de sécurité était largement fléché dans leur direction. Tout cela nous a vite semblé disproportionné ». Quant à l’usage des gaz lacrymogène et des sprays au poivre, le rapport dévoilé par le journal Le Monde fustige « des armes qui n’ont pas leur place dans un festival de football ». Si les sénateurs français ont estimé que l’utilisation du gaz lacrymogène avait permis d’éviter un envahissement du stade, ils ont eux aussi dénoncé une méthode « particulièrement agressive » pour des supporters étrangers, même si elle a été « complètement assumée » par le préfet Didier Lallemand lors de son audition.

Les Jeux olympiques de Paris en ligne de mire

Mi-juillet, à l’occasion d’une séance de questions au gouvernement, Gérald Darmanin s’était dit prêt à « suivre les recommandations du Sénat ». Au menu des préconisations formulées par la Chambre haute : le renforcement de la formation des stadiers, un recours obligatoire aux billets infalsifiables et une mise à jour de la doctrine d’emploi du gaz lacrymogène. À un an et cinq mois des Jeux olympiques de Paris, les élus suivent de près les engagements du ministre. L’examen en janvier du projet de loi sur l’organisation des JO a été l’occasion d’introduire, à titre expérimental, le recours aux algorithmes dans la vidéosurveillance pour prévenir les mouvements de foule. Reste à savoir si l’Assemblée nationale, qui n’a pas encore inscrit ce texte à son agenda, conserva cet ajout polémique. « Je conserve des interrogations sur les billets », ajoute Michel Savin. « On nous dit qu’ils seront nominatifs, mais les collectivités vont pouvoir en distribuer un million à destination des publics défavorisés. Comment s’assurer qu’ils seront bien infalsifiables ? Qui va contrôler ça ? »

Quant à l’évolution de la doctrine du maintien de l’ordre, elle est plus difficile à cerner dans la mesure où elle ne dépend pas d’un texte de loi. « Même si le contexte est très différent, j’observe que les manifestations contre la réforme des retraites se déroulent dans le calme, manifestement, il y a eu une évolution dans ce domaine », pointe Laurent Lafon. Parti à la retraite, le préfet Didier Lallement a depuis été remplacé par Laurent Nuñez.

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